Quelle sortie de crise dans le Tarn autour du projet de barrage de Sivens ? Le conseil général doit annoncer vendredi 6 mars sa décision : créer un réservoir plus petit, 330 mètres en amont du site initial, ou installer des retenues collinaires en aval. Ce sont les deux options retenues par Ségolène Royal, à l’issue de la mission d’expertise commandée par son ministère (lire ici le rapport d’octobre 2014 de Nicolas Forray et Pierre Rathouis). La ministre a écrit aux élus départementaux fin février pour leur signifier que le projet initial de barrage devait être « définitivement abandonné » (voir sa lettre publiée par Le Tarn Libre) et qu’elle s’engage à indemniser le département des coûts occasionnés par les travaux (la zone humide du Testet a été déboisée en septembre dernier), en contrepartie de l’abandon « définitif et irrévocable des travaux ». Mais l’assemblée s’est réunie à huis clos lundi pour préparer le vote du 6 mars, sans qu’aucune position commune n’émerge, selon La Dépêche du Midi.
Un certain nombre d’élus plaident pour la construction d’une version réduite du barrage, tandis que les opposants, dont le collectif pour la défense de la zone humide du Testet, soutenus par un ensemble d’associations, refusent catégoriquement cette option. Chacun des scénarios validés par le ministère est jugé inacceptable par les uns ou les autres. Dans ces conditions, que peut annoncer le conseil général vendredi ? À quinze jours du premier tour des élections départementales, qui risquent de faire basculer le département à droite, il ne dispose ni du temps ni de l’autorité politique pour s’engager sur les suites du projet. Il pourrait décider de ne pas décider dans l’immédiat.
C’est exactement ce que veut éviter la FDSEA, dont des militants, accompagnés de membres des Jeunes Agriculteurs, bloquent les accès de la ZAD, empêchant ses occupants d’entrer et sortir, depuis le début de la semaine pour mettre sous pression l’exécutif tarnais. L’occupation du site du barrage est dénoncée par la majorité des élus, locaux mais aussi nationaux – notamment le député socialiste Jacques Valax – qui réclament au préfet, Thierry Gentilhomme, l’expulsion du site. Le représentant de l’État, déjà en place au moment de la mort de Rémi Fraisse, le jeune homme tué par les gendarmes en octobre, semble pris entre des injonctions contradictoires : d’un côté, celles du ministère de l’intérieur, qui veut mettre fin à la ZAD ; de l’autre, le ministère de l’écologie, qui veut en finir avec le projet de barrage.
Dans ce contexte extrêmement tendu, les arguments rationnels et les faits se perdent. Ainsi, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a déclaré mercredi (sur France Info) qu’il était « pour » un barrage plus petit et qu’« il faut être raisonnable et comprendre les besoins. 90 agriculteurs dans une petite vallée, ça mérite qu'on s'en occupe. »
90 agriculteurs ? C’est beaucoup plus que le nombre de bénéficiaires comptabilisés par les experts missionnés par le ministère de l’écologie. Dans leur rapport d’octobre 2014, ils estiment à 30 le nombre de bénéficiaires se situant « dans une optique de sécurisation/substitution » et à « environ 10 » le nombre d’éventuels nouveaux préleveurs (à lire ici p. 19). Selon les opposants, seules 19 personnes auraient besoin de l’équipement. Même la CACG, la société maître d’ouvrage du barrage, n’estime qu’à 80 le nombre d’exploitants souhaitant utiliser le barrage.
Selon un autre rapport d’experts du ministère, « Mission pour un projet de territoire du bassin du Tescou » (à lire ici, p. 80), le nombre de bénéficiaires du barrage peut même être revu à la baisse. En décembre 2014, ils ont invité à une réunion de travail 80 exploitations agricoles disposant de terres à proximité de la rivière Tescou, et donc susceptibles de demander un volume d’eau. Au moins 120 personnes sont venues, pas tous des agriculteurs. Les experts leur ont remis des questionnaires sur leurs besoins en eau, dont 33 ont été remplis sur place et remis. Les documents sont anonymes. Il en résulte que : seulement 16 personnes disent avoir pompé dans le volume d’eau qu’elles sont autorisées à prélever dans le Tescou. On est, encore une fois, loin des 90 agriculteurs décrits par Stéphane Le Foll.
Parmi les exploitants qui irriguent leur culture à partir de la seule rivière Tescou, seulement huit sont demandeurs de volume supplémentaire. Et quand on leur demande combien ils seraient prêts à payer pour cette eau, les réponses sont instructives : un ne veut rien payer, cinq « le moins cher possible ». Une personne est d’accord pour payer 10 euros par hectare, deux autres pour payer entre 20 et 30 euros par hectare. Or, à titre d’exemple, les volumes d’eau issus du barrage tout proche de Thérondel sont payés 25 euros par hectare pour un volume de 2 000 m3 par hectare. Au total, le nombre d’agriculteurs se disant prêts à payer environ le prix de l’eau qui sortira du barrage de Sivens s’élève donc à onze. On peut imaginer qu’ils soient plus nombreux une fois l’équipement en place.
Mais en plein drame local, aucune solution durable ne pourra être trouvée sans prise en compte rigoureuse et de bonne foi par les décideurs de la réalité du dossier.
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