Peut-on changer la politique par la politique ? Un parti peut-il s'affranchir des alliances politiciennes, déjouer les règles qui opèrent depuis des décennies et structurent la vie politique française et prendre le pouvoir ? Nouvelle Donne a officiellement vu le jour en novembre 2013 pour répondre à ces questions par l'affirmative. Quinze mois plus tard, malgré les 11 000 adhérents que revendique le parti et la campagne menée pour les européennes, Nouvelle Donne peine encore à émerger sur la scène politique française. Quelles sont les ambitions de ce parti ? Quelles idées y sont défendues et comment émergent-elles ? Comment les instances nationales sont-elles organisées ? S'interroger sur ces sujets, c'est tenter de savoir s'il encore possible de faire de la politique autrement.
Il est 21 heures, mercredi 28 janvier 2015, un petit bar du cossu XIVe arrondissement parisien accueille adhérents et sympathisants de Nouvelle Donne pour un débat sur « la lutte contre le chômage et la précarité en l'absence de croissance ». Un écran plat diffuse le quart de finale France-Slovénie des championnats du monde de handball. Dans la salle comble, personne ne semble prêter attention au match. Sur la scène improvisée, Jean-Marie Perbost, économiste et membre du parti, assure le show sous la forme d'un cours magistral combinant crise économique, progrès technique, chômage, horaires de travail, avenir de la société. Derrière l'universitaire en baskets et pull mauve aux couleurs du parti, une baie vitrée sur laquelle des personnes parmi son auditoire ont inscrit ce à quoi leur fait penser le mot « chômage ». « Licenciements, stress, délocalisation, peur, exclusion, variable d'ajustement, pression salariale » sont les quelques idées que l'on peut lire et à partir desquelles Jean-Marie Perbost organise son raisonnement.
« Je travaille dans le 95 à Garges-lès-Gonesse avec une population qui est très différente d'ici et j'aimerais bien savoir ce que fait Nouvelle Donne dans ces quartiers où l'engagement politique est bas. » Une jeune femme dans la salle vient de poser une des questions auxquelles Nouvelle Donne ne s'est pas encore préparé. « Pour l'instant, on a du mal à passer le mur des périphéries, admet Jean-Marie Perbost. Là-bas, on ne parle pas de la BCE (Banque centrale européenne - ndlr), il faut qu'on trouve les mots et il faut déjà rendre la parole. Nous devrions probablement y aller avec des interprètes, au sens sociaux. Il faut encore qu'on y travaille. » L'aveu de faiblesse est salutaire, il témoigne néanmoins d'une question commune à la plupart des partis politiques : à qui s'adressent-ils, qui représentent-ils ? Et d'une difficulté toujours non résolue d'intéresser au-delà du cercle d'académiciens, de décideurs, d'intellectuels. À la différence de nombreux partis politiques qui prétendent s'intéresser au sort des habitants des territoires relégués, Nouvelle Donne a au moins le courage d'avancer son incapacité (temporaire) à répondre à des problématiques propres aux banlieues. « Je ne pense pas que les Verts avaient dès leur naissance un avis sur tout », rétorque Isabelle Attard, la seule députée Nouvelle Donne.
Nouvelle Donne s'est construit sur quatre piliers : l'économie, l'écologie, le social et le renouvellement des pratiques politiques. Dans chacun de ces pôles, l'angle économique prédomine. L'influence du fondateur du parti spécialiste des questions économiques, Pierre Larrouturou, y est pour quelque chose. Ce fana des graphiques ne se balade jamais sans un stylo et une feuille de papier pour dessiner des courbes qui expliquent mieux que n'importe quel argument les inégalités qui se creusent, le budget des États miné par la dette, le niveau des taux d'intérêt auxquels prête la Troïka aux pays qui ont le plus souffert de la crise. « Ça fait vingt ans que je répète la même chose mais hélas tous les mois il y a des choses qui viennent confirmer ce que je raconte, qu'il n'y aura plus de croissance économique, qu'il faut diminuer le temps de travail. Je remets simplement à jour chaque année la courbe de la croissance », ironise-t-il.
Pierre Larrouturou est un vieux routier de la politique. Entré au parti socialiste à la fin des années 1980, il l'a quitté à trois reprises et la dernière fois qu'il y est revenu, ce n'est pas plus tard qu'en 2012 après la victoire de François Hollande. Au congrès de Toulouse des 26 au 28 octobre de la même année, la motion qu'il signe avec Stéphane Hessel emporte même près de 12 % des voix. Mais Pierre Larrouturou roule surtout pour lui-même. En 1995, il est déjà candidat aux élections présidentielles mais ne parvient à obtenir les 500 signatures. En 1998, Libération écrit qu'il « n'est pas loin d'adhérer au PRG ». En 2002, il se représente aux présidentielles sous la bannière de son nouveau parti qu'il a baptisé... Nouvelle Donne. Et ré-adhère au PS juste après la défaite de Lionel Jospin. Avant de quitter à nouveau le parti en 2009 pour rejoindre les Verts.
Nouvelle Donne est-il de gauche ou de droite ? « Notre objectif, c’est de créer une contre-révolution culturelle qui va sortir des clivages gauche-droite », déclare le nouveau porte-parole du parti Joseph Boussion. En interne, les gens ne parlent pourtant que d'alliances avec EELV et le Front de gauche aux prochaines élections. Et vu la réaction de Pierre Larrouturou, mi-étonné mi-moqueur à la récente annonce qu'un maire de droite puisse vouloir adhérer à Nouvelle Donne, le parti ne semble pas s'affranchir de l'échiquier politique traditionnel droite-gauche.
Sur le plan institutionnel, Nouvelle Donne s'est doté d'instances visant à renouveler les méthodes des vieux partis politiques. Avec d'un côté un bureau national où siègent des représentant(e)s élu(e)s au suffrage majoritaire et de l'autre un conseil citoyen, sorte de parlement interne organisé en commissions thématiques d'où sont censées émerger les idées du parti. Les membres du conseil citoyen, paritaire, sont élus par un jury d'adhérents tirés au sort, dix hommes, dix femmes. Aucun cumul des fonctions en interne ou en externe n'est permis. La députée du Calvados Isabelle Attard a ainsi dû quitter cette année son poste de co-présidente du parti.
Chaque personne qui exerce des responsabilités dans le parti doit soumettre son CV, une lettre d'attention ainsi qu'une vidéo de présentation de sa candidature. Nouvelle Donne est un des rares partis politiques (si ce n'est le seul) à rendre toutes ces informations publiques et aisément accessibles sur son site web.
Comme dans tout parti politique, les instances nationales ont un ancrage local qui prend ici le nom de collectifs. Nouvelle Donne en compte une cinquantaine.
Ces collectifs ont une assez grande marge de manœuvre quant aux idées qu'ils souhaitent mettre en débat. Tous suivent la charte éthique qui définit certains grands principes de transparence et de démocratie tels que le non-cumul des mandats, la liberté d'expression, le respect de la contradiction ou encore la publication des déclarations d'intérêts de chaque élu. La « justice sociale », « l'éradication de la pauvreté » ou encore « le respect des écosystèmes et du vivant » figurent parmi la liste des priorités inscrites dans la charte. Sur le plan des idées, plusieurs adhérents estiment être tout à fait libres de débattre de ce qu'ils souhaitent. Ce qui correspond au point numéro 20 de la charte : « Nous inventons et construisons une forme politique moderne, décentralisée, organisée en réseau, donnant les moyens à chacune et chacun de participer à un exercice démocratique plein et entier. »
Les nouveaux statuts soumis au vote des adhérents le 31 janvier 2015 éludent cependant un certain nombre d'aspects. L'ensemble du texte fait notamment référence à un règlement intérieur qui n'a pas encore été écrit : « D’autres droits et devoirs de l’adhérent peuvent être précisés au Règlement intérieur national », peut-on par exemple lire à l'article 5.
Certains collectifs ont voulu débattre des statuts en proposant une autre vision. C'est le cas de plusieurs collectifs (Alsace, Charente, Drôme-Ardèche entre autres). Ces derniers estiment avoir été « censurés » et avoir fait l'objet de représailles alors qu'ils questionnaient les nouvelles formes organisationnelles du parti. « Tous ceux qui voulaient qu’on parte de la base pour organiser le mouvement ont été écartés, stigmatisés », déclare Jean-François Saunoi, ancien responsable du comité local de Saintonge (à cheval sur cinq départements dans le nord de l'Aquitaine). « Tous ceux qui étaient opposés aux statuts n’ont pas pu s’exprimer », assure celui qui préside une association de déçus de Nouvelle Donne, les « néodoniens ». « Ils essaient de nous faire croire que tout part de la base mais tout se gère au bureau national », affirme Sylvia Langin, ancienne membre du collectif Drôme-Ardèche et également « néodonienne ». « Nous n’avons par exemple pas accès au fichier des adhérents. J’ai voulu envoyer des convocations aux membres du collectif mais on m'a empêchée de les diffuser », jure-t-elle.
Un petit tour sur l'intranet de Nouvelle Donne permet de voir l'arrière-vitrine du parti. Ce qui en ressort fait état de violentes querelles internes. L'ancien responsable de l'équipe numérique, Emmanuel Chaumery, devenu le 31 janvier dernier secrétaire national, n'a pas hésité à insulter les « néodoniens », « tout ce petit monde de peigne-cul », cette « bande de connards », sur le forum interne accessible aux 11 000 adhérents. « Personnellement, j'attends que les statuts soient votés pour lancer une opération de foutage de mon pied au cul à cette bande de salopards qui ne méritent que ça », écrit-il encore avant de répudier la charte éthique. « Qu'on ne me mette pas la charte en face de mes écrits, je m'en cogne. » Face à cette situation, Pierre Larrouturou se montre évasif, niant qu'il puisse y avoir des problèmes dans son entourage politique.
Pierre Larrouturou évoque plus volontiers ses soutiens, multiples : de la sociologue Dominique Méda à Bruno Gaccio, l'ancien parolier des Guignols de l'info sur Canal Plus, en passant par Michel Fugain. Certains pourraient s'avérer encombrants. Bruno Gaccio qui a lancé Nouvelle Donne avec Pierre Larrouturou a par exemple coécrit un livre avec Dieudonné en 2010 où il défend la liberté d'expression de l'humoriste déjà plusieurs fois condamné. « Avec Dieudo, ce qui semble problématique, c'est qu'il donne l'impression de ne pas toujours être un personnage (...) un humoriste est protégé par son statut », affirme-t-il dans un entretien réalisé au Théâtre de la main d'or.
Il arrive même que Pierre Larrouturou s'invente des soutiens imaginaires. « Laurent Pinatel (président de la confédération paysanne) m'a dit qu'il voterait pour Nouvelle Donne », a-t-il affirmé à Mediapart. Ce dont se défend formellement l'intéressé. « J'apprécie beaucoup Pierre Larrouturou. J'ai fait un choix de vie syndical. J'ai été élu sans étiquette sur ma commune durant dix ans. Je ne soutiens aucun parti et aucun candidat. » L'urgentiste Patrick Pelloux, membre de la rédaction de Charlie Hebdo, avait également accusé Pierre Larrouturou d'avoir utilisé son image sur des tracts de campagne sans son accord. « Je voulais les idées et ils ne voulaient que mon image », avait-il affirmé. Edgar Morin s'était lui aussi senti dans l'obligation de faire un démenti quant son soutien présumé à Nouvelle Donne. « Des quiproquos comme ceux-là, il y en a tous les jours », témoigne le co-fondateur du parti Patrick Beauvillard qui a fini par quitter le mouvement l'année dernière mais qui apparaît toujours sur le site du parti dans la section « Je m'engage ».
En dépit sympathie ne suis pas adhérent Nouvelle Donne, ne voterai pas pour européennes.Suis indépendant de tout parti. A faire savoir
E.M.
— Edgar Morin (@edgarmorinparis) 14 Mai 2014
« Même s'ils sont probablement bienveillants à l'égard de ce que l'on fait, je me suis rendu compte très vite que ces gens-là n'étaient pas autour de la table, affirme Patrick Beauvillard. Cela résulte d'une confusion entre ses rêves et ses réalités, ce que l'on croit avoir fait passer comme idée et ce qui est vraiment passé chez l'autre. » « Patrick n'était pas d'accord avec notre stratégie », répond simplement Isabelle Attard.
Le cas d'Isabelle Maurer – ancienne employée au RSA qui s'est fait connaître pour avoir tenu tête publiquement à Jean-François Coppé – est emblématique d'une situation qui pourrait rapidement se détériorer. Alors que le co-fondateur de Nouvelle Donne affirme encore aujourd'hui qu'il n'y a aucun conflit avec l'ancienne tête de liste aux européennes pour le Grand Est et qu'elle sera sûrement candidate aux cantonales, cette dernière n'est pas de cet avis. Elle avait d'ailleurs publié une lettre de démission que le parti avait refusé de diffuser à ses adhérents. « Les instances de direction de ce parti ne mettent pas en pratique les belles valeurs énoncées et dont elles se prévalent, écrit-elle. C'est donc sur la manière de conduire le parti au quotidien que j'ai été de plus en plus en désaccord, et en aucun cas sur le projet. »
Le départ d'Isabelle Maurer, dont le profil n'a pas non plus été enlevé du site du parti, que nie Pierre Larrouturou, illustre les dysfonctionnements en interne. Alors qu'elle est choisie début 2014 pour être tête de liste pour la région Grand Est aux européennes, elle doit avancer tous les frais de campagne. « À candidat exceptionnel, moyens exceptionnels », analyse Julia Pavlowitch, son éditrice. « Un parti qui prône l'aide aux plus pauvres et qui n'aide pas une de ses candidates au RSA, c'est un manquement grave. Dans le cas d'Isabelle, ça a été un véritable suicide, elle faisait campagne mais n'avait pas de quoi bouffer. »
Pierre Larrouturou et Isabelle Attard concèdent des erreurs qu'ils mettent sous le coup de la jeunesse du parti. « On n'a pas su accompagner avec des directeurs de campagne certains de nos candidats », affirme Isabelle Attard. « Elle aurait pu vraiment incarner les valeurs de solidarité de Nouvelle Donne mais elle s'est retrouvée seule après la campagne, sans connaissance de l'appareil », ajoute son éditrice.
Aussi dommageables puissent être ces erreurs, « aucun parti n'est parfait », déclare Pierre Larrouturou. Des départs si brutaux posent question quant à la capacité de proposer une alternative crédible aux partis politiques actuels. Patrick Beauvillard, un des co-fondateurs de Nouvelle Donne, ne se fait plus d'illusions. « Je crois que ce parti va dans le mur », affirme-t-il. Celui qui a pensé le fonctionnement interne du parti confie avoir définitivement tiré un trait sur Nouvelle Donne à l'issue d'un dîner avec Pierre Larrouturou, Isabelle Attard et Jean-Luc Mélenchon. « On discutait d'exactement l'inverse de ce que l'on venait de défendre en conseil national trois heures avant, on faisait du politicien. Je ne veux plus être complice de ce genre de trucs, conclut-il, faire semblant de décider collectivement alors qu'à la fin les décisions sont prises par une seule personne. »
Avec un chef de parti qui a plus de vingt ans d'expérience politique derrière lui, des querelles internes qui phagocytent les débats de fond, certains peinent à voir le renouvellement de la vie démocratique que prône Nouvelle Donne. « Attention de ne pas transformer la juste cause en patriotisme de parti », alerte le député PS frondeur Pouria Amirshahi. Alors que les dernières législatives partielles dans le Doubs n'ont vu que 40 % des inscrits aller voter, l'enjeu est de taille. Un nouveau parti politique peut-il encore se permettre de ne pas être irréprochable ?
BOITE NOIREJ'ai rencontré la plupart des personnes citées dans cet article entre le 10 janvier et le 25 février 2015. Sauf mention contraire, les autres personnes interviewées ont été contactées par téléphone à la même période.
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