Marseille, de notre envoyée spéciale.- « Je ne suis pas de droite mais il y a des maires de droite ici. Je ne suis plus au PS mais il y a des socialistes dans cette salle, et des écologistes, des communistes aussi », lance, ravi, le sénateur Jean-Noël Guérini le 12 mars lors de son premier meeting à La Fare-les-Oliviers. Dans les Bouches-du-Rhône, la candidature de cet ex-socialiste à la tête d’un nouveau parti (Force du 13), au positionnement politique volontairement incertain, achève de brouiller les cartes des départementales des 22 mars et 29 mars.
À la tête du département depuis 1998, Jean-Noël Guérini, 64 ans, relaxé en décembre 2014 dans un affaire de démission litigieuse, reste mis en examen dans deux autres enquêtes sur des marchés publics truqués bien plus importantes. Mais ces deux informations judiciaires, ouvertes pour l'une d'elles en avril 2009, n'en finissent plus, mettant à rude épreuve la présomption d'innocence et les nerfs des socialistes des Bouches-du-Rhône. Officiellement, le PS se refuse à toute alliance avec la Force du 13, créée en novembre 2014. De même que le Front de gauche. Mais la peur de la gauche de perdre ce département au budget de 2,6 milliards d'euros semble plus forte que les préoccupations éthiques.
En cas de duel entre Jean-Noël Guérini et l’UMP Martine Vassal pour la présidence du conseil départemental, « je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que la candidate de droite pro-métropole ne gagne pas », a déclaré dans La Provence Jean-David Ciot, premier secrétaire du PS des Bouches-du-Rhône. Pour l'ex-bras droit de Jean-Noël Guérini, l'important est de sauver les meubles et de tenir jusqu'en 2017, avec ou sans Guérini. « Au PS, on est déjà dans l'après Guérini, assure-t-il dans ce même entretien. Qu'il soit réélu ou pas le 29 mars ne change rien. Son avenir politique est derrière lui. Je lui ai dit. Avec la loi sur le cumul des mandats, il choisira le Sénat en 2017. »
Le député PS Patrick Mennucci, ex-tête de liste socialiste aux municipales à Marseille, aspire quant à lui à un peu plus de « clarté » « face au clientélisme et aux pratiques de Jean-Noël Guérini ». Sur France Bleu, il a appelé à « éliminer » l'ex-socialiste de la course à la présidence du conseil départemental, quitte à voter pour le candidat de droite le 2 avril si « les conseillers généraux PS se retrouvent à arbitrer un duel entre Jean-Noël Guérini et le candidat de l'UMP ».
Compliquant encore la lecture du scrutin, le PS n'a déjà pas hésité à investir plusieurs candidats ouvertement guérinistes et même des binômes PS/Force du 13 assumés comme tels. Loïc Gachon, maire socialiste de Vitrolles et conseiller général sortant, part ainsi avec une candidate de la Force du 13 Véronique Bourcet-Giner. Candidat socialiste dans les quartiers nord, le conseiller général Denis Rossi est, lui, soutenu par la Force du 13 et le PRG. Sa colistière, Haouaria Hadj-Chikh, a été imposée par Jean-Noël Guérini, à la place de celle choisie par les militants socialistes lors d’un vote interne en décembre 2014. Aux dernières municipales, l'ex-élue PCF avait fait campagne contre le clientélisme dans ces mêmes quartiers aux côtés de l’ex-président de l’OM Pape Diouf, dont elle était la colistière...
Officiellement pas d'alliance entre PS et Guérini. Slogan #ForceDu13 Faire gagner les Bouches du Rhône @jccambadelis pic.twitter.com/NHjD8vuF92— Robert FUCHS (@robertfuchs13) 8 Février 2015
Pour ne pas insulter l’avenir, des conseillers généraux socialistes sortants se sont plus prudemment rangés sous la bannière « majorité départementale », sans afficher de logo, ni du PS, ni de Force du 13. Ou ont repris sur leurs affiches son slogan « Faire gagner les Bouches-du-Rhône ». C’est le cas du candidat socialiste Christophe Masse, président de Treize Habitat (l'office HLM du département), dont la sœur Florence, élue municipale PS à Marseille, est de tous les meetings de Jean-Noël Guérini.
Les candidats PS qui n'ont pas cédé aux sirènes du guérinisme, comme Benoît Payan et Nathalie Pigamo dans le centre-ville de Marseille (la jeune garde de l’ex-ministre socialiste Marie-Arlette Carlotti), ou Annie Lévy-Mozziconacci dans les quartiers sud, se sentent eux bien peu soutenus par Solférino. Des concurrents Force du 13 ont surgi dans leurs cantons.
On ne peut jamais renier ses valeurs au nom de la fin qui justifie les moyens! #cantonmarseille11 pic.twitter.com/mJo19zqhoq
— Nathalie Pigamo (@NathaliePigamo) 12 Mars 2015
Dans les quartiers nord, le député PS Henri Jibrayel fait ainsi face à un binôme guériniste bien implanté, constitué d’un communiste, Bernard Marty, et d’une écologiste, Lydia Frentzel (suspendue par EELV), tous deux élus municipaux des 15e et 16e arrondissements sur la liste de Samia Ghali (PS). Employée au service d'aide sociale à l'enfance du conseil général, Lydia Frentzel explique que les négociations d'EELV avec le Front de gauche ont achoppé. « Moi, les partis politiques, ça suffit. Il faut des candidats venant des quartiers », se justifie-t-elle.
« C’est un naufrage sur le plan politique et éthique que Monsieur Guérini, qui est l’homme d’un système nocif, soit soutenu par les instances officielles du PS », souligne la conseillère régionale Laurence Vichnievsky. Après avoir longuement hésité « compte tenu de la confusion totale qui règne », elle se présente dans le canton Marseille 2, où elle habite, avec Stéphane Coppey (EELV), ingénieur au pôle transports du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’avocate générale auprès de la cour d’appel de Paris est lucide sur ses faibles chances dans ce fief de Jean-Noël Guérini.
Dans ce fief de Jean-Noël Guérini qui recoupe plusieurs quartiers populaires derrière le Vieux-Port (Panier, Belle-de-Mai, etc.), la gauche part tout aussi divisée. Aucun accord n’a été trouvé entre le Front de gauche, Europe Écologie-Les Verts et le PS, qui a finalement envoyé au casse-pipe deux militants sans notoriété – Nora Akhazzane et Gabriel Guaza. « C’est précisément là qu'il aurait fallu être unis pour se débarrasser de Guérini, soupire Marie Batoux, leader du Parti de gauche à Marseille et élue du secteur. Le PCF avait un accord avec le PS mais Guérini n'est plus le candidat du PS, il est dans une stratégie politicienne, prêt à s'allier avec la droite. »
Les militants marseillais du Parti de gauche ont émis un communiqué furieux le 20 février, dénonçant plusieurs « accords pourris entre Guérini et le PCF » sur le département. « Le PCF a perdu beaucoup de mairies aux dernières municipales, ils ont des élus sortants à sauver, des permanents à faire vivre », constate Marie Batoux. Tout comme le PS des Bouches-du-Rhône, dont le nombre d’adhérents est passé de « 4 000 adhérents dans le département il y a 4 ans » à « bien moins de 3 000 aujourd'hui » selon Jean-David Ciot. Soit en dessous des 3 700 adhérents revendiqués par Jean-Noël Guérini jeudi 12 mars.
La principale mesure nouvelle de la Force du 13 est l’attribution d’une tablette numérique à chaque collégien, sur le modèle de l’opération Ordina13 (un ordinateur offert à chaque collégien à partir de la quatrième). Mais c’est surtout l’opposition de Jean-Noël Guérini à la future métropole marseillaise et sa générosité en matière d’aide aux communes qui font mouche auprès des élus des petites communes hors Marseille, pour la plupart vent debout contre cette entité de 1,6 million d’habitants.
Au 1er janvier 2016, six intercommunalités (autour de Marseille, Aix, Aubagne, Salon-Berre, Istres-Fos, Martigues) vont fusionner. Tardivement converti au projet, Jean-Claude Gaudin a tout de même réussi à imposer un quasi-droit de veto des maires sur le plan local d'urbanisme (PLU) de leur commune dans la dernière mouture du projet de loi votée fin janvier 2015 par les sénateurs.
Ce 12 mars, devant environ 600 militants à La Fare-les-Oliviers, Jean-Noël Guérini, qui a voté contre le projet de loi, n’hésite pas à surfer sur les peurs avec des envolées populistes contre ce « monstre administratif créé à Paris ». « Avec nous, à travers nous, c’est le peuple des Bouches-du-Rhône qui va prendre la parole », ose le sénateur. Tout y passe : les polytechniciens « qui ont pour unique ambition de détruire les structures qui protègent le peuple », l’élite « qui croit que les études sociologiques constituent des réponses aux souffrances du peuple », les journalistes forcément « parisiens » « qui font leur fonds de commerce du FN », son ennemi juré, le député PS Patrick Mennucci, « qui a offert une mairie au FN » et sa concurrente pro-métropole Martine Vassal, adjointe au maire de Marseille, « qui veut appliquer la loi du plus fort ». Il enchaîne sur le clientélisme qu’il « assume » « si construire une crèche ou envoyer 500 gosses au ski, c’est du clientélisme ».
Il est à peine question du contexte national même si Guérini ne résiste pas à étriller au passage la « Valls-hésitation » du premier ministre sur l'avenir des départements. Le sénateur multiplie les « bons mots » surnommant son adversaire UMP « Sainte Thérèse de Lisieux » à cause de ses « visions », guettant avec gourmandise les gloussements d’une salle acquise. Ce qui ne l’empêche pas dans L’Express de se déclarer prêt à travailler avec Martine Vassal en cas de majorité relative au conseil départemental.
Aux municipales de 2014, son actuelle colistière, l’ex-PS Lisette Narducci, avait ainsi conclu un accord avec Jean-Claude Gaudin au second tour. Pour les 58 conseillers généraux sortis des urnes le 29 mars, le scrutin du 2 avril sera à bulletin secret, autorisant toutes les manœuvres. « Guérini va passer au troisième tour avec quelques voix de maires de droite », pronostique un conseiller général PS.
Dans la salle de La Fare-les-Oliviers, dont « les tribunes, la sono ont été financées par le conseil général, comme le collège à côté », rappelle le député Jean-Pierre Maggi (Force du 13), ses soutiens enfoncent grossièrement le clou. Martine Vassal, la « Marseillaise », est « contre l’aide aux communes » et avec la métropole « Marseille aura tous les pouvoirs », met en garde Olivier Guirou, le maire de La Fare-les-Oliviers. La petite commune, qui accueille la principale décharge d’Alexandre Guérini, est aussi une de celles choyées par le département, avec 9 millions d’euros débloqués depuis 2008.
Surnommé le « Lucky Luke du carnet de chèques (...) qui signe plus vite que son ombre » par sa rivale Martine Vassal, Jean-Noël Guérini a multiplié ces dernières semaines les signatures de « contrats d’aménagement et de développement » avec des communes. Comme nous l’avions révélé avec Marsactu, depuis 2008, c’est près d’un milliard d’euros qui a été ainsi distribué selon des critères opaques, entretenant les allégeances des maires de gauche comme de droite.
« Ça crée une situation terriblement inégalitaire entre les territoires, et ça verrouille complètement le jeu démocratique puisque les maires ont besoin de ces subventions pour espérer eux-mêmes être réélus », déplore Laurence Vichnievsky. Quant à la métropole soutenue par EELV, le PS et l’UMP, c’est également pour l’ex-juge d’instruction un enjeu « d’intérêt général ». « C’est un levier énorme d'aménagement du territoire qui permet de dépasser les baronnies : on comprend pourquoi Monsieur Guérini y est opposé. »
Dans le public, ce 12 mars, on tombe sur des militants du Panier venus en car, des retraités et des employés du département ou de communes voisines qui ont suivi Jean-Noël Guérini du PS à Force du 13. Tous louent son « humanité ». Une employée départementale vante « l'aide aux familles démunies », « la crèche, la salle de gym, le restaurant » de l’hôtel départemental ainsi que la réfection de sa cité du 13e arrondissement tenue par le bailleur social Treize Habitat. « C’est quelqu’un à l’écoute, abordable, quand on demande un rendez-vous, on est reçu », renchérit son amie, agent de sécurité dans le privé. « On est des petites gens, que quelqu'un de cette stature vous serre la main, qu'on puisse lui parler..., poursuit cette ancienne militante socialiste. J'en ai fait des campagnes, ce n'est pas le cas de tous les politiques ! »
Quant à ses mises en examen dans des affaires de marché truqués, « ils ont tous des casseroles, certains ont fait pire », balaient les deux femmes. À 21 heures, le meeting est plié. Pour ne pas faire mentir sa réputation de proximité, Jean-Noël Guérini serre des mains, embrasse des militants, puis pose pour la photo avec son suppléant Ali Mohammed, qu'il présente comme « le sage de la communauté comorienne ». Ce choix lui a valu une nouvelle accusation de clientélisme d'une partie de l'importante diaspora comorienne vivant à Marseille.
Au vu de l'illisibilité de cette campagne, certains élus de gauche craignent le pire. « La clientèle ira voter, mais les autres ? Ils s'abstiendront ou voteront pour l'extrême droite », confie avec inquiétude Marie Batoux.
BOITE NOIRECroisé avec deux journalistes à la sortie du meeting, Jean-Noël Guérini (qui refuse régulièrement nos demandes d'entretien) lance un « Quelle horreur ! Mais quelle horreur ! » très spontané en apprenant mon nom et celui de Mediapart. « Vous m'avez tout imputé sauf la pédophilie peut-être. » Ultime recommandation après dix minutes de discussion : « Soyez douce. »
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