Présentateur de l’émission « Islam », chaque dimanche matin sur France 2, le théologien Ghaleb Bencheikh s'est souvent confronté à Tarik Ramadan dans des débats électriques. Le plus rugueux a eu lieu en 2004, dans l’amphithéâtre de l’Unesco à Paris. Il se trouve que les deux hommes viennent de cosigner une tribune ensemble dans le magazine Le Point, « Musulmans démocrates de tous les pays unissons-nous », comme si l’usage de l’islam par des groupes terroristes les contraignait à une espèce d’union sacrée.
Dans son entretien avec Mediapart, Ghaleb Bencheikh tranche d’emblée dans le débat qui s’est posé au lendemain des attentats de Paris. Les musulmans de France doivent-ils faire entendre une voix distincte ?
« C'est vrai qu'on a affaire à un télescopage de deux principes. D’abord, en quoi nos concitoyens musulmans devraient-ils montrer patte blanche et avoir à se désolidariser des crimes abjects dont ils ne sont ni comptables ni responsables ? Surtout lorsqu’on les somme, sur d’autres plans, de se fondre de manière caméléonesque dans le reste de la nation… Mais il y a le second aspect, et lorsqu'il y a une polémique il faut trancher, il faut donner son avis, et je vais le donner : je dis que lorsqu’on se prévaut d’un idéal religieux et spirituel pour commettre l'innommable et l'abjection, ceux qui appartiennent à cette même tradition religieuse doivent savoir sur quoi les criminels se sont adossés pour agir. Or je constate qu'il y a un arc de cercle qui va du Nord Nigeria jusqu'à l'île de Jolo où des vies humaines sont fauchées. Et cela se fait au nom de la tradition religieuse islamique ! Je ne peux pas et je ne dois pas me taire. On a une bête immonde, une véritable hydre de Lerne qui commence à gangrener la oumma islamique (la communauté musulmane – ndlr). »
À propos de son rapprochement avec Tarik Ramadan, Ghaleb Bencheikh se montre prudent. Il précise que le texte a été cosigné par quatre personnes, et qu’il n’en est pas directement à l’origine. C’est Félix Marquardt, fondateur du mouvement « Ça suffit » qui a servi de « médiateur ». Mais il assume la volonté « d’union sacrée » :
« Il y a le feu dans la maison et tout ce qui peut concourir à éteindre l'incendie est bon. L’important est de faire en sorte que la tradition religieuse islamique puisse renouer avec la tradition d'humanisme qui a prévalu en son sein à travers l'Histoire. Toute personne qui concourt est la bienvenue. »
Est-ce que cette sévérité de Ghaleb Bencheikh envers les responsabilités de l’islam ne donne pas de grain à moudre à l'islamophobie ? L’invité de Mediapart répond en deux temps :
« Nous ne pouvons pas nous taire devant ce qui se passe. Et si nous sommes arrivés à ces situations extrêmes, tant chez nous que de par le monde, c'est aussi à cause de la défaite de la pensée. Donc j'en appelle à un sursaut et un éveil des consciences ! En ce qui concerne l’islamophobie, je dis : moi un arachnophobe, un agoraphobe, un claustrophobe, ou un hydrophobe, je compatis à son état et j'essaie de trouver une thérapie. Ce qui est terrible c'est la “misislamie”, comme il y a la misanthropie ou la misogynie. C'est-à-dire une haine voulue comme telle, une hostilité déclarée et assumée. Là ça tombe sous le coup de la loi. Et si vous me dites que (mon discours) va renforcer ces sentiments-là, moi je réponds d'abord je ne me tais pas devant l'abjection, c'est mon devoir, et ensuite, c'est vrai, je me retrouve entre le marteau et l'enclume… »
Que dire aux jeunes Français qui n'ont pas respecté les minutes de silence après le massacre de Charlie et celui de l’HyperCasher de la porte de Vincennes ?
« D'abord il faut sortir de l'idée que "islam" cela veut dire "banlieues". Ensuite, le travail est de type social… Il faut une prise en charge véritable de la détresse morale, sociale et éducative de nos jeunes concitoyens, surtout ceux qui trouvent dans la religiosité une sorte de refuge. Ce travail incombe aux responsables musulmans mais aussi à l'institution scolaire. C'est la conjugaison de ces deux obligations citoyennes qui nous fera sortir de l'ornière dans laquelle nous nous nous débattons. C'est une sensibilisation à la citoyenneté qu'il faut mener, avec les droits du citoyen, et avec ses devoirs. »
Manuel Valls, qui a parlé d’« islamo-fascisme », et d’« apartheid dans les banlieues », en appelle à une refondation des institutions de l'islam de France. C’est sans doute en parlant du CFCM, le Conseil français du culte musulman, que Ghaleb Bencheikh est le plus virulent…
« Que le premier ministre appelle à la réforme, il est dans son droit. Qu'il veuille avoir des interlocuteurs compétents sérieux et responsables, c'est légitime. Mais il n'incombe pas à la puissance publique de se mêler d'une affaire interne à l'organisation d’un culte. Le CFCM ? Je dénonce la faillite, le naufrage de cette institution, qui n'a pas pu, n'a pas su, ou n'a pas voulu prendre en charge les détresses de cette jeunesse. En deux décennies, il n'y a pas eu un seul colloque de grande envergure pour dénoncer les thèses radicales. Il y a pas eu de conférence, il y a pas eu de symposium. Ce travail-là n'a pas été mené. On ne peut pas indéfiniment se disputer pour être une notabilité. La question, c'est la prise en charge d'une jeunesse laissée comme une proie facile à des sermonneurs doctrinaires et idéologues qui lui ont raconté tout autre chose que la spiritualité. Il est temps de balayer toute une équipe qui a failli, et de reconstituer petit à petit une équipe d'hommes et de femmes qui sache parler à la fois sereinement, avec un ascendant moral, à toute une jeunesse laissée à l'abandon. »
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