Entêtés. Butés. Incorrigibles. Les députés persistent à refuser tout contrôle véritable sur l’utilisation qu’ils font de leur IRFM, cette indemnité de 5 800 euros par mois versée à l’aveugle par l’Assemblée nationale et destinée à couvrir leurs frais de mandat. Cette semaine, le Palais-Bourbon vient ainsi d’accoucher d’une « réformette », un consensus minimal lâché par les différents groupes politiques après deux ans de réflexion interne et trois ans de polémiques.
Depuis 2012, Mediapart a pourtant révélé les abus à répétition commis par certains parlementaires, qui ont financé ici des vacances en famille, là un séjour sur la Côte d’Azur en voilier, ici un chèque pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, là un don à un micro-parti. Avec cet argent public, Jérôme Cahuzac a tout bonnement fait ses emplettes chez un vendeur de piscines.
Quelque 40 millions d’euros d’argent public sont ainsi distribués chaque année aux députés (à côté de leur « salaire » de base de 5 300 euros net). Certains thésaurisent beaucoup, voire s’enrichissent – jusqu’à 200 000 euros sur cinq ans de législature. Mais seule une proportion minuscule de l’hémicycle déclare un « surplus » en fin de mandat, puis le restitue à l’Assemblée nationale. Après les législatives de 2012, le Palais-Bourbon n’a ainsi récupéré que 500 000 euros d’IRFM non utilisés, dont plusieurs centaines de milliers d’euros reversés par une seule et même élue parisienne.
Au fil des ans, cette indemnité « professionnelle » a tellement été considérée comme un complément de salaire que plusieurs divorcés se plaignent aujourd’hui que leur IRFM ait été prise en compte pour calculer le montant de la pension alimentaire de leur épouse !
Inévitablement, le parlement français se retrouve humilié par le groupe anticorruption du Conseil de l’Europe (le Greco), qui a dénoncé l’an dernier un manque de transparence sur les moyens matériels des élus pouvant « donner lieu à des pratiques clairement inacceptables ».
En réponse à ces dérives, l’Assemblée nationale fait aujourd’hui un pied de nez à tous les citoyens, à toutes les associations, ainsi qu’à toutes les autorités indépendantes (dont la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), qui attendaient une réforme de l’IRFM suffisamment radicale pour contrer l’antiparlementarisme galopant. Car c’est bien l’absence de contrôle qui produit cette suspicion généralisée – alors qu’une traque et un traitement des dérives individuelles permettraient de dégonfler les fantasmes.
Les annonces de cette semaine vont certes dans le bon sens. Il faut se féliciter, bien sûr, que le bureau de l’Assemblée ait défini pour la première fois les catégories de frais qu’il est possible de régler avec l’IRFM (permanence, transports…), et donc en creux les dépenses non autorisées. Il était temps, aussi, que les élus soient contraints d’ouvrir un compte bancaire réservé à l’IRFM et que les virements vers d’autres comptes soient prohibés – il s’agit d’éviter qu’une partie des 5 800 euros mensuels ne puisse être mélangée à des fonds privés, en quelque sorte « blanchie ».
De même, il faut se réjouir que les députés aient désormais interdiction d’utiliser leur IRFM pour acquérir un appartement, ou même leur permanence. En achetant un bien en début de mandat pour le revendre à la fin, trop d’élus ont en effet empoché une plus-value illégitime (Mediapart l’avait pointé dès 2012, de même que l’Association pour une démocratie directe plus récemment).
Mais en refusant d’instaurer la transparence sur leurs comptes IRFM, la majorité des députés ont décidé de rester cloîtrés dans une bulle d’irresponsabilité.
En bloc, ils ont d’abord balayé l’importation du modèle britannique, où depuis 2010 les parlementaires sont uniquement remboursés sur notes de frais, qu’une autorité indépendante épluche scrupuleusement, au point de débusquer encore de fausses factures (67 personnes mobilisées, 7 millions d’euros de budget annuel). Tous les salariés français se soumettent à ce genre d’exercice dans leurs propres entreprises, mais admettons que le procédé soit jugé trop dispendieux pour l’Assemblée.
Surtout, les députés ont rejeté tout véritable contrôle a posteriori sur leurs comptes IRFM, en fin d’année ou fin de mandat, qui aurait pu être confié au déontologue de l’Assemblée ou à une poignée de fonctionnaires du Palais-Bourbon. Ces derniers auraient épluché les dépenses une à une pour vérifier l’existence d’un lien avec l’exercice du mandat, scanné les relevés bancaires et réclamé les factures correspondantes aux retraits d’espèces (achats de costumes, restaurants, etc).
Comme le coût d'un contrôle annuel sur les 577 députés servait de repoussoir, plusieurs élus de gauche comme de droite ont suggéré des vérifications par tranches ou aléatoires. « Au groupe écologiste, on proposait que le déontologue tire au sort un dixième des députés chaque année », affirme ainsi François de Rugy, coprésident du groupe EELV.
À l’arrivée, le bureau de l’Assemblée a prévu, sans rire, que chaque député fournirait une « déclaration sur l’honneur qu’il a utilisé l’IRFM (…) conformément aux règles établies ». En cas de soupçons (déclenchés par on ne sait trop qui, lettre anonyme ou média), le président de l’Assemblée pourra tout de même saisir le déontologue « d’une demande d’éclaircissements ». Avec quelle sanction à la clef ? Rien n’est précisé.
À la longue, la politique des petits pas produit des piétinements désespérants. On aurait préféré que Claude Bartolone, le président de l'Assemblée, propose un « deal » : instaurer un contrôle sur l'IRFM en échange d'une rallonge de l'enveloppe dédiée aux collaborateurs des députés. La qualité du travail parlementaire y aurait gagné. Combien d'élus – il est vrai – auraient signé ?
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