Une jeune fille de 15 ans, née à Grenoble dans l’Isère, a disparu. Ses parents la recherchent. Hors de France. Les services de renseignement pensent qu’elle a rejoint la Syrie avec un homme auquel elle s’est mariée à Bruxelles. Aurélia (son prénom a été modifié) fait partie des quelques dizaines de mineures françaises parties sur la ligne de front aux côtés de l’État islamique ou de groupes radicaux concurrents. À sa deuxième tentative, son projet de djihad semble avoir abouti. Une première fois, elle avait été rattrapée in extremis à l’aéroport Saint-Exupéry de Lyon, alors qu’elle s’apprêtait à embarquer sur un vol pour la Turquie. Les policiers avaient retrouvé sa trace ; et par la même occasion celle de Riad B., soupçonné de lui être venu en aide. Lui a été interpellé. Il croupit depuis dix mois en prison à Fleury-Mérogis. Son procès s’est déroulé vendredi 6 mars au tribunal de grande instance de Paris. Poursuivi pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme et pour soustraction de mineure, il est en détention provisoire. Il risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 225 000 euros d’amende.
Son chemin a croisé celui d’Aurélia au détour d’une rencontre sur Facebook. Un homme qu’il dit ne pas connaître entre en contact avec lui le 24 février 2014. Établie en Syrie, cette personne, surnommée Tony Toxiko, lui adresse une requête urgente, après l’avoir demandé comme « ami » : étant domicilié à Lyon, est-il en mesure dans les heures qui suivent d'aider son « épouse » à quitter la ville, de lui trouver un endroit pour dormir pour une nuit et de l’accompagner le lendemain à l’avion ? Aussitôt dit aussitôt fait, sollicitation acceptée.
À l’audience, Riad B., rasé, barbe coupée court, lunettes cerclées, fait l’étonné. Cet homme de 41 ans, de nationalité franco-tunisienne, grutier en intérim au moment des faits, père de trois filles, affirme avoir simplement voulu donner un coup de main à un « frère ». « Un frère en religion », rétorque-t-il au juge qui lui demande s’il s’agit d’un « frère de sang ». « La solidarité entre musulmans », insiste-t-il. Quand il s’aperçoit, en la voyant, que la femme qu’il cherche est mineure, il déclare à la barre lui avoir demandé si ses parents étaient au courant de son projet. Elle répond que non. Il affirme « avec le recul » regretter de ne pas l’avoir dissuadée de partir. Mais sur le moment, insiste-t-il, elle lui a paru si « déterminée » qu’il n’a « pas pensé » l’arrêter, même s’il a fait le rapprochement avec l’une de ses filles, du même âge. Il a eu pourtant la nuit entière pour réfléchir à la situation, puisque le départ pour Istanbul n’était prévu que le lendemain.
Contrairement aux déclarations de la jeune fille pendant la procédure, il nie avoir, le matin du vol, acheté un jilbab [longue robe couvrant les cheveux et tout le corps hormis les pieds et les mains]. « J’avais un voile tout simple et j’étais habillée comme pour aller à l’école. [Le vêtement] qu’il m’a acheté était comme un tchador », a-t-elle dit aux policiers. Il ne conteste pas en revanche l'avoir aidée financièrement. Comme elle « avait l’air de ne pas avoir beaucoup d’argent », il a réglé une partie de sa note d’hôtel et de son billet de transport jusqu'à l'aéroport.
Revenant à Tony Toxiko, le juge s’est dit surpris qu’il ait si facilement accepté de rendre service à un « inconnu ». D’autant qu’Aurélia a elle déclaré qu’ils étaient de « vieilles connaissances ». Les deux comptes Facebook de Riad B., remplis de contenus signalant une proximité avec l’islam radical, ont été décortiqués. Une photo d’un homme portant le drapeau de l’État islamique, une autre d’un homme portant un tee-shirt Al-Qaïda, une autre enfin à l’honneur de Ben Laden. Le magistrat l’a interrogé sur ses relations, toujours sur Facebook, avec deux personnalités sulfureuses, l’une appartenant au « premier cercle d’Al-Qaïda » à l’origine de l’embrigadement d’une filière niçoise, l’autre également reconnue « pour son prosélytisme efficace ».
Riad B. n’a pas caché une certaine affection pour Oussama Ben Laden, un « résistant » aux « envahisseurs » russes et américains. À l’occasion, il se fait appeler « Riad Ben Laden », admet-il. « Je condamne les meurtres », précise-t-il toutefois à deux reprises. Le juge essaie d’en savoir plus sur ses pratiques religieuses, sa vision du djihad, les livres qui ont été perquisitionnés chez lui (L’Appel au djihad et Comment devenir adepte de l’unicité). « Je ne lis pas et ne comprends pas l’arabe », se défausse-t-il. « Qu’avez-vous pensé des événements de janvier en France ? », le questionne le magistrat. La réponse fuse : « Je ne suis ni Charlie ni Coulibaly (…). Je suis musulman, point. »
Ses liens amicaux lui sont reprochés, notamment ceux avec son « bon ami », avec lequel il est parti plusieurs mois en Tunisie, que les renseignements français considèrent comme étant un « djihadiste », un « guerrier », qui « aux dernières nouvelles » serait installé en Syrie.
Interrogée par les policiers à l’issue de cette « fugue », Aurélia a indiqué être musulmane pratiquante, alors que ses parents, selon elle, ne l’étaient pas – des « mécréants », dit-elle. Le voile, elle affirme le porter contre l’avis de son père. Ses recherches sur l'islam la conduisent sur Internet. Là, sur Facebook, elle rencontre Tony Toxiko en quelques clics. Rapidement, après quelques appels téléphoniques, ce dernier lui aurait proposé de se marier. Et de combattre en Syrie. Tout aussi rapidement, il aurait fixé une date de départ pour qu’elle le rejoigne. Le 10 février 2014. Mais Aurélia assure avoir reculé au dernier moment. Elle aurait alors été accusée de n'être pas une « bonne musulmane ». Et menacée de lapidation. Elle a affirmé qu’elle s’était sentie « obligée » de suivre ses instructions. Quelques jours plus tard, elle a acheté un billet « avec ses économies » pour le 25 février au départ de Saint-Exupéry, son futur « époux » se chargeant de lui trouver un chaperon. Riad B. ne nie pas cette partie. Oui, j’ai accepté de rendre service. Non, je n’aurais pas dû. « C’est l’erreur que j’ai faite », concède-t-il. Mais « je ne suis pas un terroriste », assène-t-il.
Les parents de la jeune fille ont signalé sa disparition le jour même, le 24 février, lorsqu’ils se sont rendu compte qu’elle n’avait pas pris le bus censé la ramener de l’école. Le matin même, elle était partie avec son passeport, 157 euros en poche, deux téléphones portables et deux numéros inscrits sur son avant-bras gauche, celui de Tony Toxiko et celui d’un contact supposé l’aider à passer la frontière turco-syrienne.
La victime et ses proches ne se sont pas constitués parties civiles. Aurélia a une nouvelle fois fugué le 17 juillet 2014. Encore via Facebook. Elle serait « tombée amoureuse » d’un autre homme. En quelques jours, elle se serait retrouvée en Belgique, mariée. Puis enceinte. Appréhendée le 11 septembre de la même année, elle aurait été envoyée dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance, qu’elle serait parvenue à fuir.
Riad B. ne l’a pas revue. Sous les verrous, il se plaint de son traitement, « injuste » dit-il, en prison. Considéré comme risquant de faire du prosélytisme, il reste enfermé dans sa cellule – individuelle – 22 heures sur 24, sans la possibilité de travailler ni de faire du sport. Le procureur a requis une peine de trois ans de prison dont un an avec sursis. L'avocat du prévenu, remarquant l'absence de mise en examen de l'adolescente, a soutenu que son client n'avait jamais eu l'intention de se rendre en Syrie. Jugement rendu le 10 mars.
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