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L'ex-trésorier de Marine Le Pen en eaux troubles

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Rien ne laissait présager que ces deux hommes s’intéresseraient un jour à l’exploitation d’une source d’eau minérale en montagne. Le premier, Olivier Michaud, gérant d’entreprises de sécurité, s’est fait un nom en vendant ses gros bras à l’équipe d’Édouard Balladur à la présidentielle de 1995. Il a témoigné en 2012 sur l’argent liquide – 5,2 millions de francs – reçu à cette occasion. Le second, Olivier Duguet, comptable à ses heures, s’est occupé du financement politique de Marine Le Pen, au sein de l’association Jeanne dont il a été le trésorier dès l’origine de 2010 à 2012. Il a été depuis condamné pour une escroquerie à Pôle emploi...

Ces deux experts des campagnes électorales ont créé ensemble, en 2012, une société « de développement et d’exploitation des eaux de sources » (SDEES) affublée d’un logo figurant trois montagnes enneigées. Ils ont contacté la communauté de communes du pays des Écrins (Hautes-Alpes) et leur aventure a pu commencer, car les élus locaux, contre toute attente, leur ont fait confiance.

Leur objectif : créer une nouvelle marque d'eau minérale, l'Eau de Vallouise, grâce à une source trouvée par la collectivité. Hélas l’entreprise, qui prétend réunir 15 à 20 millions d’euros, refuse toujours de divulguer le nom de ses investisseurs. D'après les milieux d'extrême droite parisiens, un intermédiaire proche du Front national aurait été sollicité pour faire entrer des fonds russes dans l’affaire, tandis qu'un autre entrepreneur aurait facilité des contacts avec des investisseurs des Émirats arabes unis.

La source en question a été découverte, en 2008, lors d’un forage sur le territoire de Vallouise, un village qui manquait d’eau malgré sa situation naturelle au milieu des glaciers. « Le forage a été fait à un endroit propice, et il y avait un débit considérable pour alimenter la commune et au-delà », explique à Mediapart Joël Giraud, député maire (PRG) de L’Argentière-la-Bessée. « C’est un projet sur lequel la communauté de communes a investi près de 400 000 euros, complète Cyrille Drujon d’Astros, président de cette intercommunalité, et maire (UMP) de Freissinières. Nous avons pris en charge les études de faisabilité et de qualité de l’eau, et la SDESS conduit l’autre partie, c’est la recherche d’investisseurs. »

Le logo de la SDEES à sa création.Le logo de la SDEES à sa création.

Les élus ne se penchent pas, semble-t-il, sur l’expérience réelle de leurs partenaires de la SDEES, ni sur leur pedigree. « On ne connaissait pas leur passé, reconnaît M. Drujon d’Astros. Ils sont venus ici en connexion avec des élus du département, notamment Victor Berenguel, vice-président (UMP) du conseil général des Hautes-Alpes. » « Berenguel a appelé en disant “Michaud est un ami à moi, il faudrait le recevoir” », confirme Joël Giraud.

Dès l'origine, on s'interroge ouvertement sur ces partenaires. « La plus grande prudence s'impose concernant le futur investisseur dont on ne sait rien : particulier, industriel, les sources divergent, signale le site local Vallouise Magazine, en avril 2012. De toute façon, on voit mal un simple particulier mener un tel projet et investir 15 millions venant on ne sait d'où. » L’objectif des élus est initialement de commencer l'embouteillage courant 2013... « On ne peut qu'être dubitatif, et même circonspect, sur les délais indiqués qui semblent irréalistes, souligne le site, compte tenu des études encore à réaliser, des autorisations à obtenir, des achats de terrains à effectuer et de la durée des travaux de réalisation des canalisations et de construction de l'usine. »

Une « convention cadre » est signée entre l’intercommunalité et les hommes de la SDEES. Une fonderie désaffectée est trouvée à 13 km de là, dans une commune voisine, pour y réaliser l’usine d’embouteillage. Présenté comme un « particulier » par Le Dauphiné Libéré, Olivier Michaud promet de trouver l’argent. Olivier Duguet reste dans l'ombre. Hélas après trois ans, les spécialistes improvisés du développement des eaux de sources restent obstinément silencieux sur l’investisseur censé faire l'apport des millions nécessaires.

En 2014, les élus voient finalement passer le nom d’Olivier Duguet dans les journaux, à la rubrique des enquêtes sur Marine Le Pen, et du réseau de militants radicaux qui l’entourent. Olivier Duguet, 46 ans, qui s’est fait remarquer récemment en menaçant de « tuer » une journaliste de Mediapart – co-auteure de ces lignes –, est le « comptable » du réseau. Il n'a jamais travaillé dans le secteur de l'eau minérale.

Olivier Duguet (à gauche) avec Frédéric Chatillon, lors du rassemblement pro-Bachar al-Assad le 30 octobre 2011, à Paris.Olivier Duguet (à gauche) avec Frédéric Chatillon, lors du rassemblement pro-Bachar al-Assad le 30 octobre 2011, à Paris. © Capture d'écran du documentaire de Canal Plus "La Face cachée du nouveau Front"

Proche de Frédéric Chatillon, l'ancien leader du Groupe Union Défense (GUD), conseiller officieux et vieil ami de la présidente du FN, Duguet est pourtant apparu dans la gérance ou l'actionnariat de nombreuses sociétés de ce réseau (High definition security consulting, Hades Finance, Howell Finance, DGT Real Estate, Équités…), dont certaines ont été liquidées. Il a aussi été l'actionnaire fondateur d'une autre structure au cœur de cette nébuleuse : Dreamwell, la filiale publicitaire de Riwal, l'agence de communication de Chatillon (lire notre enquête).

Certaines de ces sociétés ont été domiciliées au siège de l'association Jeanne, destinée à financer l’activité politique de la présidente du FN. Olivier Duguet a été le premier trésorier de ce micro-parti actuellement visé par une enquête judiciaire, depuis sa création en novembre 2010 jusqu'en mars 2012. En qualité de comptable de la société Correctif – qui proposait l'édition et la correction de documents et revues –, Duguet a été condamné le 6 juin 2012 à une peine de six mois de prison avec sursis pour une escroquerie de plus de 100 000 euros au préjudice de Pôle emploi.

« En 2014, nous avons fait savoir à la SDEES qu’on ne souhaitait pas continuer si ce personnage restait actif dans le projet, poursuit M. Drujon d’Astros. Notre convention nous permet toute sortie, à tout moment. On s’est bordé. Et nous aurons besoin du projet économique, et du nom des investisseurs, pour la déclaration d’utilité publique. »

« Quand le fameux Duguet est venu en réunion, il s’est montré autoritaire et désagréable, se souvient Joël Giraud. Dans les Alpes, on ne ramène pas sa fraise comme ça. Il a fait une tellement mauvaise impression que les gens ont cherché à savoir d’où il venait. » Le député décroche son téléphone. « J’ai dit à Michaud que ça allait poser problème », poursuit l’élu.

Au printemps 2014, Duguet quitte donc ses fonctions de gérant de la SDEES, mais un autre homme lui succède à la tête de la société : Frédéric Sauvegrain. Cet homme d’affaires, actif au Luxembourg, est un ami du groupe, présenté lui aussi comme ancien membre du GUD – ce qu’il conteste. En réalité, il a milité au sein d'une organisation cousine, l'Union des étudiants de droite (UED)... « Je ne porte pas de jugement de valeurs sur ces gens qui ont été au GUD, explique-t-il à Mediapart. J’en ai connu, j’avais 20 ans, ils étaient plutôt rigolos, c’était des gros buveurs, et cogneurs, ça c’est clair, toujours un contre dix à la fac, après, moi je n'en ai jamais fait partie. » En souvenir de ce passé, Sauvegrain s’est tout de même inscrit parmi les « amis » de Frédéric Chatillon et d’Olivier Duguet sur Facebook…

Cyrille Drujon d’Astros, président de la Communauté de communes (à droite) sur le site du forage en 2008.Cyrille Drujon d’Astros, président de la Communauté de communes (à droite) sur le site du forage en 2008. © DR

Le nouveau patron de la SDEES assure avoir « peut-être croisé » Olivier Duguet, sans l’avoir remplacé pour autant. « Il n’y a pas de nécessité d’avoir un gérant, expose Frédéric Sauvegrain. C’est une société de projet pour l’instant, qui ensuite va devenir une société d’exploitation. Il y a des recrutements de prévu, on a beaucoup de CV, des gens de l’industrie, notamment de l’industrie de l’eau, qui se joignent à nous. On est en discussion avec un certain nombre d’investisseurs, on a vu des Français et des non-résidents. »

Selon Sauvegrain, Olivier Michaud n’est quant à lui qu’un ancien « élu local RPR » – il a effectivement été conseiller municipal à Vaucresson. « Je le connais depuis 20 ans, je ne vois pas en quoi il est rattaché à la mouvance d’extrême droite, c’est presque une plaisanterie ! » assure l’homme d’affaires.

En réalité, Olivier Michaud, 61 ans, est lui aussi un proche d’anciens du GUD – mais de la génération précédente. Il a fondé l’une de ses sociétés de sécurité (Jupiter) avec l’un d’eux, puis il a recruté de nombreux militants de ce groupuscule pour ses contrats de sécurité des meetings de Philippe de Villiers en 1994, et de ceux d’Édouard Balladur en 1995. En octobre 1997, alors qu’il est mis en cause dans une enquête pour « blanchiment d’argent » à Coutances, il affirme avoir reçu 9 millions de francs de l’équipe de la campagne Balladur, dont 3 millions seulement « en officiel », et « 6 millions en espèces ». En 2012, devenu actionnaire fondateur de la SDEES, Michaud réitère ses déclarations devant le juge Renaud Van Ruymbeke, dans le cadre des investigations sur le financement illicite de cette campagne de 1995. Il évoque « plutôt 5,2 millions de francs » reçus en espèces dans le cadre de son activité.

« Il est évident que M. Michaud, poursuivi dans la procédure de Coutances pour trafic de drogue, avait tout intérêt à déclarer que les sommes qui étaient dans son coffre provenaient de la campagne d’Édouard Balladur et donc de son trésorier, a commenté René Galy-Dejean, l’ex-trésorier de la campagne. Si cet argent devait lui avoir été donné par moi en 1995, il l’avait gardé dans son coffre bien longtemps, alors que, par ailleurs, il a reconnu avoir des comptes en Suisse. »

En 1997, Olivier Michaud avoue en effet détenir deux comptes en Suisse, l'un à la Landolt, et un autre à la Van Ernst, au nom d’une société basée aux îles Vierges britanniques... Il accuse alors l’avocat Philippe Péninque, très proche de Marine Le Pen, de lui avoir ouvert les portes de ces établissements, avant de changer de version. « Il est revenu sur ces déclarations, et l’enquête a montré que c’était Lionel Queudot qui lui avait ouvert ces comptes, et pas moi », détaille Philippe Péninque à Mediapart. Queudot ? Un ancien du GUD encore, devenu gérant de fortune à Genève, avant d’être mis en cause dans l’affaire des détournements chez Elf Aquitaine.

L'usine d'embouteillage était prévue à côté de la gare SNCF de L’Argentière-la-Bessée.L'usine d'embouteillage était prévue à côté de la gare SNCF de L’Argentière-la-Bessée. © Google Maps

Autant dire qu'Olivier Michaud a une certaine expérience de l'opacité. D’où l’inquiétude grandissante des élus. « Tant qu’on ne connaît pas le vrai investisseur, on ne peut pas signer de contrat, fait remarquer Joël Giraud. La SDEES, c’est un cache-sexe. À chaque fois que j’ai questionné Michaud, il m’a répondu que tout cela demandait une certaine discrétion pour des raisons commerciales. » « On ignore donc toujours qui se cache derrière cette société-écran et quelle en est la stratégie réelle », martèle le site Vallouise magazine.

« Pourquoi les élus seraient au courant ? Pour faire capoter la signature ? rétorque Frédéric Sauvegrain. Quand vous êtes en levée de fonds, et que vous êtes une start-up, vous êtes évidemment tenus à une très grande confidentialité. »

La SDEES qui a racheté – par adjudication – l’ancienne fonderie où elle veut construire l’usine d’embouteillage d’eau minérale, a obtenu le permis de démolir. Elle attend désormais un permis de construire, tout en bouclant son tour de table. Le débit de l'eau, 50 à 60 m3 à l’heure, promet cent millions de bouteilles par an, selon les élus. Qu'elle reste ou pas dans l'escarcelle de la SDEES, cette future eau minérale aura en outre peut-être du mal à se faire sa place, face à L'eau de Roche des Écrins déjà produite dans la région.

L'arrivée de fonds russes dans l’affaire est, quant à elle, démentie. « Ce ne serait pas déshonorant que ce soit le cas, mais ce n’est pas le cas, certifie Sauvegrain. Je vois très bien le rapprochement avec le Front national derrière… Des investisseurs russes, je n’en ai pas vu. » Contactés par Mediapart, ni Olivier Duguet, ni Olivier Michaud n'ont souhaité répondre à nos questions.

« Michaud nous a dit qu’il y avait des lettres d’intention, commente Victor Berenguel, le vice-président du conseil général qui l’a introduit. Je l’ai connu quand j’étais secrétaire départemental du RPR en 1983. Je pense qu’il était déjà sur des sources… Aujourd’hui, il cherche des sources. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Retour sur l’utilisation de Mumble


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