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Effrayé par l'abstention aux départementales, le PS invoque le « danger » FN

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Branle-bas de combat au parti socialiste. À deux semaines du premier tour des départementales, le dimanche 22 mars, le PS s'inquiète de sa disparition probable de plusieurs centaines de cantons alors qu'il détient aujourd'hui 60 départements sur 101. Bien souvent, le Front national pourrait lui barrer la route et l'empêcher d'accéder au second tour, le 29 mars.

Comme dans le Doubs il y a moins d'un mois – la seule législative partielle gagnée par le PS depuis 2012, face au FN, mais de justesse –, l'exécutif tente donc de mobiliser sur le « danger » du Front national. Dans Le Parisien, François Hollande a affirmé vouloir « arracher les électeurs au Front national ». À Limoges, ancienne place forte du socialisme passée à droite aux municipales l'an dernier, Manuel Valls, s'est inquiété d'un « endormissement généralisé » face au FN. Et ce dimanche 8 mars, le premier ministre a été plus loin encore dans la dramatisation. « J'ai peur pour mon pays. J'ai peur qu'il ne se fracasse contre le Front national », a-t-il dit, exprimant son « angoisse » et appelant à un « réveil des consciences ».

Le soir de l'élection, il est en effet probable que la leçon retenue par la plupart des médias soit celle d'une nouvelle « percée » du Front national. Exactement comme aux européennes de 2014, où le FN, arrivé en tête avec 25 % de suffrages exprimés, avait fait préparer en avance des affiches « premier parti de France ». Sans nier sa dynamique électorale, réelle, ni sa capacité nouvelle à mobiliser son électorat, c'est oublier un peu vite ce qui sera le fait politique majeur de cette élection : une très forte abstention. Plus de la moitié des 44 millions d'électeurs pourraient en effet ne pas voter, une non-participation massive qui change forcément la physionomie du scrutin.

Aux cantonales, désormais rebaptisées "élections départementales", l'abstention a toujours été très élevée. « Depuis 1982, la participation à ces élections diminue de scrutin en scrutin, sans exception », explique dans une note récente le cabinet Liegey-Muller-Pons (LMP), partenaire de Mediapart pour ces départementales (lire en boîte noire). Pour l'heure, le « record » d'abstention, 55 %, a été atteint lors du renouvellement cantonal partiel de 2011 – jusqu'ici les cantons étaient renouvelés par moitié, ils le sont désormais tous d'un coup. À nouveau, moins de 50 % des inscrits pourraient voter cette fois-ci, affirme LMP.

« Il y a eu une forte participation aux cantonales de 1976 à 1985, autour de 70 %. Depuis, la participation a diminué. Ce n'est pas un scrutin qui mobilise beaucoup, a fortiori dans les grandes villes », rappelle Céline Braconnier, directrice de Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye, spécialiste des comportements électoraux. Surtout quand elles ne sont pas couplées à un autre scrutin, municipal ou régional. « C'est dommage : le gouvernement avait la possibilité de coupler les élections départementales et les élections régionales, et ainsi de placer ce scrutin sur la courbe la plus élevée », déplore Liegey-Muller-Pons. Mais il a fait un choix différent, pour se laisser le temps de réformer la carte territoriale. Les élections régionales seront organisées en décembre 2015, mois improbable pour une élection. Ce calendrier à double détente permet au gouvernement d'atténuer l'effet de souffle politique qu'aurait provoqué la perte, le même jour, de dizaines de départements et de la plupart des régions.

Enjeux très locaux ; compétences des conseils départementaux méconnues ; avenir même des départements, qui restent sur la sellette ; faible médiatisation : plusieurs raisons peuvent expliquer la très forte abstention annoncée.

Les nouveautés du scrutin (cantons divisés par deux et agrandis sur une base démographique plus juste ; vote dans tous les cantons ; parité intégrale des assemblées élues, une première en France) attiseront-elles toutefois l'intérêt des électeurs au point que certains décident de se rendre à nouveau aux urnes ? « On peut l'espérer », estime, prudent, Vincent Pons, un des cofondateurs de Liegey-Muller-Pons.

Candidate PS en Seine-Saint-Denis, dans un des cantons les plus abstentionnistes de France (Épinay-Pierrefitte-Villetaneuse), Nadège Abomongoli confirme que « l'aspect parité accroche bien » chez les électeurs, comme lorsqu'elle parle « de handicap, des collèges, de ce que fait le département ». Mais elle s'inquiète aussi d'une « élection sacrifiée ». « Dans les partis, on a envoyé les petits jeunes, mais les élus un peu connus se réservent souvent pour les régionales. »

Une forte abstention aura pourtant des conséquences très concrètes. Il faudra en effet atteindre 12,5 % des inscrits au premier tour (et non plus 10 %) pour se maintenir au second – le même seuil qu'aux élections législatives et régionales. Avec une participation très faible, de l'ordre de 45 %, il faut atteindre un pourcentage très élevé des suffrages exprimés, plus de 25 %, pour se qualifier. Il y aura très peu de triangulaires, et arriver troisième sera dans la plupart des cas synonyme d'élimination.

« Ce seuil a été instauré pour augmenter la légitimité politique des candidats élus, explique Vincent Pons. Mais il va rendre la qualification au deuxième tour difficile. » Le PS pourrait en pâtir particulièrement : selon les estimations, plus ou moins pessimistes, il pourrait être éliminé dans 500, 700 voire 1 000 cantons sur 2 000.

La barre des 12,5 % est la crainte numéro un des candidats socialistes. « J’ai peur de la gueule de bois, s'inquiète le président sortant du conseil général de l'Essonne, Jérôme Guedj. Les gens n'ont pas conscience de ce seuil, et ils ne voient pas le danger FN. »

« On peut facilement ne pas être au second tour », s'inquiète Habiba Bighdane, candidate socialiste dans le canton de Suresnes-Nanterre (Hauts-de-Seine) tenu par la droite. Elle reconnaît que « défendre la politique du gouvernement n'est pas simple car la vie des gens est dure ». Lors des porte-à-porte, elle préfère parler de sujets très locaux.

« Les gens ne nous parlent pas de réforme territoriale, de la loi Macron… en fait ils ne nous parlent pas vraiment, il y a un détachement », s'inquiète Nadège Abomongoli. Dans son canton de Seine-Saint-Denis, elle entrevoit un second tour « PS-FN ».

Candidat PS dans le canton de Joigny (Yonne), Nicolas Soret se bat « d'abord contre l'abstention : seuls la moitié des gens savent qu'on vote dans deux semaines, et peu connaissent les compétences des départements ». Dans son canton (19 000 habitants, 13 000 inscrits), le seuil de 12,5 % est à 1 600 voix. Aux européennes, l'an dernier, marquées par une très forte abstention, le FN l'a dépassé avec 1 800 voix. L'UMP n'a réuni que 1 100 voix, le PS 600. « J'ai 1 000 voix à rattraper ! », dit Nicolas Soret.

Par ailleurs président de la communauté de communes, celui-ci parie sur son implantation pour faire la différence. Mais il ne pourra pas compter sur les voix au premier tour d'EELV et du Front de gauche, qui présentent des candidats communs, comme dans de nombreux cantons – EELV présente des candidats dans 950 cantons, et dans quasiment la moitié des cas ils sont alliés au Front de gauche. Pour le parti écologiste, les alliances avec le PS ne concernent qu'un canton sur 5…

Le soir du premier tour, la France feindra donc de redécouvrir qu'une grande partie de nos concitoyens ne votent plus, à l'exception de l'élection présidentielle, clé de voûte du système présidentialiste français.

Depuis 2012, cette abstention concerne particulièrement la gauche au pouvoir. Aux élections européennes de mai 2014, si le FN a mobilisé 73 % de ses électeurs de la présidentielle 2012, l'UMP n'a mobilisé que 40 % de ses troupes, et le PS 26 % à peine, rappellent les chercheurs Cécile Alduy et Stéphane Wahnich dans Marine Le Pen prise aux mots, un livre récent sur le décryptage du discours frontiste. « Depuis quelques années, le FN parvient à mobiliser dès le premier tour alors que son électorat, plus jeune, moins diplômé, est sociologiquement plutôt abstentionniste », résume Céline Braconnier.

Relire les résultats électoraux des trois dernières années en termes de voix exprimées par rapport au nombre d'inscrits, et pas seulement en pourcentage de suffrages exprimés, fait apparaître toute l'ampleur de la démobilisation des électeurs, si bien que Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen ont parlé dès 2007 d'une « démocratie de l'abstention ».

À la présidentielle 2012, 80 % des inscrits, soit 37 millions de personnes, ont voté et dix millions se sont abstenus. François Hollande a été élu avec plus de 18 millions de voix.

Mais deux mois plus tard, aux législatives, l'abstention grimpe à 42 % des inscrits au premier tour, un record sous la Cinquième République : 26 millions de Français votent, 20 millions s'abstiennent. Au deuxième tour, les députés élus (donc avec plus de 50 % des suffrages exprimés) ne le sont en général qu'avec les suffrages de moins d'un tiers des inscrits. Selon une étude réalisée alors par l'Observatoire de la vie politique et parlementaire sur les 325 élus de gauche (PS, EELV, radicaux et Front de gauche), seuls une poignée ont réuni sur leur noms plus de 35 % des inscrits, en général dans des fiefs de gauche (l'est de Paris, la Haute-Vienne, l'Aveyron). L'écrasante majorité n'a récolté qu'entre 20 et 30 % des inscrits. Et les députés des Français de l'étranger ont été élus avec à peine plus de 10 % des inscrits…

Aux municipales de mars 2014, l'abstention (35 % des inscrits) atteint à nouveau un « record » sous la Cinquième République pour ce type d'élection, avec des pointes à 60 % dans certains territoires, par exemple en Seine-Saint-Denis. Deux mois plus tard, aux européennes, l'abstention de 57,5 % ne constitue certes pas un record (2009 avait été pire). Mais ces élections restent celles qui mobilisent le moins. Seules 20 millions de personnes se sont déplacées pour voter. Mais 27 millions ont boudé les urnes.

Quant à la douzaine de législatives partielles organisées depuis 2012, où le PS a presque toujours été éliminé ou battu, le taux de participation y a été confidentiel. 35 % des inscrits (30 000 votants sur 85 000 inscrits) au premier tour de la législative partielle de l'Oise (mars 2013) ; seul un électeur sur 4 qui se déplace à la législative partielle de Troyes (décembre 2014) : le candidat UMP, vainqueur, n'est élu qu'avec 10 000 voix sur 65 000 inscrits.

Début février, la participation a également été très faible dans le Doubs, seule partielle gagnée par le PS : six électeurs inscrits sur dix se sont déplacés au premier tour. Et seuls cinq sur dix au second, malgré l'extrême médiatisation due à la possible victoire de la candidate Front national, battue à 800 voix près.

« La persistance de l'abstention est inquiétante. C'est le signe d'un désintérêt vis-à-vis de la politique. Elle rend les résultats moins démocratiques et pose le problème de la légitimité des candidats élus », s'inquiète l'expert en stratégie électorale Vincent Pons. Mais dans la mesure où seuls les résultats en suffrages exprimés font l'élection, cette profonde crise démocratique est systématiquement niée, ou en tout cas mise de côté, par des élus et des partis que ces forts taux d'abstention renvoient pourtant à leurs propres échecs. « Tout est fait pour que l'on oublie ceux qui ne se prononcent pas, déplore Céline Braconnier. Le soir du résultat, la faible participation désole tout le monde pendant cinq minutes. Et très vite, on s'en moque. L'abstention change par définition le visage de la représentation mais les élus n'ont jamais intérêt à régler le problème, car cela pose la question de leur légitimité. »

Des solutions existent pourtant pour limiter l'abstention, rappelle la chercheuse. Comme la suppression des « obstacles à la mobilisation électorale » qui font que 3 millions de personnes ne sont pas du tout inscrites sur les listes électorales (par exemple, celles ayant acquis récemment la nationalité française qui ne connaissent pas les démarches). Ou que 6,5 millions d'électeurs sont « mal inscrits », parce qu'ils vivent loin du lieu où ils sont inscrits et ne se déplacent guère pour les élections intermédiaires.

« Si les partis ne veulent pas proposer de projets mobilisateurs, un tel niveau d'abstention pourrait au moins les inciter à reposer la question des procédures de vote », dit-elle. Au lieu de cela, il est possible qu'ils soient de plus en plus tentés de crier au loup et d'instrumentaliser dès le premier tour la peur du Front national. Une stratégie défensive de moins en moins inopérante aux yeux des électeurs. Et qui ne règle en rien le problème central : la faible attractivité de leur projets politiques.

BOITE NOIRELa rédaction de Mediapart et les experts en stratégie électorale Liegey-Muller-Pons se sont associés pour ces élections départementales. Grâce à ce partenariat, nous serons en mesure de vous proposer dans les semaines à venir des éclairages, des analyses et des visualisations de données inédites. Nous vous en disons plus très vite dans un article qui accompagnera nos premiers reportages.

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