Le brigadier-chef J. est depuis mars 2011 adjoint au chef du détachement de sécurité de l’ambassade de France de Kaboul. Un poste pour le moins exposé, qui consiste à sécuriser les déplacements de l’ambassadeur et de ses agents dans Kaboul et en province, avec sous ses ordres 32 policiers pour plusieurs issus de services d’élite (Raid, GIPN, SPHP, etc.). Sa « manière exemplaire » de servir lui vaut en 2013 d’obtenir la notation maximale (7) de son supérieur, le capitaine de police à la tête du détachement de sécurité. Cet officier le propose d’ailleurs pour la seconde année à l’avancement au grade de major.
Mais surprise, c’est le nom d’un fonctionnaire placé sous ses ordres, également brigadier-chef mais moins bien noté (6), qui surgit de la commission administrative paritaire nationale (CAPN) de mars 2014. Choqué, J. a de fortes raisons d’y voir l’intervention d’un des syndicats de gardiens de la paix. Leurs représentants siègent à parité avec l’administration dans les commissions paritaires qui donnent leur avis sur la carrière des fonctionnaires. J. avait deux ans de plus d’ancienneté dans la maison que son subordonné, obtenu son examen professionnel de major deux ans avant lui et exerçait un poste avec plus de responsabilités à Kaboul.
Théoriquement, le tableau d’avancement de la police est établi sur des critères objectifs, après avis de la CAPN. Le ministère de l’intérieur est, selon un décret du 9 mai 1995, censé se fonder sur « la valeur professionnelle des agents susceptibles d'être promus compte tenu des notes obtenues par les intéressés, des propositions motivées formulées par les chefs de service et de l'appréciation portée sur leur manière de servir » ainsi que des « difficultés des emplois occupés et (d)es responsabilités particulières qui s'y attachent ». Dans les faits, les syndicats disposent de quotas officieux pour faire passer des dossiers et accélérer la carrière de leurs protégés, sous couvert du directeur des ressources et compétences de la police nationale. Le mérite a parfois bon dos.
« Ces pratiques opaques sont banales mais sont désastreuses pour le moral des troupes, s’insurge sous couvert d'anonymat un fonctionnaire, qui connaît bien les rouages de la place Beauvau. Alors que les policiers sont chargés d’appliquer la loi et qu’ils ont l’inspection générale de la police nationale (IGPN) sur le dos pour des broutilles, que l’administration ne s’applique pas ses propres textes est choquant. » Ces interventions minent également la « crédibilité des chefs de service (...) qui proposent untel à l’avancement, mais sont ensuite désavoués par leur propre administration », estime-t-il.
Notre CRS effectue en vain plusieurs recours gracieux auprès du ministère de l’intérieur, avant de se tourner vers le médiateur interne de la police nationale Frédéric Lauze. Depuis janvier 2013, cet inspecteur général, assisté du magistrat Philippe Buchin, ancien président de tribunal administratif, est chargé de résoudre les conflits au sein de la police nationale pour éviter que son linge sale n’atterrisse justement devant les tribunaux administratifs. « En effet, lorsqu'un policier ou un agent intente un procès à son administration ou à son chef de service, ce n’est ni banal ni sain pour l’institution, expliquait Frédéric Lauze en novembre 2013 sur le site de la fonction publique. Un contentieux se traduit souvent par une rupture de confiance entre l’agent et son administration, une moindre motivation et performance. »
Au regard des dossiers des deux policiers engagés en Afghanistan, le médiateur interne donne raison au CRS et recommande sa promotion en 2015 pour réparer « l’injustice » dont il a été « victime ». Un avis rare, puisque selon la CGT police, 80 % des avis rendus par le médiateur sont favorables à l’administration. « Dans la mesure où vos notations, vos responsabilités et votre ancienneté dans la réussite de l’examen professionnel sont clairement supérieures à celles de votre collègue placé sous votre hiérarchie, il est manifeste que le choix porté sur M. X est intervenu en violation des dispositions en vigueur et vous porte préjudice dans votre carrière », écrit Frédéric Lauze dans un avis du 22 septembre 2014 que nous avons pu consulter.
Avis auquel le ministère de l’intérieur, accusé de s’être assis sur la loi, n’a, cinq mois plus tard, toujours pas donné suite. « Le silence gardé des différentes directions de la police nationale depuis le début de l’instruction apporte la preuve de la responsabilité de la direction sur l’erreur commise quant à l’absence d’avancement de carrière au grade de major en 2014 », estime Me Angélica Ramos, avocate du policier.
Contacté, le service de communication de la police nationale joue l’apaisement et indique que le dossier du CRS sera étudié lors de la prochaine CAPN, le 4 juin 2014. « Si le ministère y donne droit, il sera sur le prochain tableau d’avancement », nous répond-on. À défaut, l’affaire risque de se régler devant le tribunal administratif de Paris auprès duquel le policier lésé a déposé un recours le 27 juin 2014. Il réclame l’annulation du tableau d’avancement contesté, son avancement avec effet rétroactif et le remboursement de la différence de traitement.
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