La submersion est lente, mais le fond est proche. La Mutuelle des étudiants est en cours de démantèlement : entre d'une part, l’assurance maladie qui assumerait la gestion de la sécurité sociale étudiante ; et de l'autre, une mutuelle ou un assureur qui reprendrait l’activité complémentaire santé de la LMDE. Quatre acteurs sont sur les rangs : la Mutuelle nationale territoriale (MNT), la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), la Macif, qui est une mutuelle d’assurance, et Axa. Si le numéro un mondial de l’assurance remportait la mise, ce serait un ultime dévoiement pour la sécurité sociale étudiante, créée en 1948 et gérée par les étudiants.
Contacté, le ministère de l’enseignement supérieur, qui gère le dossier, conteste tout « discours alarmiste. La LMDE cherche de nouveaux partenaires et suscite un intérêt économique ». William Martinet, le président de l’Unef, le seul syndicat étudiant à siéger au conseil d’administration de la mutuelle étudiante, est sur la même ligne : « Le fait que des investisseurs privés s’intéressent à cette mutuelle prouve qu’il existe un modèle économique viable. » Mais il rappelle que « l’assemblée générale doit se prononcer sur le nouveau projet. De notre côté, nous excluons d’avoir un partenaire assurantiel ».
Le syndicat étudiant a-t-il réellement le choix de ses interlocuteurs ? Les administrateurs issus de ses rangs ont tous été suspendus l’été dernier par une mise sous administration provisoire. Seule aux commandes, l’administratrice provisoire Anne-Marie Cozien décrit « un dossier qui ne se présente pas très bien. On demande d’abord au repreneur d’avoir envie : il faut trouver un modèle économique, accepter de remonter des fonds propres négatifs de 10 millions d’euros… ». Un candidat mutualiste à la reprise, qui a exprimé de simples « intentions », confirme : « Nous avons encore beaucoup de questions et de réserves. »
La défection de la plus importante mutuelle de France, la MGEN, soutien historique de la LMDE, a de quoi refroidir. Elle a abandonné un projet d’adossement amorcé dès 2012, et qui devait s’achever par la reprise de l’activité complémentaire. Ses motivations restent confuses : relations conflictuelles avec l’administratrice provisoire, mais aussi authentique « ras-le-bol » devant les sorties de route répétées de cette petite sœur étudiante, déjà sauvée par deux fois de la banqueroute, en 2000, après le scandale de la Mnef, et en 2012. Et elle a surtout une vision précise des comptes de la LMDE, puisqu’elle héberge sa direction financière. Ils paraissent dans le plus grand désordre : depuis plusieurs mois, des chiffres contradictoires circulent sur les sommes dues aux étudiants, car jamais remboursées, notamment depuis l’épisode de la restructuration catastrophique de 2012-2013 : la LMDE devrait entre 1 et 5 millions d’euros à ses étudiants.
La Mutualité, l’organisation qui regroupe l’ensemble des mutuelles, perd patience. Mais peut-elle pour autant laisser Axa mettre la main sur un précieux portefeuille d’étudiants, peu malades, donc rentables ? « Nous n’avons aucune envie de voir filer la LMDE, mais il y a un peu de lassitude… », confirme un possible repreneur mutualiste. En plus du déficit de 10 millions d’euros, il y a des créances à effacer, à hauteur de 25 millions d’euros, partagées entre la Matmut et la MGEN : « Nous n’accepterons pas de reprendre cette dette », précise-t-il. Et dans ce tour de table, où se joue l’avenir de la LMDE, pour l’heure, « chacun attend que l’autre bouge ».
La situation est pourtant urgente : la trésorerie de la LMDE ne lui permettra pas de passer l’année. L’administratrice provisoire Anne-Marie Cozien a demandé et obtenu de la justice la mise sous sauvegarde judiciaire de la mutuelle, le 9 février dernier. Les dettes sont temporairement gelées, « à l’exception des remboursements dus aux étudiants, précise Anne-Marie Cozien, pour lesquels l’assurance maladie et la LMDE ont accepté de se porter garantes ». Dans le pire des scénarios – la liquidation de la mutuelle – les étudiants seront donc remboursés. La procédure de sauvegarde accorde six mois à la LMDE pour élaborer un plan de sauvegarde en deux temps. Les discussions sont avancées avec l’assurance maladie, qui est prête à reprendre la gestion de la sécurité sociale du million d’étudiants affiliés à la LMDE, et 480 emplois. Mais ce premier acte est suspendu au second, la reprise de l’activité complémentaire (300 000 adhérents), plus hypothétique.
Dans ce nouveau schéma, que reste-t-il de la LMDE ? « Nous allons nous recentrer sur les procédures d’affiliation des étudiants, dans les universités, et sur les actions de prévention, qui sont les plus-values de la gestion étudiante. Et nous aurons notre mot à dire sur l’offre complémentaire, qui doit répondre aux besoins spécifiques des étudiants, explique le président de l’Unef, William Martinet. Nous sommes convaincus qu’il existe une porte de sortie vers un modèle qui fonctionne mieux, et qui fasse une place aux représentants des étudiants. Mais il faudrait que tout le monde accepte de mettre les mains dans le cambouis... » Le président de l’Unef vise ici la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), l’autre grande organisation étudiante qui, depuis 2004, ne présente plus de candidats aux élections au conseil d’administration de la LMDE, et laisse donc l’Unef seule à la barre de la mutuelle. Depuis 2012, la Fage réclame même la fin du régime autonome de sécurité sociale étudiant. « On ne reviendra pas dans le jeu, confirme son président Alexandre Leroy. Nous ne serons pas les idiots utiles d’un statu quo. »
Cette nouvelle organisation pourrait-elle améliorer le service rendu aux étudiants ? Même transférée à l’assurance maladie, la gestion du système de sécurité sociale étudiant reste d’une complexité folle. Auparavant couvert par leurs parents, les jeunes prennent leur autonomie lorsqu’ils deviennent étudiants. Ils sont alors affiliés à la sécurité sociale étudiante pour une durée de trois ans en moyenne, et reçoivent leur propre carte vitale. Cette procédure est lourde, compliquée par la persistance de formulaires papier d’affiliation dans de nombreuses universités. Et puisqu’il existe plusieurs organismes de sécurité sociale étudiante (la LMDE et le réseau des SMER), les étudiants doivent, en prime, se ré-affilier tous les ans, pour préserver le jeu de la concurrence. « Est-ce que l’assurance maladie sera prête à la rentrée ? » s’interroge la sénatrice UMP Catherine Proccacia, auteur d’un rapport d’information en 2012 sur la sécurité sociale étudiante et d’une proposition de loi adoptée par le Sénat, qui prévoit la suppression pure et simple des mutuelles étudiantes.
D’autres évolutions sont possibles, qui préservent un droit de regard des étudiants sur leur sécurité sociale. En voici deux, parmi d’autres. L’Unef propose de mettre fin au duopole, c’est-à-dire à la coexistence de la LMDE et du réseau des SMER régionales, en créant une seule mutuelle étudiante. La Fage réclame la fin du régime autonome de sécurité sociale des étudiants : ils réintégreraient l’assurance maladie, mais participeraient à son conseil d’administration, aux côtés des représentants des salariés et des employeurs.
Le seul à camper sur une position de statu quo est le gouvernement, qui gère au fil de l’eau : « Une suppression du régime n’est pas à l’ordre du jour, explique le ministère de l’enseignement supérieur. On ne veut pas jouer avec le feu. Nous prenons les choses étape par étape. » Pour la sénatrice UMP Catherine Proccacia, « il n’y a pourtant que la gauche qui peut mener cette réforme, mais l’immobilisme est complet ».
En attendant, les étudiants continuent à pâtir d’un service rendu défaillant, et la situation est aussi difficile pour les 600 salariés de la LMDE, qui vivent au rythme des plans sociaux et des plans de sauvegardes. « On essaie de garder notre motivation, on fait le maximum, mais ce n’est pas facile, témoigne une salariée d’un centre de traitement. Nous assumons, tant bien que mal, les décisions de nos dirigeants. En 2011-2012, au moment du plan social, la désorganisation était totale. Les choses s’arrangent depuis, les feuilles de soins sont traitées presque au jour le jour. Mais il reste des problèmes avec les feuilles de soins des étudiants en affection longue durée ou à la CMU, les étudiants les plus malades et les plus pauvres. Elles sont mises de côté et traitées plus tard. Cela nous rend malades. Je ne sais pas d’où vient le problème, sans doute d’un manque de personnel. Nous savons qu’il faut que les choses changent. »
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