« Il se fiche totalement que le gouvernement tombe », « il a une attitude irresponsable », « il fait de nouveau une erreur comme lorsqu'il s'est fait débarquer du gouvernement ». Ces propos au sujet de Benoît Hamon sont ceux des différents rapporteurs PS du projet de loi Macron. Après les 200 heures de débats, les nuits trop courtes, les compromis trouvés parfois à la virgule près, les députés qui travaillent depuis des mois pour écrire la « loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques » sont amers. À la place d'un vote sur ce texte, c'est sur une motion de censure déposée par l'UMP et l'UDI qu'ils s'expriment ce jeudi 18 février. En quelques jours à peine, l'image de l'édifice qu'ils avaient patiemment élaboré est considérablement ternie. Il s'agit désormais d'un passage en force du gouvernement contre sa majorité.
« En rentrant dans l'hémicycle, j'ai regardé le ministre, je lui ai dit : “c'est quand même dommage”. » Le rapporteur général Richard Ferrand qui a suivi la totalité des débats en commission spéciale et dans l'hémicycle peine encore à comprendre l'inflexibilité de Benoît Hamon dans les dernières 24 heures du débat à l'Assemblée. « Ce n’est pas sérieux de dire que pour cette histoire de seuil dont on a démontré l’inanité, on vote contre », ajoute le député du Finistère. « Je suis profondément touchée, déclare Cécile Untermaier, rapporteure du texte sur les professions réglementées, c’est d’une violence inouïe. On aurait pu trouver une issue, dire que l'on revoyait tout ça en deuxième lecture. »
Une fois la tension retombée, chacun se refait le match, pense à une autre fin que celle du 49-3 que François Hollande avait lui-même critiqué en 2006 à propos du contrat première embauche.
Tout bascule quasiment dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 février, entre 1 heure et 2 heures du matin. Aux côtés d'Emmanuel Macron, le rapporteur général Richard Ferrand, Stéphane Travert (rapporteur sur la réforme du travail dominical) et Jean-Yves Caullet retrouvent Benoît Hamon à la buvette de l'Assemblée. Au cours d'une discussion informelle, ils refont le débat et tâtent le terrain d'un compromis. L'ancien ministre de l'éducation essaie de faire pencher la balance en faveur d'une compensation salariale pour les travailleurs du dimanche.
« Ce que moi je leur proposais, c’était de ne pas pouvoir négocier en deçà de 1,3 fois le salaire de la semaine », affirme-t-il à Mediapart. Mais les rapporteurs n'en démordent pas, ils craignent que le seuil ne devienne un plancher, autrement dit que le dialogue social se résume à un accord salarial basé systématiquement sur le principe du 1,3 fois le salaire. Hamon persiste : « En l’absence de plancher, toutes les négociations risquent de se réduire à 1 fois le salaire plus 1 euro. »
Emmanuel Macron se montre ferme. Il réaffirme sa confiance dans le dialogue social et précise que les accords entre les partenaires sociaux ne se résument pas à des négociations salariales. Benoît Hamon change alors son fusil d'épaule : « Je lui ai dit qu’il y avait une possibilité de rassembler les socialistes et de trouver un accord politique. Il était ouvert au compromis, après tout il venait de passer 1 000 compromis en adoptant les amendements des différents groupes. »
Était-ce le compromis de trop ? Les versions divergent sensiblement. « Quand je quitte Emmanuel Macron dans la nuit de vendredi à samedi, je pense qu’il y a une possibilité d’accord », déclare Benoît Hamon. Les rapporteurs ne sont pas aussi optimistes.
Le lendemain, face à un Laurent Baumel (député PS d’Indre-et-Loire, frondeur) qui l'invite à « faire un geste politique avant mardi », Emmanuel Macron décide de mettre les points sur les i et ferme la parenthèse d'un potentiel accord politique. « Je ne cherche pas des compromis pour pouvoir rallier des voix ou que sais-je. Je cherche des compromis sur le fond de ce texte. Je ne suis pas ouvert à des compromis de façade car ce n’est pas comme ça que je considère le dialogue politique. J’ai entendu en creux vos menaces (...) On peut partager des désaccords mais chercher à faire des compromis qui ne sont pas conformes à la cohérence d'un texte, d'une pensée, ce n’est pas l’idée que je me fais de la politique. »
« Comme ex-ministre je sais que, dans ce cas, on demande l'arbitrage de Matignon », déclare Benoît Hamon. D'après lui, c'est même son « intime conviction », Manuel Valls aurait refusé un compromis qu'Emmanuel Macron était « prêt à accepter ». « Ce n’est pas franchement la mentalité de Manuel Valls de trouver un accord », confie le rapporteur thématique Denys Robiliard. « Le gouvernement n'a peut-être pas suffisamment cherché le dialogue, la demande d’accord est aussi venue trop tard », déplore-t-il.
Mais alors qu'un certain nombre de députés s'accordent à dire que Benoît Hamon était dans son rôle lors des débats du week-end sur la réforme du travail dominical, son passage sur RTL le dimanche soir n'a pas été digéré. « Il avait émis des réserves sur le texte mais à aucun moment Benoît ne nous avait dit qu'il voterait contre », déclare Richard Ferrand. « Tout le monde a été très surpris de l'entendre dire cela à la radio. » Voilà qui change la donne. Si l'abstention sur un texte de la majorité est tolérée, le vote contre passe mal, ce d'autant que les possibilités d'une victoire largement acquise s'amenuisent au fur et à mesure.
Quarante-huit heures s'écoulent entre la fin des débats dans l'hémicycle, le dimanche très tôt, et le jour du vote, le mardi 17 février. Entre les différentes parties, les téléphones chauffent, on se renseigne sur les forces en présence, ceux qui hésitent entre l'abstention et le vote contre. Des rumeurs commencent à circuler sur la possibilité de recourir à l'article 49-3.
Lors de la réunion du groupe socialiste du mardi matin, le premier ministre s'élance juste après que Benoît Hamon a renouvelé son intention de voter contre le texte. Manuel Valls ressort le fameux « esprit du 11 janvier », le contexte d'union nationale et pointe l'irresponsabilité de certains députés. « À ce stade, le texte ne passe pas », finit-il par déclarer, brandissant la menace d'un passage en force. « Une nouvelle fois, Manuel Valls nous a resservi le numéro du “Nous on gouverne la France, il y a des choses qui vous dépassent, vous agissez en irresponsables”, déplore Benoît Hamon. Indépendamment de ceux qui allaient voter contre, les députés sont sortis exaspérés de la réunion du groupe socialiste ».
Une heure avant le moment du vote, les rapporteurs ne croyaient toujours pas que le gouvernement mettrait sa responsabilité en jeu. « Je n'imagine pas le 49-3 sur un texte sur lequel une commission spéciale a bossé 82 heures, confiait à Mediapart la rapporteure thématique sur la réforme des professions réglementées, Cécile Untermaier. « Quand les gens de Matignon me parlaient de 49-3, moi j’ai tout fait pour qu'on n'en arrive pas là, aucun d'entre nous ne voulait de ce choix mais il a bien fallu se rendre à l'évidence », affirme Richard Ferrand. « J’étais persuadé qu’on avait une marge de 10 voix », déclare encore le rapporteur des radicaux de gauche, Alain Tourret.
Ceux qui font les estimations du nombre de voix sont des proches de Manuel Valls : Yves Colmou et Christophe Borgel. L'ennui, c'est qu'une partie des députés ne jouent pas le jeu en ne dévoilant pas leurs intentions de vote. C'est le cas de Karine Berger, Valérie Rabault, Alexis Bachelay ou encore Yann Galut du groupe Cohérence socialiste. « On s'est retrouvés dans une équipe de foot sans savoir si les autres jouaient dans l'équipe d'en face », lance le président des travaux en commission spéciale François Brottes. Pas très fair-play selon lui.
« Si le texte passait avec les voix de l’UDI, ça posait tout de même un problème politique », théorise Denys Robiliard. À quelques semaines des élections départementales, cela aurait pu conforter Marine Le Pen dans son argumentaire sur « l'UMPS ». Ce ne semble pas être l'avis de Bercy qui souhaitait un rassemblement le plus large possible : « Le ministre de l'économie n'aurait pas passé autant de temps en séance s'il était dans une approche partisane. » Emmanuel Macron a par ailleurs rappelé plusieurs fois qu'il n'était pas encarté au PS.
Benoît Hamon et certains frondeurs pensent que le ministre de l'économie a perdu du temps à essayer de négocier avec les centristes qui ont fini par camper sur leurs positions de départ, laissant de côté les seize amendements qu'ils ont obtenus durant les débats. « On pensait qu’il y aurait des soutiens plus déterminés de la droite, j’étais persuadé qu’une quinzaine de personnes autour de Jean-Christophe Fromantin (député UDI) se prononceraient favorablement à la loi », annonce Alain Tourret.
Tandis qu'Emmanuel Macron et Manuel Valls défendent le choix de l'exécutif sur les plateaux des journaux télévisés, les députés s'interrogent de plus en plus sur les raisons du 49-3. « On nous dit que c’est un déni de démocratie, s'emporte Cécile Untermaier, mais est-ce que ce n'est pas le déni de démocratie de quelques députés qui ont voulu prendre en otage la majorité ? » « Un certain nombre de collègues nous ont dit à la fin "on vous a bien eus" », dénonce François Brottes. « Ce sont des apprentis sorciers, argue Alain Tourret, les frondeurs étaient passés dans l'oubli, ils se sont demandé comment ils pouvaient exister. »
Alors que le président du groupe socialiste Bruno Le Roux a menacé de représailles les frondeurs, difficile d'imaginer une éventuelle réconciliation avant l'échéance des départementales et le congrès de Poitiers en juin prochain. « Quand les électeurs restent à la maison, il faut prendre la mesure des conséquences politiques. C’est simple, la politique menée n’est pas conforme aux engagements pris en 2012, Manuel Valls est obligé de constater les limites de sa méthode », déclare pour sa part Benoît Hamon. D'autres frondeurs à l'image de Laurent Baumel ou Christian Paul n'hésitent plus à appeler à la démission de Manuel Valls.
Au lendemain de l'annonce du recours au 49-3, tous les rapporteurs du projet de loi étaient invités à déjeuner avec le premier ministre pour une séance débriefing, voire thérapie de groupe. Ce dernier a jugé utile de commencer par une touche d'humour : « Tout ça, le 49-3, c'était pour te tuer, hein Emmanuel », aurait-il dit selon un des convives. Pas sûr que tout le monde ait ri de la même couleur.
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