La campagne des élections départementales, assez morne, commence tout juste. L'abstention pourrait atteindre un sommet : pour la première fois, tous les cantons sont renouvelés en même temps, ce qui colore le vote d'une portée nationale évidente, sur fond de défiance vis-à-vis des partis traditionnels. La gauche, qui dirige 60 départements sur 100, s'attend à une lourde défaite. Le PS devrait particulièrement souffrir.
Mais au vu des candidatures compilées par le ministère de l'intérieur, que l'on peut consulter ici (format Excel), le scrutin des 22 et 29 mars donnera aussi lieu à un relatif renouvellement de la classe politique locale.
Les assemblées élues à l'issue des élections départementales seront ainsi, pour la première fois, strictement paritaires : 2 050 hommes, 2 050 femmes. Dans chaque canton (redécoupés et agrandis, les cantons ont vu leur nombre divisé par deux), les électeurs voteront non pas pour un candidat, mais pour un binôme femme-homme. L'un et l'autre siégeront.
Jusqu'ici, les conseils généraux (désormais rebaptisés "conseils départementaux") étaient des réserves d'hommes : 13 % de femmes seulement, 12 départements sur 102 avec moins de 10 % d'élues, et seulement 5 femmes présidentes. Cancres de la parité, les conseils généraux seront demain les seules assemblées avec moitié d'hommes et moitié de femmes, loin devant l'Assemblée nationale, le Sénat ou les conseils régionaux. Quinze ans après la première loi sur la parité hommes-femmes, il aura fallu l'imposer, et plus seulement l'encourager par des pénalités financières, pour qu'elle soit enfin réalisée.
Cliquer sur la carte pour afficher la couleur politique des conseils généraux :
Non représentés sur la carte : Guadeloupe (PS), Martinique (gauche), Guyane (indépendantistes), Réunion (UDI), Mayotte (gauche)
Au-delà de la parité, l'effet rajeunissement devrait être palpable. Pas difficile, cela dit, tant les conseillers généraux sortants sont vieillissants. Aujourd'hui, 6 conseillers généraux sur 10 ont plus de 60 ans. Et il y a plus d'élus de 80 ans (1 %) que de moins de 30 ans (ils ne sont que 10, soit 0,25 % !). Selon les données du ministère de l’intérieur, seuls 2 200 des 18 193 candidats à cette élection sont des sortants. Dans l'hypothèse (improbable) où tous seraient réélus, le taux de renouvellement n'atteindra pas 50 %. « D'habitude, c'est 60 à 70 % », relève Aurélia Troupel, maître de conférences à l'université de Montpellier 3 et chercheuse au Cepel. Certains conseillers généraux qui s'étaient représentés en 2011 pour un mandat écourté ont cette fois jeté l'éponge. Surtout, les règles chamboulées (cantons redécoupés et donc plus grands, règle du binôme) ont découragé un certain nombre d'élus à se représenter. Les partis ont d'ailleurs eu du mal à recruter des candidats.
Autre vieille habitude en perte de vitesse : le cumul d'un mandat de parlementaire avec celui de conseiller départemental. Et pour cause : d'après la loi votée par la majorité actuelle (qu'une grande partie de l'UMP veut abroger), le cumul entre une fonction exécutive locale (président ou vice-président de conseil régional ou général, maire, etc.) et un mandat de sénateur ou de député sera interdit en 2017. Certains ont donc anticipé la règle.
D'après des données compilées par l'Observatoire de la vie politique et parlementaire (OPP), en partie publiées par Le Monde, 61 députés se présentent à ces élections, ils étaient 101 jusqu'ici à siéger dans les conseils généraux. 46 sénateurs sont candidats — ils étaient jusqu'ici 94.
Sur ces 91 parlementaires candidats, 33 sont tout de même des présidents de conseils généraux bien décidés à rempiler. Parmi eux, l'inamovible ex-socialiste Jean-Noël Guérini (Bouches-du-Rhône), triomphalement réélu aux dernières sénatoriales ; les centristes François Sauvadet (Côte-d'Or) ou Maurice Leroy (Loir-et-Cher) ; les anciens ministres UMP Dominique Bussereau (Charente-Maritime), Hervé Gaymard (Savoie) et Patrick Devedjian (Hauts-de-Seine) ; l'UMP Éric Ciotti (Alpes-Maritimes) ; les socialistes Jean-Louis Destans (Eure), Philippe Martin (Gers), Henri Emmanuelli (Landes), Thierry Carcenac (Tarn), etc.
Le mandat de conseiller général séduit d'ailleurs peu les maires nouvellement élus dans les plus grandes villes. Toujours selon l'OPP, seuls 38 des 145 maires des villes de plus de 20 000 habitants élus pour la première fois en 2014 sont candidats aux départementales. Aux deux tiers, ce sont d'ailleurs des élus de la région parisienne, quasiment tous UMP ou UDI, qui espèrent jouer un rôle politique dans la future Métropole du Grand Paris. Cette nouvelle collectivité, officiellement créée le 1er janvier 2016, sera dominée par la droite, piètres performances de la gauche aux municipales de 2014 obligent.
Cliquer ici pour afficher la carte (site du ministère de l'intérieur, pdf)
Ces départementales permettront-elles donc de dépoussiérer la vie politique ? La politiste Aurélia Troupel a des doutes. Car ce renouvellement, s'il est réel, risque de concerner un échelon de plus en plus marginal dans le système politique. Elle prend l'exemple de la parité. « On devrait se réjouir de la parité réelle dans les conseils généraux qui étaient des bastions masculins, dit-elle. Mais en même temps, on réalise la parité dans les départements alors même qu'ils perdent de leur aura. » D'après elle, le faible nombre de sortants qui se représentent est d'ailleurs « un signe de la démonétisation du conseil général » dans le grand chambardement de la réforme territoriale en cours.
Jusqu'à présent, les conseillers généraux étaient en effet des notables locaux très implantés, cumulant dans 98 % des cas avec un autre mandat (mairie ou conseil municipal, intercommunalité, Parlement, etc.). Un mandat de conseiller général garantissait une longévité politique locale et constituait une étape clé dans une carrière politique, ouvrant souvent la voie à des mandats nationaux. « L'ancrage et la stabilité étaient une vraie spécificité du conseil général. Mais le mandat est en train de perdre de son attrait et de son lustre », explique Aurélia Troupel.
La faute au changement de mode de scrutin qui dilue les vieilles notabilités dans des cantons plus étendus, à la baisse des dotations de l'État, qui rend l'exercice du mandat plus difficile, surtout dans les zones rurales. Mais aussi à la réforme territoriale. « L'avenir incertain du département ne suscite pas les vocations, poursuit la chercheuse. Cet échelon est sur la sellette depuis des années. François Hollande et Manuel Valls ont même annoncé sa suppression l'an dernier. Il a finalement obtenu un sursis mais ses compétences futures ne sont pas encore claires. ». De fait, la loi sur les compétences précises des départements dans la nouvelle organisation territoriale est encore en discussion au Parlement et ne sera pas votée avant les élections…
En réalité, toute la « hiérarchie des mandats » est en train d'être bouleversée avec la montée en puissance des régions, des métropoles et des intercommunalités, au détriment des villes et des départements. « Pour ces départementales, de nombreux élus font l'impasse et préfèrent se concentrer sur les régionales de décembre 2015 », explique la chercheuse.
Pour évaluer la profondeur du renouvellement à l'occasion de ces départementales, il faudra par ailleurs se pencher sur le pedigree des élus de la fournée 2015. Rien ne dit en effet qu'ils cesseront de cumuler, le cumul des mandats dans le temps et le cumul des mandats locaux n'ayant pas été limités par la loi. Il faudra aussi être attentif au nombre de femmes élues présidentes ou vice-présidentes : les hommes continueront-ils de s'accaparer majoritairement ces postes, malgré la parité intégrale dans les assemblées ? Resteront-elles, comme c'est le cas aujourd'hui cantonnées à certains rôles (le social, la culture, etc.) ?
Enfin, il faudra mesurer si ces élections ont permis de faire émerger de nouveaux profils (plus de classes populaires, davantage de salariés du privé, plus de citoyens d'origine immigrée). « Notre classe politique est trop étroite, du fait du cumul des mandats. (...) Lorsque de nombreuses catégories – les descendants de migrants, les jeunes, les femmes – ont le sentiment d’être exclues de la représentation, un dysfonctionnement se produit au regard des exigences démocratiques », expliquait récemment la politologue Dominique Schnapper devant le groupe de travail de l'Assemblée nationale sur l'avenir des institutions, rappelant le crash politique de la Marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983. Confisquée par le parti socialiste, celle-ci « a laissé à ses participants le sentiment d’avoir été manipulés et de n’avoir pas reçu la place qu’ils réclamaient dans le système politique ». Trente ans plus tard, cette relégation est plus que jamais d'actualité.
BOITE NOIRECorrection: le nombre de députés candidats est de 61, et non de 45 comme écrit par erreur.
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