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Contrôle au faciès : l'Etat esquive le débat au tribunal

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Treize Français se retrouvent une nouvelle fois devant la justice pour exiger réparation à la suite des contrôles au faciès dont ils se disent victimes. De Besançon, Lille, Paris, Lyon, ils ont pour point commun de faire l'objet de vérifications d'identité à répétition, une à deux fois par mois, parfois plus, et assurent que ces « contrôles de routine » se basent essentiellement sur des critères de race. Un jugement en leur faveur serait une première en France. 

© Hervé Pinel

Dans un cas d'action collective comme celui-ci, le contexte est au moins aussi important que les textes auxquels les avocats font référence. Premièrement, la lutte contre le « délit de faciès » était l'engagement numéro 30 du candidat François Hollande. D'autre part, entre le jugement en première instance que nous avions suivi (voir la triste farce du contrôle au faciès) et l'audience en appel, un rapport du défenseur des droits, Jacques Toubon, est venu perturber la procédure. Ce dernier a affirmé le 3 février 2015 que « les autorités ont le devoir de prendre des mesures visant à prévenir et réprimer les actes discriminatoires ». Il a également conclu dans son rapport que « les mesures visant à encadrer davantage les contrôles d'identité doivent s'accompagner de garanties dans la mise en œuvre du dispositif, en vue de protéger le justiciable des risques d'abus et d'arbitraire. » 

C'est donc dans ce contexte que Me Slim Ben Achour a débuté sa plaidoirie. « Eux, quand ils sont quinze, ils portent leurs couilles, mais quand vous n’êtes plus que deux il n’y a plus personne ». C'est ainsi qu'un agent de police s'est adressé à deux des personnes qu'il a contrôlées. Au-delà de la familiarité, Me Ben Achour se demande à qui peut bien s'adresser une telle formulation. « Tu ressembles à Ronaldihno », avait aussi fait remarquer un policier à un autre des plaignants. Le dernier cas recensé par l'avocat est particulièrement édifiant : « Tu es en vacances, tu ne travailles pas ? Faites vite de trouver un travail parce que si Sarko repasse tu ne pourras plus rester comme ça (sic) ».

Les faits en eux-mêmes ne sont pas contestés. Mais dans huit des treize cas, l'Etat a été en mesure de justifier huit réquisitions judiciaires. « Les quartiers où ont été réalisés les contrôles sont des quartiers très sensibles », a rétorqué l'avocat général Claire Litaudon. Pour trois des plaignants qui ont été contrôlés à la Défense, l'argument paraît difficile à avaler. « Ce n'est pas acceptable que l’Etat ait tenté de justifier l’injustifiable », a défendu Me Felix de Belloy.

« Le problème n’est pas que le contrôle intéresse des noirs et des arabes, mais c’est qu'on les contrôle parce qu’ils sont noirs et arabes, lance Me Ben Achour. Ils savent qu’ils sont les boucs-émissaires de nos sociétés, ils sont même visés par des partis politiques ou dans des livres qui se vendent comme des petits pains... au chocolat, je serais tenté de dire ». Rires dans la salle, seul le juge semble impassible.

« Le parquet soutient la position de l’Etat de manière surprenante, poursuit l'avocat, il n’y a pas la trace d’une politique pénale du parquet en la matière ». Me Ben Achour s'en remet donc aux textes européens, supranationaux. « La vérité c’est que les autorités ne savent pas comment sont réalisés les contrôles. Y’a-t-il une audition, un registre, un récépissé de contrôle ? Certains sont contre parce que ça fait de la paperasse, argue-t-il, or la Cour Européenne des droits de l’homme dit que les considérations administratives ne peuvent pas empêcher l’exercice du droit. »

Me Ben Achour cite également quelques cas outre-atlantique qui ont marqué l'actualité comme la condamnation l'année dernière de la police de New-York (lien en anglais),  pour avoir violé les droits constitutionnels des minorités. « Il est plus facile pour un juge new-yorkais que pour vous de procéder à une condamnation au motif de contrôle au faciès et pour cause de discrimnations systémiques », plaide-t-il. 

Le second avocat des plaignants Me Felix de Belloy a pris le relais. Dans un argumentaire plus technique, il a tâché de pointer la « zone de non droit » dans laquelle se situent les contrôles d'identité. Faisant référence à l'article 78-2 du code de procédure pénale qui encadre strictement la procédure de justification d'identité, Me Belloy a souligné que les plaignants qu'il défendait n'étaient pas concernés par d'éventuelles tentatives d'infraction. « L’agent ou l’officier de policier judiciaire ne peut contrôler une personne qu’en raison d’un comportement et que ce comportement évoque dans l’esprit du policier une suspicion », a-t-il pris soin de préciser avant d'interroger le juge : « Dès lors qu’il n’est jamais demandé au policier de devoir expliciter son contrôle, à quoi a-t-il servi de légiférer sur les contrôles d’identité ? »

« L'infraction est là ! », assène-t-il dans un élan qui semble être le coup de grâce. « Cette situation qui consiste pour l’Etat et la police à complètement ignorer le cadre légal dans lequel ils sont censés intervenir, est illégale. » En conséquence, le plaideur réclame 10 000 € pour chacun de ses clients. 

Au tour du représentant du défenseur des droits de prendre la parole. Au bout d'une plaidoirie d'une demi-heure assez inattendue durant laquelle il cite l'article 14 de la Cour européenne des droits de l'homme qui stipule que « la jouissance des droits et des libertés doit être sans distinction de race »il finit par rejoindre les thèses des deux avocats des plaignants. « C’est à l’Etat et non aux demandeurs de prouver qu’il n’y a pas eu pratique discriminatoire », conclut-il. 

« Le défenseur des droits a décidé d’utiliser cette audience comme une tribune médiatique, balaie d'emblée l'avocat général qui défend l'Etat. Je ne suis pas là pour juger la théorie, je suis là pour juger les faits ». Plutôt que d'évoquer le contexte de cette affaire, Claire Litaudon a fait le choix de s'en tenir au plan technique en éludant toute référence au contexte évoqué plus tôt. « Nous sommes devant la Cour d’appel qui doit décider de questions déterminées. Pour l’heure il n’y a pas de récepissé qui soit prévu. Demander de condamner l’Etat, c’est changer la loi ».

© Hervé Pinel

« Dans chacun de ces dossiers le contrôle est justifié, je n’ai pas à le démontrer. » Dans un réquisitoire beaucoup plus court que les plaidoiries de ses contradicteurs, l'avocat général a lavé l'Etat de toute responsabilité tout en admettant que le contrôle au faciès n'était « pas une fable », que cette pratique était « condamnable » mais que ce n'était tout simplement « pas l'objet du débat ». « Le seul rôle de la Cour est de savoir si dans ces 13 dossiers le tribunal a correctement appliqué le droit », a-t-elle expliqué.

Lors d'une dernière prise de parole d'à peine plus de cinq minutes, la procureure de la République a estimé que les contrôles des agents de police ont tous été « conformes » à l’article 78-2. « Si le défenseur des droits réclame des contrôles plus restrictifs, ce n’est pas devant cette tribune mais au Parlement. Seule une modification législative pourrait lui donner satisfaction, a-t-elle conclu. 

Délibéré le 24 juin 2015. 

  • Les dessins qui illustrent cet article sont extraits de la bande dessinée d'Hervé Pinel, réalisée pour la fondation Open society justice initiative. Elle banalise les arguments juridiques au cœur des débats dans la procédure d'appel concernant 13 personnes contre l'Etat pour contrôles d'identité discriminatoires. Ci-dessous les deux planches de cette BD.

© Hervé Pinel

© Hervé Pinel

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