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A l'Institut Curie, l'argent des dons payait des primes

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Alors que l’Institut Curie boucle un plan social entraînant plus de soixante suppressions de postes, un rapport tout juste publié par la Cour des comptes épingle le fleuron de la médecine et de la recherche en cancérologie. La Cour reproche à l’Institut de ne pas informer suffisamment ses donateurs et son conseil d’administration de l’usage qui est fait de l’argent collecté, et d’effectuer de manière peu transparente des placements financiers de fonds importants issus de la générosité publique. Le rapport ne se prononce pas sur le plan social, mais note que la situation financière de l’institut est saine, ce qui interroge sur la nécessité des licenciements. D’autant que ceux-ci concernent en majorité des médecins et des infirmières, alors même que l’activité médicale de l’établissement hospitalier de Curie a augmenté en 2014.

Le rapport de la Cour des comptes concerne les exercices 2009 à 2013, et contient une série de révélations qui illustrent la mauvaise gouvernance dont a pâti l’Institut Curie pendant ces années. Le rapport met en cause la stratégie financière de l’institut, qui a mis en réserve, fin 2013, un montant de 77 millions d’euros collectés et non utilisés, soit l’équivalent de deux ans de collecte. Ces fonds ont fait l’objet de placements financiers dont on ne connaît pas le détail. Dans la présentation destinée aux donateurs (le compte d’emploi des ressources), le montant mis en réserve ne correspond qu’à la moitié de cette somme, soit un an de collecte.

Selon la Cour, « le niveau important des sommes mises en réserve et in fine placées pose la question du respect de la volonté du donateur ». En bref, les personnes qui donnent à l’Institut Curie souhaitent-elles que leur argent serve à des placements financiers, qui plus est non exempts de risques ? La question est d’actualité, alors qu’une nouvelle campagne de dons intitulée « Une jonquille pour Curie » se déroule du 17 au 22 mars. La Cour des comptes observe que le conseil d’administration de l’institut n’a pas délibéré sur la stratégie d’utilisation de l’argent collecté, et juge une telle délibération « indispensable au regard de l’ampleur des fonds mis en réserve ».

Le rapport révèle également qu’une partie des dons et des legs, « anormalement imputée sur les missions sociales », ont servi à payer les primes de l’équipe de direction et des chefs de services et départements. Chaque année de 2010 à 2013, un montant de 1 million d’euros a ainsi été affecté à des « mesures sociales » consistant pour l’essentiel en des primes (ainsi qu’en un soutien à la formation et une aide à la garde d’enfants). Ainsi, en 2013, ce million a servi à financer 757 810 euros de primes diverses, dont 91 408 à l’équipe de direction, plus 171 283 euros de soutien à la formation, ainsi que le salaire d’un agent d’accueil. Outre qu’il est peu approprié de qualifier des primes de « mesures sociales », la Cour note que dans certains documents l’expression « activités médicales » est utilisée, « ce qui nuit à la transparence de l’information interne ».

On apprend aussi que la rémunération de l’ancien directeur de l’institut, Pierre Teillac, a été en partie financée par l’argent des donateurs. D’après les calculs de la Cour des comptes, le coût total de la rémunération de Teillac (entre sa nomination en 2012 et son licenciement en janvier 2014) a représenté une charge de 2,3 millions d’euros, dont 1,1 million provenant de la générosité publique, financement que la Cour qualifie d’« anormal », ce qui la conduit à « formuler une réserve » (ce qui, dans le langage très formel de la Cour des comptes, constitue une critique sévère).

Le président de l’institut, le professeur Thierry Philip, affirme avoir mis fin à tous ces dérapages. Dans un communiqué du 25 février 2015, il indique, à propos des primes financées par la générosité publique, qu’« il y a été mis fin à partir de l’exercice 2014 ». Thierry Philip ayant été nommé fin 2013, il peut aussi se prévaloir d’avoir mis un terme à la rémunération abusive de Pierre Teillac, qu’il a immédiatement licencié. Néanmoins, selon la Cour des comptes, le directeur partant a bénéficié en mai 2014 d’une indemnité de 0,49 million d’euros, imputée sur le budget des « services institutionnels », lesquels sont aux trois quarts financés par la générosité publique. La Cour indique que cette imputation doit être rectifiée, mais le communiqué de Thierry Philip ne précise pas si la rectification a été faite.

Il semble que Pierre Teillac, qui a longtemps travaillé dans l’industrie pharmaceutique (il était directeur de la recherche et du développement chez Pierre Fabre), ait appliqué à l’Institut Curie, organisme à but non lucratif, les critères de rémunération et d’avantages financiers en vigueur dans les grands groupes pharmaceutiques. Ainsi, selon des sources internes à Curie, ses notes de frais pendant les deux ans où il a exercé ses fonctions de directeur, payées avec une carte de crédit de l’institut, auraient atteint environ 400 000 euros.

Au-delà de cet aspect financier, la gestion de Pierre Teillac a été très critiquée par les cadres de l’Institut Curie. Nommé par le conseil d’administration en 2012, il devait notamment mettre en œuvre la fusion de l’institut parisien avec le centre René-Huguenin de Saint-Cloud, décidée en 2010. En fait, cette fusion n’a pas été bien conduite, et a abouti à grever le budget de l’ensemble hospitalier (qui comprend l’hôpital Curie à Paris et le centre de Saint-Cloud).

Fin 2013, le conseil d’administration élit Thierry Philip comme président, en remplacement du sénateur Claude Huriet qui part à la retraite. Le nouveau président licencie le directeur, et entreprend d’assainir la situation financière.

Celle-ci n’a cependant rien de catastrophique. D’après le rapport de la Cour des comptes, l’institut affiche fin 2013 « un résultat net consolidé excédentaire du fait de résultats financiers favorables qui compensent les résultats négatifs de la section médicale et de la section de recherche ». Toujours fin 2013, le portefeuille de titres de placement représente un montant de 128,5 millions d’euros, et son rendement a été de 8,3 % sur l’année.

À la même date, l’établissement hospitalier de Curie accuse un déficit d’un peu moins de 5 millions d’euros (sur un budget de plus de 200 millions d’euros). Ce déficit est l’argument principal avancé par Thierry Philip pour justifier les licenciements et le plan social.

Le rapport de la Cour des comptes confirme que « depuis la fusion, la situation financière de l’ensemble hospitalier s’est aggravée », en partie du fait d’une « diminution des ressources liées aux remboursements des molécules onéreuses » (traitements anticancéreux particulièrement coûteux). Parallèlement, le rapport observe que le soutien financier apporté à l’hôpital par la fondation a fortement diminué en 2011 et 2012. Sur ces deux années, il a baissé de près de 5 millions d’euros si l’on prend comme référence le montant de 2010 (6,63 millions). Du fait de ce soutien plus réduit, le renouvellement du parc des machines du centre de Saint-Cloud a été retardé, ce qui a aussi entraîné un manque à gagner (la tarification étant plus élevée pour les nouvelles machines).

Pour le personnel, dans ces conditions, le plan social n’était pas nécessaire. De fait, le déficit s’est résorbé de 80 % en 2014, n’atteignant plus que 1 million d’euros, alors que le plan social n’a pas encore pris effet. Ce résultat est dû à des mesures d’économie et à un certain nombre de départs sans remplacement.

« Il y a eu un plan d’économie avec un accord sur le temps de travail négocié en mai 2014, et en juin on a annoncé le plan social », raconte, écœurée, une déléguée syndicale. Elle estime que les départs naturels et quelques départs volontaires auraient permis de rééquilibrer le déficit sans le traumatisme du plan social, qui a désorganisé plusieurs équipes et a entraîné seize démissions non prévues initialement. De ce fait, l’activité de l’ensemble hospitalier, qui était en augmentation en 2014, se trouve désormais ralentie par le manque de personnel.

Thierry Philip défend le plan social en affirmant que « la Fondation ne peut en aucun cas financer un déficit hospitalier » avec l’argent des donateurs qui « est clairement fléché sur la recherche et l’innovation ». Mais le personnel comprend d’autant plus mal la cohérence de ce raisonnement qu’une partie du plan, pour lequel l’institut a provisionné 7,9 millions d’euros, risque d’être financé par l’argent collecté. « Nous sommes perplexes sur la façon dont ce Conseil d’administration a été peu regardant sur les fonds collectés et leur usage alors qu’il a cautionné le PSE en 2014 sans état d’âme », lit-on sur un tract de FO.

De plus, une grande partie des licenciements ne respecte pas les critères fixés lors des négociations, et semble relever de règlements de comptes plus que d’une nécessité économique. En résumé, il semble que la direction ait profité de la situation pour provoquer des départs. Un certain nombre de médecins et de cadres licenciés vont d’ailleurs saisir les prudhommes. Logique financière, opacité et arbitraire de la gouvernance, ce n’est pas ce que l’on attendait de cette grande maison qui porte le nom de Marie Curie, dont le nouveau musée, financé par l’argent des donateurs, a été ouvert en 2012. « C’est bien d’avoir fait le musée, mais si on fait le musée, on ne fait pas le PSE, conclut une salariée de l’institut. Ce n’est pas cohérent, c’est un PSE sanction. »

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