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Quand la rumeur pousse Dunlopillo vers la faillite

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C’est une rumeur qui court, qui court et dont la société Cauval ne sait plus comment se défaire. Depuis plusieurs semaines, le premier fabricant européen de literie, connu pour ses marques Dunlopillo, Simmons et Treca, se voit entouré de bruits et de soupçons. Des clients annulent leurs commandes, des fournisseurs lui refusent tout crédit fournisseur et exigent des paiements immédiats. D’autres, plus directs, lui demandent si c’est vrai, s’il a déposé son bilan, comme certains en font circuler le bruit depuis fin décembre. Tout cela est faux mais pourrait devenir vrai, si la défiance s’installe, si le crédit disparaît. 3 000 emplois sont en jeu.

« On veut couler le groupe Cauval », accuse Gilles Silberman, vice-président du groupe et principal actionnaire de la société. Les faits qu’il raconte, les témoignages qui accompagnent son récit sont des plus troublants. Bienvenue dans l’univers opaque de la grande distribution. Bienvenue dans le monde du private equity et de ses pratiques de naufrageurs.

L’alerte est venue en décembre. Le groupe Cauval note alors une chute brutale de ses commandes. La période, pourtant, est normalement assez occupée : ce sont les soldes. Les grandes chaînes d’ameublement profitent de ce moment pour faire d’importantes promotions et les matelas sont parmi les produits d’appel. Mais là, un des principaux clients du groupe, la chaîne But, fait défaut. À l’inverse de toutes les autres années, pas une des marques du groupe Cauval, qui sont parmi les plus connues en France, ne figure dans son catalogue.  

Pour Cauval, cette absence est inexplicable et grave. La chaîne de distribution est avec Conforama son plus gros client en France. Elle représente près de 25 % de son chiffre d’affaires (400 millions d’euros au total). Alors que ses ventes avec Conforama sont en hausse de 36 % sur cette période des soldes par rapport à l’année précédente, elles sont en baisse de 26 % pour But.

En cherchant, Cauval finit par découvrir ce qui se passe. But est en train de le sortir de ses magasins sans le lui dire. Des avis ont été envoyés à différents franchisés pour les informer « des produits qui ne seront pas reconduits dès le début de l’année 2015 », comme le dit une note. « Cauval. Solder en priorité l’ensemble des produits Dunlopillo et Dodo (marques de matelas, ndlr). Ce fournisseur ne devrait pas être référencé sur 2015 », y est-il indiqué.

« Nous avons été déréférencés, sans en être informés, sans préavis », explique le responsable de Cauval. La loi oblige les distributeurs à indiquer à leurs fournisseurs l’évolution de leurs relations contractuelles. Plusieurs groupes ont même été condamnés pour avoir arrêté leurs achats sans préavis auprès de fournisseurs, la justice estimant que la dépendance économique dans laquelle ils étaient imposait à la grande distribution de leur donner le temps pour trouver d’autres débouchés. Mais là, rien de tel. But s’est contenté d’un silence radio.

« Depuis novembre, les relations s’étaient tendues avec la direction de But », raconte Gilles Silberman. Le groupe de distribution adresse même une lettre incendiaire à la mi-décembre, au sujet d’une avance de 2 millions d’euros consentie par But à Cauval en juillet 2013. « C’était un système de financement mis en place pour compenser une assurance crédit insuffisante de But face à notre affactureur (organisme qui verse le montant des factures émises moyennant une commission généralement élevée, et se charge directement par la suite d’en percevoir le paiement auprès des clients – ndlr). Mais nous ne leur devons rien. But s’est remboursé sur le montant des factures à payer. C’est eux qui nous doivent de l’argent », explique le responsable de Cauval. Il a été impossible d’avoir la version des faits des responsables de But. Le directeur de la chaîne, Franck Maassen, n’a retourné aucun de nos appels ou de nos messages.

Les différends commerciaux et financiers vont désormais faire partie du quotidien entre fournisseurs et grande distribution, tant les rapports sont devenus déséquilibrés au profit de cette dernière. Mais cette fois, l’affaire prend une autre tournure. Car l’exclusion prononcée par la chaîne But s’accompagne de rumeurs de plus en plus alarmistes dans le secteur : Cauval va mal, Cauval serait en dépôt de bilan, murmure-t-on.

La rumeur prend d’autant plus vite que la société, comme tout le secteur de l’ameublement, traverse une passe très difficile : les achats d’ameublement ont été les premiers sacrifiés par les ménages depuis la crise de 2008. En 2009, l’entreprise Cauval a dû négocier un plan de sauvegarde avec le tribunal de commerce de Meaux. Plus de la moitié des effectifs a été sacrifiée dans le cadre de ce plan. L’entreprise est toujours sous la surveillance d’un administrateur judiciaire. À l’été 2014, elle a connu une nouvelle alerte, étant dans l’incapacité alors d’honorer un remboursement de 8 millions d’euros à l’administration fiscale, à la suite d'arriérés auprès de l’URSSAF. Un nouvel échéancier a été négocié par la suite avec l’administration fiscale.  

Le secteur reprend donc les bruits sans précaution. Fin janvier, un responsable d’une autre chaîne d’ameublement, la Halle au sommeil, envoie ainsi un courriel des plus alarmistes à ses franchisés, dont Mediapart a pris connaissance. « Le groupe Cauval semble aller mal. (…) La fédération nationale de l’ameublement m’a prévenu d’un dépôt de bilan imminent. Les grands groupes m’ont prévenu également. Ce groupe doit de l’argent à Conforama et à But qui ont prêté de l’argent (plusieurs millions non remboursés). Leurs fournisseurs ne sont pas payés. Les transporteurs non plus », est-il écrit. « Nous vous conseillons de stocker au maximum le peu que vous recevez de ce groupe, voire des commandes au plus vite, afin d’avoir une monnaie d’échange sur ce qu’ils nous doivent (les fameuses marges arrière – ndlr). Attention, c’est très grave », explique ce responsable.

Après un tel message, comment ne pas déclencher une panique chez les distributeurs et les fournisseurs ? Comment ne pas comprendre que tous essaient de prendre leurs précautions, exigent des paiements comptant, refusent tout crédit à l’entreprise ? D’autant que les messages d’alerte ne se cantonnent pas à une chaîne, mais semblent être diffusés dans tout le secteur.

Le 4 février, un représentant de l’un des principaux fournisseurs de l’entreprise adresse un texto alarmiste à un responsable de Cauval : « Juste une rumeur véhiculée par But auprès d’autres fabricants de matelas : Cauval est en cessation de paiement depuis 15 jours », l’avertit-il. De même, le président d’une autre chaîne de distribution, la Maison de la literie, témoigne que sa directrice opérationnelle a reçu le 23 janvier un appel du délégué général de la Fédération française du négoce, de l’ameublement et de l’équipement de la maison (FNAEM), Jean-Charles Vogley, pour l’informer des rumeurs circulant sur un éventuel dépôt de bilan ou liquidation de Cauval. Ce dernier aurait alors déclaré qu’il avait pour tâche de prévenir tous les adhérents de sa fédération.

Étrange mission ! Est-ce vraiment le rôle d’une fédération d’informer des difficultés d’une entreprise, surtout sans s’être assurée auparavant de la réalité de la situation auprès de l’intéressée ? À la suite de plusieurs appels, Jean-Charles Vogley a préféré nous renvoyer vers son avocat. « Je n'ai pas connaissance de cette démarche  auprès de la Maison de la literie donc je ne peux vous la confirmer. M. Vogley indique qu'il a lui-même été alerté par un certain nombre de fournisseurs de tensions qui pouvaient donner à penser que certaines inquiétudes sur la situation financière de Cauval étaient justifiées, situation dont personne ne se réjouit. À partir de ce moment-là, il est normal que la fédération se préoccupe d'un risque de défaillance qui peut avoir des conséquences sur le secteur. Mais ces informations sont remontées à la fédération, elles ne sont pas parties de la fédération », explique Me Jean-Marc Fedida.

Cela ressemble à une sorte d’acharnement de But contre Cauval. Pourquoi ? Le dossier prend un nouvel éclairage pour les responsables de Cauval, lorsqu’ils sont informés de certaines démarches entreprises par un financier britannique, Henry Jackson. Le 30 janvier, ce dernier adresse un courriel assez bref à un responsable de fonds en France. « Que savez-vous au sujet de Cauval ? C’est un fournisseur de But et apparemment, il est en difficulté. Je suis potentiellement intéressé pour racheter cette entreprise. Pouvez-vous m’en dire plus à ce sujet ? », lui demande-t-il. La personne contactée lui répondra qu’il ne peut donner suite à ses questions, car il est en conflit d’intérêts : il est associé avec un des actionnaires de Cauval, auquel il transmet aussitôt le message.

Car Henry Jackson n’est pas n’importe qui. Financier « controversé » (voir l’article du Telegraph), il dirige le fonds de private equity OpCapita, proche de Goldman Sachs. Ce fonds est justement un des principaux actionnaires de But, aux côtés du fonds Colony Capital et de Goldman Sachs. Il siège à ce titre au conseil de la chaîne de distribution, chargé de suivre le contrôle opérationnel pour le compte des actionnaires. Ceux-ci ont cherché à céder leur participation en 2012, mais n’ont pas trouvé de repreneur. À défaut, ils tirent ce qu’ils peuvent de la chaîne. À l’été 2014, But a levé 170 millions d’euros pour se refinancer. 103 millions sont allés à ses actionnaires sous forme de remboursement de prêts et de dividendes.

Dans quelle mesure But ne s’est-il pas mis au service d’un de ses actionnaires pour l’aider à mettre la main sur une entreprise qui l’intéresse ? Pour les dirigeants de Cauval, la cause est entendue : « Toute cette campagne de déstabilisation est faite pour nous acculer à la faillite en vue de récupérer l’entreprise ou même simplement ses marques à l’encan, à la barre du tribunal », accuse Gilles Silberman. Interrogé par écrit pour savoir s’il était vraiment intéressé par le fait de racheter Cauval, Henry Jackson nous a fait répondre qu’il ne commentait ni les rumeurs ni les spéculations. Depuis quand les financiers auraient-ils à s’expliquer ?

BOITE NOIREJ'ai essayé de joindre Franck Maassen les 17 et 18 février et lui ai adressé un message écrit sur son portable, sans réponse de sa part. Un mail de questions a été adressé le 17 février à Henry Jackson, responsable du fonds OpCapita. La responsable de communication m'a répondu que la société ne « comment(ait) ni les rumeurs ni les spéculations ». J'ai essayé de joindre à plusieurs reprises Charles Vogley, par l'intermédiaire de la responsable de communication de la FNAEM. Finalement, c'est l'avocat de la FNAEM, Me Jean-Marc Fedida, qui m'a répondu à sa place le 20 février.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Fausses antennes GSM pour espionner les gouvernements européens


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