Alain Cottalorda est sur tous les fronts. Depuis nos révélations du mercredi 3 mars (relire ici notre enquête), le président du conseil général de l’Isère se démène dans les médias pour répondre à Mediapart. Au Dauphiné libéré, àMidi libre, sur les ondes de France Bleu Isère, et dans un communiqué tombé ce vendredi 6 mars à 17 h 34 (à lire sous l’onglet Prolonger), il dément toute implication dans l’emploi au noir d’une employée roumaine qui s’était occupée de sa mère alors âgée de 96 ans, entre octobre 2013 et juillet 2014.
Dans son communiqué, l’ex-maire de Bourgoin-Jallieu nous demande « de reconnaître nos erreurs et de démentir nos contrevérités ». Et pourtant, derrière ses démentis de façade et ses circonvolutions, dans toutes ses interventions, il n’a fait que confirmer nos informations. Oui, une jeune Roumaine, Camélia P., a bien été employée dans l’illégalité pour s’occuper de sa mère à la santé fragile. Oui, elle était rémunérée « au noir », 1 200 euros mensuels par chèque bancaire. Oui, elle travaillait sept jours sur sept, sans jour de repos. Oui, elle était hébergée à demeure, à titre gratuit, dans la maison de ses parents. Non, elle n’a jamais été régularisée, malgré ses demandes. Oui, il l’a accompagnée en personne à la sous-préfecture pour déposer une demande de carte de séjour.
Pour sa défense, Alain Cottalorda rejette la responsabilité totale et entière sur ses parents nonagénaires. Il prétend n’avoir pris aucune part à cette situation. Mais n’apparaît jamais choqué, lui l’élu de la République, socialiste, de l’illégalité qu’il a eue sous les yeux pendant des mois. Pas de quoi choquer, apparemment, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll, qui décrivait dans Le Dauphiné libéré, jeudi 5 mars, Alain Cottalorda comme « un homme honnête et sincère », victime d’un « mauvais procès », « d’une forme d’inquisition ».
Il faut pourtant lire, écouter précisément chacune des phrases du président du conseil général de l’Isère. Et dissiper l’écran de fumée qu’il essaie de créer. Décryptage express.
- À propos de l’emploi « au black » de Camélia P.
Alain Cottalorda déclare à France Bleu Isère : « Ont-ils (ses parents – ndlr) commis une erreur en acceptant de l’héberger, de l’indemniser au black ? Objectivement, on m’avait clairement dit qu’il n’y avait pas d’autre solution, qu’il n’y avait pas de contrat de travail possible donc c’est pas au black. C’était un arrangement entre eux. » Soit une formidable invention qui ne figure pas encore dans le code du travail, ni même dans la loi Macron : « l’arrangement » entre un employeur et une employée.
Pour rappel, le travail dissimulé, l’une des fraudes les plus répandues en France, est un délit. La définition sur le site internet du ministère du travail est on ne peut plus claire : « Constitue ce délit, la dissimulation intentionnelle de tout ou partie d’un emploi salarié (absence de déclaration préalable à l’embauche, absence de bulletin de paie ou mention sur le bulletin de paie). » Est également réputé travail dissimulé « le fait pour l’employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales ». Peuvent être sanctionnés « l’auteur du délit, ceux qui en ont profité en connaissance de cause ou ont aidé à sa réalisation ».
- À propos de la situation administrative de Camélia P.
« Vous ne regrettez pas de ne pas vous être emparé de la question de ses papiers ? » le relance le journaliste de France Bleu Isère, Nicolas Cortez. Alain Cottalorda, le seul des enfants à vivre sur Bourgoin-Jallieu, répond : « Ce n’est pas facile de réécrire l’histoire. Aurais-je dû faire pression auprès du préfet pour obtenir en priorité une dérogation sur l’instruction de dossiers ? Ce n’est pas comme ça que je conçois les fonctions que j’ai exercées. (…) Ce n’est pas ma conception de l’engagement public. »
Lorsque Camélia P. arrive à Bourgoin-Jallieu, Alain Cottalorda l’accompagne à la sous-préfecture pour obtenir un titre de séjour provisoire valant autorisation de travail. Elle obtient un récépissé valable quatre mois d'octobre 2013 à février 2014. Le document précise qu’elle est domiciliée chez les parents Cottalorda. Leur fils Alain assure qu’il n’était pas possible pour sa famille de la régulariser, parce qu’elle n’avait pas de carte de séjour. Étonnant pour un élu de méconnaître à ce point les législations en vigueur.
Dès le 1er janvier 2014, la famille pouvait lui établir un contrat de travail en bonne et due forme puisque, à partir de cette date, les ressortissants bulgares et roumains étaient libres de travailler en France, sans aucune autorisation spécifique (lire ici le décryptage de Libération).
- À propos de la question de la responsabilité
« C’était l’affaire de mes parents. » C’est ce que l’élu répète partout, et c’était déjà sa ligne de défense lorsque nous l’avions interrogé.
Dans Midi libre, il met tout sur le dos de son père, Paul. Pratique, puisque ce dernier est décédé en décembre 2013. Selon le récit officiel, c’est donc lui qui, à 97 ans, aurait géré le recrutement et l’embauche de la jeune infirmière et aurait organisé son arrivée. Or, selon nos informations largement recoupées, que nous maintenons entièrement, Paul Cottalorda avait une santé très fragile. Selon un soignant qui le côtoyait régulièrement à l’époque, « il était incapable de gérer de telles formalités : depuis des années, il ne conduisait plus. Il était très fragilisé par son grand âge sur le plan de la santé. Ses journées, c’était lit-canapé-lit. Il fallait s'occuper de lui, de la toilette au repas ».
Camélia P. appuie-t-elle le président du conseil général ?
Pour appuyer sa défense, Alain Cottalorda dispose aujourd’hui d’une alliée de poids, l’employée elle-même, mise sous pression et tétanisée. Ce vendredi 6 mars, nous annonce Le Dauphiné libéré, sous la plume d'un journaliste politique, « l’employée roumaine défend son employeur ». Dans une « interview exclusive », la jeune femme annonce qu’elle « regrette si quelque chose de mal a été fait à M. Cottalorda », et refuse de se voir qualifiée « d’esclave » au service des Cottalorda.
Et pourtant, c’est bien ce terme qu’elle a employé, à plusieurs reprises, lors de nos entretiens téléphoniques, les 20 et 22 février, où la peur de parler, la peur des représailles l'habitaient. Elle avait à cette occasion longuement raconté sa situation de l’époque et confirmé toutes nos informations. Et c’est bien pour dénoncer ses conditions de travail qu’elle avait poussé, à trois reprises, la porte de la CGT locale, et non pour « des raisons de santé ».
D’ailleurs, contrairement à ce que laissent entendre le titre et la tonalité générale de l’article du Dauphiné libéré, Camélia P. ne dément en fait aucune des informations que nous avons révélées.
Remarquons qu’Alain Cottalorda qui, dans son communiqué, se présente comme un « fervent défenseur de la liberté d’expression et de la liberté de la presse », a tenté l’intimidation. Lundi 3 mars, avant la publication de notre enquête, par le biais de sa chargée de communication, il nous a fait savoir qu’il s’était entretenu de cette affaire avec le procureur et que ce dernier trouvait notre démarche « inadmissible » (relire nos échanges sous l’onglet Prolonger de notre enquête). Malgré nos nombreuses relances, il a toujours fermé la porte à un entretien, privilégiant un échange laconique et indirect, par écrit.
Aujourd’hui, il ouvre grand ses portes à la presse pour se défendre et ne se prive pas de se plaindre du « harcèlement » que nous lui aurions fait subir, à lui et à ses proches. Mais quand il évoque nos « méthodes douteuses », de quoi parle-t-il ? Nous avons simplement fait notre métier, en cherchant à recouper et confirmer nos informations et en donnant la parole à ceux que nous mettions en cause. On n’ose imaginer ce qu’il aurait clamé si nous n’avions pas pris la peine de nous conformer à ces standards élémentaires du journalisme professionnel.
Pour finir de se draper dans la vertu, le président du département de l’Isère fait part de ses soupçons. Mediapart se serait prêté à un coup politique tordu, à la veille des départementales. Il faut bien sûr comprendre que ce complot serait orchestré par la droite, et particulièrement par Alain Carignon, figure locale de l’UMP (lire ici son portrait). On le rassure. Mediapart ne trempe dans aucun complot et a simplement voulu signaler le comportement peu vertueux d’un élu. Mais aussi éclairer les coulisses peu reluisantes du monde de l’aide à domicile, que nous continuerons à explorer dans un prochain entretien avec le chercheur Jérôme Pellissier.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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