En France, toute personne fichée peut théoriquement accéder aux données la concernant enregistrées dans le TAJ (traitement des antécédents judiciaires) et les faire rectifier en cas d’erreur. Cet énorme fichier de police est né en 2014 de la fusion des fichiers d’antécédents judiciaires de la police (Stic) et de la gendarmerie (Judex). Quelque 9,5 millions de personnes « mises en cause » y sont fichées, sans compter les victimes également enregistrées. Le droit d’accès à ces données s’exerce de façon indirecte, via la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
Seulement les délais sont très longs : en moyenne 12 à 18 mois, bien au-delà des 6 mois prévus par les textes, comme la Cnil l’avait déjà dénoncé en juin 2013. Certains dossiers sont même « en souffrance depuis 2010 », précise la Cnil. Or ces retards peuvent être très dommageables pour les personnes concernées, le TAJ étant consulté non seulement dans les enquêtes judiciaires mais également dans les enquêtes administratives concernant des emplois sensibles (casinos, sécurité privée, aéroports, etc.).
Sans doute lassée de prêcher dans le désert, la Cnil a mis en demeure le 2 février 2015 le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice de respecter les délais légaux. Et a décidé de rendre publique cette décision ce 23 février « au regard des conséquences négatives qui peuvent résulter pour les personnes d'un tel non-respect des textes applicables (notamment s'agissant de refus d'agréments et de pertes d'emplois). » « 20 % des demandes d’accès aux données enregistrées dans les fichiers Stic et Judex reçues en 2012 par la Cnil sont toujours en cours d’instruction, écrit Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission. Ce nombre s’élève à 60 % pour les demandes reçues en 2013 et à 80 % pour celles reçues en 2014. »
Pour accéder au TAJ, la Cnil doit s’adresser aux services de police et de gendarmerie, gestionnaires du fichier. Ces derniers ont alors un mois et demi pour saisir le ou les parquets concernés (là où les faits ont été commis). Puis les magistrats disposent à leur tour de trois mois pour répondre et indiquer les suites judiciaires données à l’affaire. Un magistrat de la Cnil peut alors vérifier la fiche en question, demander des rectifications en cas d’erreur, puis en informer la personne concernée.
En cas de relaxe et d’acquittement, les fiches concernées doivent par exemple être effacées. De même, les non-lieux et les classements sans suite doivent être mentionnés sur les fiches. Mais les procureurs oublient bien souvent de transmettre au ministère de l’intérieur les décisions de justice favorables aux personnes fichées. En 2008, la Cnil avait constaté que 83 % des données contrôlées à la demande de ceux qui y étaient fichés comportaient des erreurs ou des informations illégales. En 2012, ce nombre avait chuté à 40 %.
Selon la Cnil, la responsabilité de ces délais de traitement est partagée entre les services de police, gestionnaires du TAJ, et la justice, chargée de sa mise à jour, qui semblent avoir engagé un concours de lenteur. La commission cite le cas d’une demande adressée en mai 2013 à la police qui ne l’a transmise à la justice qu’en septembre 2014, soit 16 mois plus tard. Dans le sens inverse, la police attendait toujours début décembre 2014 la réponse d’un parquet à une demande d’accès au TAJ transmise par la Cnil en mars 2012.
« En outre, les parquets n’ont pas apporté de réponse dans 34 % des 2 497 affaires judiciaires (résultant de 960 demandes d’accès indirect) ayant fait l’objet de vérifications sur place par la Cnil en 2014 », poursuit la mise en demeure. Selon la Cnil, « ces faits constituent un manquement » à la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 qui a créé un droit d’accès indirect aux fichiers de police. La chancellerie et Beauvau disposent désormais de trois mois pour traiter le stock de demandes en retard et enfin respecter les délais réglementaires pour les nouvelles demandes. Passé ce délai, la Cnil pourra envisager des sanctions.
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