« Marisol Touraine n’a rien lâché du tout », constate Claude Leicher, le président du syndicat de médecins généralistes MG France. La ministre ne se fait d’ailleurs aucune illusion : « Je n’ignore pas qu’il y aura manifestation le 15 mars. » Fait rare, tous les syndicats de médecins libéraux appellent à défiler ce dimanche à Paris, contre le projet de loi santé, quelques jours avant le début de son examen par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Parmi les revendications disparates des médecins libéraux, une seule cimente assez largement la profession : l’opposition à la généralisation du tiers payant. Après quelques semaines de concertation, la ministre a pourtant concédé quelques aménagements, lundi 9 mars, mais elle ne revient pas sur l’essentiel : « Le tiers payant sera bien étendu à l’ensemble des Français. Parce que c’est juste. Parce que c’est du progrès. Parce que ça favorise l’accès aux soins. » Dans le détail, c’est un peu plus compliqué.
La fin de l’avance de frais chez le médecin devait devenir un droit pour les patients, au 1er janvier 2017. Mais la ministre s’est ravisée : ce droit deviendrait effectif fin 2017 seulement. Voilà une promesse qui, de prime abord, engage peu un gouvernement désavoué par les sondages et dans les urnes. Mais dans le détail, le calendrier détaillé par Marisol Touraine reste ambitieux. C’est acquis depuis la dernière loi de financement de la sécurité sociale : au 1er juillet 2015, le tiers payant, qui bénéficie déjà aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU), sera étendu à ceux de l’aide à la complémentaire santé (ACS). Puis au 1er janvier 2017, en bénéficieront tous les assurés pris en charge à 100 % : les personnes les plus malades, celles en “affection de longue durée” (ALD), les femmes enceintes, les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, etc. Ce sont 15 millions de personnes.
L’assurance maladie, seul assureur des soins courants de ces 15 millions de personnes, est en première ligne. Et le ministère de la santé a décidé de la mettre au pied du mur : une « garantie de paiement » au professionnel de santé qui pratique le tiers payant sera inscrite dans la loi. Si l’assurance maladie ne paie pas en sept jours une feuille de soins électronique télétransmise, elle devra « des pénalités de retard » au professionnel. Le médecin, mais aussi l’infirmier ou le pharmacien, n’aura donc « aucune charge supplémentaire », assure Marisol Touraine. Et le système sera simple, promet-elle : « un seul geste suffira », à savoir l’introduction de la carte vitale dans le lecteur, pour vérifier si les droits de l’assuré sont bien ouverts.
L’objectif est de préserver le médecin de la complexité qui se cache derrière « l’assurance maladie », à savoir une ribambelle de régimes : la Cnamts, le régime général des travailleurs salariés ; le régime agricole, géré par la Mutuelle sociale agricole (MSA) ; le régime des indépendants, géré par le régime social des indépendants (RSI) ; sans oublier, les régimes spéciaux de la SNCF, de la RATP, les régimes délégués des enseignants, des étudiants, etc. Les passages d’un régime à l’autre sont toujours délicats, et peuvent virer au parcours du combattant pour, par exemple, les étudiants, les chefs d’entreprise…
Ceux qui sont chargés de mettre en musique le tiers payant à la Direction de la sécurité sociale ont sans doute en tête la mésaventure du RSI : en 2008, pressée de faire des économies par le gouvernement Sarkozy, l’administration a rapproché, un peu trop vite, les fichiers des Urssaf et du RSI, et les a écrasés, effaçant des données. La Cour des comptes a qualifié l’incident de « catastrophe industrielle ». Sept ans plus tard, le RSI s’en remet difficilement.
Pour que le tiers payant généralisé pour tous les Français se concrétise, il faut que les 600 complémentaires santé s’engagent. Et le ministère a peu de marges de manœuvre pour les contraindre : juridiquement, il est impossible au gouvernement d’imposer à ces organismes de droit privé les mêmes « pénalités de retard » qu’à l’assurance maladie. En revanche, il dispose toujours de l’arme fiscale. Mais, comme avec les médecins, la ministre de la santé préfère « l’incitation ». D’ailleurs, début février, les trois familles de complémentaires – mutuelles, assureurs et institutions de prévoyance – se sont elles aussi engagées sur « un dispositif simple et sécurisé », effectif au 1er janvier 2017 : une « reconnaissance automatique des droits des patients », peut-être avec la carte vitale, et une « garantie de paiement », dans des délais rapides, des professionnels de santé. Toute erreur dans la tenue des droits des assurés serait donc, là encore, à la charge des assureurs. La ministre de la santé estime que l’assurance maladie et les complémentaires ont désormais « une obligation de résultats ». Elle est confiante : « Ce dispositif coordonné sera rapide, simple et fiable. Il sera rodé au cours de l’année 2017, et il s’imposera comme une évidence. »
Ces « garanties de paiement » apportées par l’assurance maladie et les complémentaires ne rassurent pas les médecins libéraux. Ils sont en réalité partagés en deux courants. La plupart sont fondamentalement hostiles au tiers payant, qui instaure un lien direct avec l’assurance maladie et les complémentaires. Jean-Paul Ortiz, de la CSMF, le premier syndicat de médecins libéraux, déroule ses arguments : « Le tiers payant sera complexe à mettre en œuvre, donc coûteux pour les assurés sociaux. Et les médecins doivent bien réfléchir aux conséquences de l’implication des complémentaires : elles vont nous payer directement, bientôt elles voudront contrôler nos pratiques. » Mais d’autres médecins, essentiellement des généralistes, pratiquent le tiers payant, convaincus de son utilité sociale. Ils sont partagés entre l’espoir d’une simplification utile, et la crainte de nouvelles tracasseries administratives. Ils sont représentés par le syndicat de médecins généralistes MG France. Son président Claude Leicher encourage les médecins à « rester pugnaces. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Il est hors de question que les médecins aient à gérer le bordel administratif de l’assurance maladie. La ministre a donné quelques garanties, mais ce n’est pas suffisant. Le plus simple reste d’avoir un seul interlocuteur : l’assurance maladie. À elle de se débrouiller avec les complémentaires ». Il en convient cependant : « Si on parvient à construire un système simple et efficace, 100 % des médecins y adhéreront, et ce sera un grand progrès. »
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