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A Saint-Denis, la lutte contre l'islamophobie fait le plein

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« Il n'y a pas de problème musulman en France. Pas de problème noir. Pas de problème rom. Il y a un problème français ! » Ces mots de conclusion de Sihame Assbague, porte-parole du collectif Stop contrôle au faciès, résume la tonalité du meeting « contre l'islamophobie et la guerre sécuritaire », qui s'est tenu vendredi soir à la bourse du travail de Saint-Denis. Plus de trois heures durant, une vingtaine de responsables associatifs ont dit leurs inquiétudes quant au climat politique post-attentats de Paris, et ont appelé à la mobilisation la plus large.

Ravis de l'affluence nombreuse, les organisateurs se sont réjouis de n'avoir jamais été si nombreux et divers à se mobiliser pour la cause. « Le gouvernement voulait nous terroriser, les islamophobes de salon pensaient avoir gagné la partie et que nous serions désormais tétanisés, lance Youssef Boussoumah du parti des Indigènes de la république (PIR). Mais grâce à vous, ils ont échoué. Valls n'a pas compris qu'il n'avait pas en face des jeunes désemparés, mais l'avenir de ce pays ! »

A la bourse du travail de Saint-Denis, le 6 mars, lors d'un meeting contre l'islamophobieA la bourse du travail de Saint-Denis, le 6 mars, lors d'un meeting contre l'islamophobie © S.A

En dépit des réticences et critiques affichées par plusieurs personnalités de gauche (de l'essayiste Caroline Fourest au journaliste Jack Dion, en passant par la féministe Caroline de Haas ou la militante antifa Ornella Guyet), qui ont entraîné la défection des écologistes de EELV parmi les signataires de l'appel au meeting (même si certains, comme Eva Joly et Yannick Jadot, ont maintenu leur soutien), la coalition de plus de 80 organisations n'a pas jugé rédhibitoire la présence parmi elles de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), dénoncée comme « sexiste et homophobe », ou tout simplement trop proche des Frères musulmans.

C'est donc soutenu par le PCF et Ensemble – membres du Front de gauche –, le NPA ou la fondation Copernic, ainsi que plusieurs comités du MRAP ou de la CGT, que le meeting a eu lieu, sans affichage ni prise de parole de ces organisations, ni de l'UOIF. « La question qui se pose à nous, c'est comment la gauche considère l'UOIF ?, résume un des organisateurs en marge de la tribune. Font-ils partie du paysage religieux ou doit-on les combattre ? Par le passé, il y a eu des tas de cause où l'on se mobilisait sans être d'accord. Contre la guerre au Vietnam, on acceptait de faire tréteaux communs avec des courants politiques pas franchement ouverts sur les enjeux sociétaux… S'en prendre à leur présence, c'est un prétexte pour des gens aux yeux desquels l'islamophobie n'a de toute façon jamais été considérée comme un réel problème. D'ailleurs, s'ils veulent se mobiliser contre l'islamophobie sans nous, qu'ils le fassent… »

À plusieurs reprises, divers intervenants ont rappelé qu'il était « naturel » de ne pas être tous d'accord, soulignant même qu'il était « très sain » que ces débats se posent à l'intérieur des partis de gauche, « ouvertement, et non plus en catimini ». Mais l'une des modératrices, Ismahane Chouder (membre de Participation et spiritualité musulmane), s'est étonnée que l'on veuille « lutter contre l'islamophobie sans les musulmans, ou alors seulement avec ceux qu'on juge bons, et dont il faudrait jauger au préalable l'irréprochabilité. Mais cette irréprochabilité n'existe pourtant dans aucun groupe constitué ». Estimant devoir faire face « toujours aux mêmes suspicions de sexisme ou d'homophobie de la part des féministes blanches », elle a tenu à affirmer « l'attachement de tous aux libertés individuelles et publiques, comme l'attachement aux droits sociaux ». 

Plusieurs témoins ont raconté leur expérience de l'islamophobie, à Saint-Denis, le 6 mars 2015Plusieurs témoins ont raconté leur expérience de l'islamophobie, à Saint-Denis, le 6 mars 2015 © S.A

Une bonne partie de la soirée a été consacrée à une succession de témoignages recueillis par le Comité contre l'islamophobie en France (CCIF), où les émotions de musulmans aux pratiques diverses ont recueilli les applaudissements d'une assistance de tous âges et origines. Son président, Samy Debah, a d'abord rappelé quelques chiffres recensés par le collectif. Près de 2 000 sollicitations par an, 764 actes islamophobes en 2014, 208 en janvier et février 2015, 80 % des cas concernant des femmes musulmanes, dont 22 agressions physiques… « Les Français ne sont pas islamophobes, mais c'est parce qu'on se tait qu'on subit ces discriminations et ces violences, dit le président du CCIF. On doit désormais marcher main dans la main contre ceux qui cherchent à diviser les citoyens français. »

Parmi la demi-douzaine de témoignages, se croisent les récits de pères d'enfants interpellés à tort pour apologie du terrorisme, celui d'une femme inscrite à une salle de sports en « béret » mais à qui l'on refuse finalement l'accès « pour des raisons d'hygiène » quand elle vient « en bandana », celui d'une étudiante ayant décidé de se voiler à ses 18 ans et qui a quitté l'école « pour ne pas subir l'affront d'un conseil de discipline » avant de se dire « persécutée par le regard des professeurs jusqu'à mon doctorat », ou encore celui d'une lycéenne à qui l'on a demandé d'enlever sa robe un quart d'heure avant de passer un oral du bac, « car la proviseure considérait que ma robe transparente, mon jupon et mon legging était une tenue religieuse, car elle comportait plusieurs couches ». Souvent, une même crainte revient, exprimée par ce père : « Comment je peux élever mon fils dans le respect et l'amour de la République ? Aujourd'hui, mon fils voit des racistes partout, même là où il n'y en a pas. À 13 ans, il a intégré qu'il était déjà un citoyen de seconde zone. »

L'inquiétude est la même chez Anissa, membre du collectif Mamans toutes égales qui se bat pour l'abrogation de la circulaire Chatel, interdisant aux mères voilées de participer aux sorties scolaires. « En maternelle, j'étais une mère digne d'accompagner, en primaire je suis devenu une mère indigne, dit-elle. Mes enfants ne comprennent pas pourquoi toutes les mamans sont acceptées sauf la leur. L'un d'eux le vit très mal, et se met à tout confondre entre Gaza et les attentats de Paris, dit que tout ça c'est la faute des juifs. Alors je dois tout recommencer, lui expliquer qu'en Israël c'est un gouvernement, et que ce n'est pas la faute des juifs. Depuis l'affaire Merah, j'ai peur que mon enfant n'en vienne à avoir la haine. »

Tout au long de la soirée, les références aux attentats de Paris a été constante, et à chaque fois ont été mentionnés Charlie Hebdo ou le caractère antisémite des assassinats à l'Hyper Casher du XXe arrondissement. À la tribune, Michèle Sibony de l'Union des juifs pour la paix a longuement expliqué pourquoi, selon elle, lutte contre l'islamophobie et lutte contre l'antisémitisme devaient aller de pair. « Aujourd'hui, le racisme tue des juifs parce qu'ils sont juifs. Aujourd'hui, le racisme tue et toutes les émeutes françaises dans les quartiers sont parties de la mort d'habitants de ces quartiers », dit-elle.

À ses yeux, depuis le début des années 2000, « islamophobie et soutien à Israël sont intimement associés ». Elle détaille : « Israël est un allié indéfectible de l'axe du bien, il est impensable de sanctionner sa politique coloniale raciste, et les juifs sont assignés au "bon côté" et au soutien, quel qu'en soit le prix, de la politique israélienne. À l'inverse, les musulmans sont assignés à la classe dangereuse et au "mauvais côté", celui de l'axe du mal. » Dénonçant cette « double instrumentalisation », elle estime sous de nombreux applaudissements, que « racisme islamophobe et racisme anti-juifs sont les deux faces d'une même médaille ».

Ancien candidat aux européennes du NPA, depuis retiré du militantisme politique mais investi dans le collectif de soutien à la mémoire d'Ali Ziri, octogénaire mort en garde à vue à Argenteuil, Omar Slaouti a lui aussi enflammé la salle, en dénonçant « l'arsenal idéologique » déployé par les gouvernements de droite comme de gauche, qui « ethnicisent la question sociale, avec l'idée qu'une ethnie serait supérieure aux autres », et qui permettrait aujourd'hui « d'arrêter des enfants de 8, 9, 10 ans, sans que cela ne choque ». Selon Slaouti, face à cette « grille de lecture appliquée pour faire la guerre à l'étranger comme la guerre à nos quartiers », il convient de « tenir les deux bouts en permanence : la question sociale du partage des richesses et la question de l'égalité ».

Responsable d'Attac, Jean-Michel Dupont a lui rappelé combien « le racisme a toujours eu vocation à diviser les classes populaires pour entretenir la domination des dominants ». D'après lui, « il faut dénoncer les amalgames faits avec l'islam, de la même façon que nous défendons la liberté d'expression », ainsi que « réaffirmer la laïcité comme garantie de la liberté des cultes, pour ne pas la laisser au FN et à ceux qui la dévoient ». Secrétaire générale du syndicat de la magistrature, Laurence Blisson est de son côté revenue sur « l'hystérisation du climat de suspicion généralisée » provoquée au lendemain des attentats de Paris par « le cumul de la circulaire Taubira et des directives du ministère de l'intérieur ». Elle a toutefois appelé à « ne pas se tromper de combat » et à ne pas « trop attendre de la pénalisation des actes islamophobes, car ce n'est pas cela qui changera la société ».

Comme l'avocat Hosni Maati après elle, Blisson a ainsi expliqué pourquoi il faudrait se mobiliser aussi pour que « les sanctions restent dans le cadre de la loi sur la presse de 1881, qui garantit et encadre la liberté d'expression », alors que le gouvernement réfléchit à en "sortir" les paroles racistes, comme auparavant l'apologie de terrorisme. Cette revendication sera sans doute l'un des axes futurs de mobilisation d'un collectif voulant « continuer à convaincre les syndicats, les fondations, les cercles de réflexion et les partis de gauche » de les rejoindre. Avec une « ligne rouge » en point de mire, rappelée par le médecin Abdel-Rahmène Azzouzi (qui vient de démissionner du conseil municipal d'Angers, où il avait été élu sur une liste PS), que serait la mise en œuvre d'une loi interdisant le foulard à l'université.

« On nous demande de rester à notre place, comme on a demandé avant aux juifs de rester à leur place, dit Youssef Boussoumah du PIR. Mais aujourd'hui, les musulmans sont sortis de l'enclave dans laquelle on voulait les enfermer. Il n'y a plus uniquement des ouvriers ou des femmes de ménage, mais aussi des instituteurs, des chercheurs, des avocats, des médecins. Ensemble, nous voulons juste banaliser la dénonciation de l'islamophobie. Comme la dénonciation de l'antisémitisme va de soi. » Tous ont prévu de se revoir, notamment lors d'une manifestation le 21 mars prochain à Paris. Son mot d'ordre : « Ensemble contre tous les racismes et le fascisme. L'égalité ou rien. »

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