De l'art de susciter la polémique. En traitant de « nigauds » les manifestants de Quimper, Jean-Luc Mélenchon a violemment opposé les « bonnets rouges » aux partis et syndicats qui ont défilé le même jour à Carhaix. Au risque de se couper d'un mouvement social qui cristallise une partie de la colère des électeurs, y compris de gauche. Vendredi, il a proposé une marche pour la « révolution fiscale » le 1er décembre. « Il y a un grand danger à répondre à l’appel des évêques, de l’UMP, du Front national ou encore des Identitaires, pour abattre une taxe de l’État », persiste l’ancien sénateur, qui revendique de « créer de la conflictualité ». Entretien.
Vous venez de proposer l’organisation d’une marche le 1er décembre pour la révolution fiscale. Pourquoi ?
C’est une question de cohérence. Les Français ont porté au pouvoir en mai 2012 un gouvernement de gauche. Ils pouvaient donc s’attendre à ce que soit mise en œuvre une politique de gauche. Il en existe certes de nombreuses variétés, mais elles ont toutes, habituellement, un dénominateur commun : elles visent à promouvoir une politique de la demande, dont la logique est la satisfaction plus ou moins étendue des besoins de la société, et non une politique de l’offre, dont la logique est de produire n’importe quoi, n’importe comment sur le plus grand marché possible.
Or le chef de l’État a décidé une bifurcation majeure en optant pour une politique de l’offre qui aggrave une redistribution à l’envers sans précédent, au détriment du travail et à l’avantage du capital. Ici, ce sont 20 milliards d’euros supplémentaires qui vont être apportés au capital sous la forme de crédit d’impôt (le crédit d’impôt compétitivité, CICE – ndlr) ; et en contrepartie, ce sont 20 milliards d’euros qui vont être ponctionnés dans la poche des Français, soit 10 milliards sous forme de coupes dans les crédits publics, 3 milliards sous forme de fiscalité écologique et 7 milliards sous forme de hausse de la TVA. Dans le cas précis de la TVA, pour les Français, cela équivaut grosso modo à une ponction d’un peu plus de 100 euros par tête de pipe.
C’est contre cette hausse de la TVA que vous voulez manifester ?
Oui. C’est le point d’accroche qui permet de comprendre ce qui est en jeu. Et comme la vie publique s’organise souvent autour de symboles, je suggère que le ministère des finances en soit la destination. Car Bercy a toujours eu un peu l’air d’une sorte de péage d’autoroute – c’est ce que disait François Mitterrand. Dans le contexte présent, il est devenu le portique du Medef : c’est lui qui sert de filtre par lequel transitent ces sommes gigantesques qui vont des uns aux autres, du travail vers le capital.
L’objectif de la marche, c’est d’obtenir l’annulation de la hausse de la TVA ?
La marche peut se fixer deux objectifs. D’abord, elle peut fortement peser sur les rapports de force. Après tout, le gouvernement a cédé en moins de 48 heures sur l’écotaxe applicable aux camions. Nous pouvons donc exiger que, pour une fois, il cède aux travailleurs sur cette question de la TVA. Mais l’enjeu est évidemment beaucoup plus large : cette affaire de la TVA est le symbole du dérèglement général du système fiscal qui était déjà très inégalitaire et qui l’est devenu plus encore du fait de la politique fiscale impulsée par le chef de l’État. La question de la TVA permet de comprendre la nécessité de la révolution fiscale.
Mais le pacte de compétitivité a été décidé il y a un an, tout comme la hausse de la TVA et vous ne vous mobilisez contre elle que maintenant ! N’est-ce pas trop tard ?
Pas du tout ! La politique, c’est un art de la réalisation. Surtout quand on veut une implication populaire. Cela ne peut se limiter à des déclamations purement théoriques. Quand j’expliquais, voici un an, que le président avait négocié un virage majeur vers une politique de l’offre, ce n’était entendu que par quelques esprits éclairés. Car, à l’époque, le grand nombre n’était pas encore en mesure de faire l’addition. Mais maintenant, chacun peut faire les comptes des conséquences de cette politique. Celle-ci produit un effet d’exaspération générale.
Le problème, c’est que cet effet d’exaspération est pour l’instant capté par la droite, et l’extrême droite, qui en tirent profit pour mettre en cause l’idée même de l’impôt. Durant l’année qui vient de s’écouler, les conditions politiques ont beaucoup mûri dans les esprits. Aujourd’hui, la colère qui se fait jour devient un enjeu. Qui va lui offrir un débouché ? Les patrons bretons ? Ou les ouvriers, qui sont les grugés de l’affaire ? Voilà tout l’enjeu…
Vous opposez donc votre marche du 1er décembre à la nouvelle manifestation qui est appelée la veille, le 30 novembre, à Quimper ?
Dans l’ordre chronologique c’est l’inverse. J’ai proposé la marche à 8 heures du matin (vendredi – ndlr) ; ils ont allumé ce contre-feu à 16 heures. Je ne crois pas que ce soit un hasard. Elle est appelée par le Medef et les syndicats paysans productivistes contre la taxe qui ponctionnerait les routiers. À Paris, on marchera le 1er décembre pour la révolution fiscale et contre les privilèges fiscaux du Medef et des actionnaires. Contre la TVA qui accable tous les ménages de France. Où est la défense de l’intérêt général ? Chacun choisira en connaissance de cause !
N’avez-vous pas commis une erreur de diagnostic en opposant la première grande manifestation de Quimper des « bonnets rouges » à celle de Carhaix ? À Quimper, il y avait, parmi les organisateurs, des dirigeants locaux du Medef ou de la CGPME. Mais, il y avait aussi des paysans pauvres, des ouvriers victimes de plans sociaux, des syndicalistes, le NPA et des militants du Front de gauche.
Nous verrons au soir du 1er décembre comment se répartissent les uns et les autres. La question que vous posez a pour arrière-fond une conception mouvementiste ou spontanéiste de l’action politique. Une conception au terme de laquelle tout mouvement social est bon et positif, quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, quels que soient ceux qui y appellent, pour peu que des ouvriers en soient. Cela n’a aucun sens de dire que nous aurions dû être dans la manifestation de Quimper au motif que des ouvriers y participaient. À ce rythme-là, vous allez me dire bientôt que nous aurions dû participer aux manifestations contre le mariage pour tous au motif que de braves gens s’y trouvaient aussi.
Mais était-il justifié d’afficher de la morgue ou même d’insulter les manifestants de Quimper, en disant qu’ils étaient des esclaves manifestant au profit de leurs maîtres, au lieu de canaliser les deux colères ? Un mouvement social chemine parfois de manière confuse ou chaotique. À vous entendre, on serait enclin à penser que votre religion est la suivante : le peuple se trompe, changeons de peuple…
Je n’accepte pas ces arguments. Je ne supporte pas que des gens qui ne savent pas ce qu’est un mouvement social m’administrent des leçons de bienséance… En réalité, vous me demandez de dire à ceux qui étaient à Carhaix qu’ils auraient dû être à Quimper ? Vous me demandez de leur dire que, dans cette affaire, il n’y a ni droite ni gauche, ni ouvrier ni patrons ? Mais c’est exactement ce que disait le Front national à Quimper sur ce sujet !
Autorisez tout de même que l’on vous interpelle. Pourquoi faire la leçon aux ouvriers de Quimper, au lieu de vous présenter comme celui qui rassemble ?
Mais que propose d’autre la marche du 1er décembre sinon de fédérer les colères ? Et autorisez-moi à vous répliquer que je ne souffre pas l’hypocrisie. Moi, je ne suis pas de ces éditorialistes qui parlent depuis leurs balcons fleuris. Alors oui, en parlant de ceux qui ont manifesté à Quimper, j’ai dit qu’ils étaient des nigauds. Cela vous choque ? Vous avez tort, car vous savez très bien que la communication marche ainsi. Si j’avais dit dans une formule alambiquée que j’avais des nuances avec ces manifestants, j’aurais été inaudible. Vous-même, vous n’auriez rien écrit ; pas une ligne. Je ne veux pas mélanger les deux manifestations. Il y a une ligne de classe qui traverse la société. Celle du partage de la richesse. Et la ligne de classe se juge non pas dans la composition sociale des mouvements, mais dans leurs mots d’ordre…
Cela veut dire que vous ne voulez pas manifester avec des « bonnets rouges » ?
Au contraire ! Toutes ces ambiguïtés se dénoueront lors de la manifestation du 1er décembre. S’il y a des « bonnets rouges » qui souhaitent y participer, ils y seront les bienvenus. Les objectifs, les appelants et le programme : tout est clair. C’est de cette façon qu’il faut fédérer. Pas dans la confusion.
Vous consentez donc maintenant à tendre la main aux « bonnets rouges »…
Pourquoi voulez-vous rajouter à la confusion ? Le bonnet n’est rien ; ce qui compte, c’est ce qu’il y a dessous ! Évidemment, je leur tends la main. Mais pas à ceux qui les convoquent ! Donc à tous les braves gens qui ont manifesté à Quimper, au certain nombre de nigauds qui s’y trouvaient, j’ai aussi le devoir de dire qu’il y a un grand danger à répondre à l’appel des évêques, de l’UMP, du Front national ou encore des Identitaires, pour abattre une taxe de l’État sur les routiers.
Et ce danger que je pointe, pourquoi quelques belles intelligences de la gauche parisienne me font-elles grief d’en parler ? Pourquoi ne disaient-ils rien avant que je m’exprime ? Parce que ceux-là ne voulaient pas de la manifestation de Carhaix non plus ! Pour qu’ils comprennent enfin où est le danger, faudrait-il au surplus qu’il y ait des hommes avec brassard qui viennent haranguer ces foules au cri de « mort aux juifs » ? Réveillez-vous ! Il serait temps que chacun se souvienne qu’un mouvement populaire de droite, c’est bel et bien un mouvement… populaire !
Mais quand vous parlez de « nigauds », cela convoque aussi un imaginaire, pas franchement de gauche, celui de « Bécassine »…
Ce n’est pas mon cas ! Ce sont vos fantasmes, vos complexes. J’ai quand même le droit d’utiliser les mots que je veux… Et de quel droit certains se sont-ils autorisés à parler au nom de « la Bretagne » ? On en viendrait presque à croire que les manifestants de Carhaix, eux, n’étaient pas des Bretons. Soyons sérieux ! Oui, je parle cru et dru. Mais chacun sait à gauche que ce que je dis est de bon sens : ce sont ceux de Carhaix qui ont indiqué la bonne voie. Et vous voudriez que je ne leur en donne pas crédit ? Le rôle premier d’un homme politique, c’est de faire réfléchir. C’est précisément ce que j’ai voulu faire.
Alors, bien sûr, je crée de la conflictualité – et je le revendique. Car le rôle d’un homme de politique, c’est aussi d’indiquer clairement les enjeux. C’est cela la démocratie : ce n’est pas un système pour enregistrer du consensus, c’est un système pour gérer les conflits. Si ma responsabilité était bien de révéler les enjeux, je ne pouvais pas me dérober, je devais clairement dire que la confrontation n’opposait pas la Bretagne au gouvernement, mais qu’elle opposait le capital au travail. Voilà ce que j’avais le devoir de dire aux ouvriers qui ont manifesté à Quimper : attention, c’est vers une impasse que l’on vous conduit !
Mais de cette manifestation, il ne reste avec le recul qu’un seul trait marquant : « Ni gauche, ni droite » ! Ni capital, ni travail : tous Bretons ! Eh bien, moi, je ne suis pas d’accord. Je le dis avec fougue à mes camarades, mais c’est parce que c’est le fond de ma conviction : il ne faut pas se tromper de colère, sinon on va droit à une catastrophe politique majeure. La présence de ceux que vous mentionnez efface-t-elle celle du Front national, des Identitaires, de l’UMP et du Medef ? Cela ne pose pas problème ? Pour moi, si !
Mais si l’on revient à la fiscalité, des désaccords s’expriment jusque dans les rangs socialistes. Il y a eu un amendement sur la CSG progressive, un appel à la révolution fiscale signés par de nombreux députés de la majorité… La révolution fiscale est même un terme lancé par le PS, consigné dans le projet socialiste de 2011. Pourquoi ne vous adressez-vous pas à toute la gauche ?
S’adresser à tous, c’est ce que je fais ! Souffrez que ce ne soit pas forcement pour dire la même chose. Leur projet et le nôtre ne sont pas tout à fait les mêmes ! Nous pensons qu’il faut revenir à un impôt réellement progressif avec 14 taux d’imposition au lieu des 5 actuels. Il faut aussi une limite supérieure pour les revenus. C’est une idée qui avait été portée lors de la Nuit du 4 Août 1789 : pas plus de 3 000 livres de rentes. Nous, au Parti de gauche, nous l’avons remise au goût du jour : pas plus de 30 000 euros par mois ! C’est déjà beaucoup d’argent…
Les modalités sont différentes mais l’objectif est le même : rendre l’impôt plus progressif.
Oui. C’est bien ce que je dis. D’ailleurs, le premier à avoir parlé de révolution fiscale au parti socialiste, c’est moi. Je ne vais donc pas protester contre le fait que certains socialistes aient au moins gardé cette idée. Mais on ne peut pas m’en vouloir d’être méfiant ! Les socialistes sont capables de tous les abus de langage et d’appeler révolution quelque chose qui n’en serait pas une. Ils sont surtout capables de parler beaucoup et de ne rien faire.
Cela dit, la discussion est ouverte à tous. La marche l’est aussi. Mais je ne me fais aucune illusion. Nombre de socialistes, à commencer par Montebourg lui-même, étaient pour la VIe République. Où étaient-ils quand on a fait une manifestation pour la VIe République, en mai dernier ? À l’époque, ils n’ont fait que se manifester contre mes prétendus abus de langage ! Par contre Eva Joly, Julien Bayou et combien d’autres écolos étaient présents et ont dirigé la marche à nos côtés ! C’était donc possible.
Nous voulons bien suivre de nouveaux généraux, mais encore faut-il qu’ils s’illustrent dans une bataille… Ils ne font rien ! Peut-être vont-ils se ressaisir, et venir à la marche du 1er décembre ! Mais je suis prêt à prendre le pari qu’ils prendront des prétextes formels – par exemple que « nigaud » était de trop – pour empêcher la jonction réelle.
Si votre stratégie consiste à construire une majorité alternative, pourquoi refusez-vous de vous appuyer sur les appels des socialistes à la « révolution fiscale » ? Ils ne sont pas assez radicaux à votre goût ?
Ou avez-vous vu que je refuse ? S’ils prennent des initiatives, il faut qu’ils les mènent jusqu’au bout. L’expérience montre que ce n’est pas le cas. Les militants politiques ne sont pas là pour faire des commentaires mais pour agir. Soixante-dix socialistes ont signé un amendement pour la CSG progressive. Et que s’est-il passé ? Ils ne l’ont pas présenté. Et pourquoi ? Parce que Jean-Marc Ayrault leur a ordonné de l’enlever ! Ce sont des réformistes en peau de lapin. Si nous leur avions fait confiance, nous nous serions ridiculisés.
S’ils avaient présenté leur amendement, nous l’aurions voté. S’ils avaient appelé à une manifestation contre le Medef, nous serions allés avec eux. Mais ils ne le font pas. Quand ils ont appelé à des manifestations pour le mariage pour tous, nous y étions. Le sectarisme ne vient pas de notre côté mais du leur.
Cette marche est-elle aussi un moyen de surmonter la confrontation entre vous et le PCF ?
Je n’ai pas de confrontation avec le PCF. J’ai un débat, et ce n’est pas moi qui suis minoritaire dans le Front de gauche. De plus, des milliers de communistes sont de mon avis. Dans toutes les villes de plus de 100 000 habitants, à l’exception de Paris, il y aura une liste du Front de gauche au premier tour.
Mais la marche n’a rien à voir avec tout cela. Il ne s’agit pas de faire une manifestation de réconciliation de couple. La marche du 1er décembre est le bien commun de tous ceux qui y participent. Ce n’est ni ma chose ni même celle du Front de gauche. C’est un moment populaire pour l’égalité devant l’impôt. Quant au débat dans le Front de gauche, il est naturel. Il s’agit de savoir comment on affronte notre adversaire. Si, au passage, la marche contribue à améliorer les relations, tant mieux. Mais cela n’efface pas les difficultés stratégiques qui ont aussi leur noblesse et leur importance.
Les différences stratégiques, au sein du Front de gauche, vont au-delà des municipales. Elles portent aussi sur les moyens de construire une majorité alternative. Notamment entre ceux qui disent, comme les communistes, qu’il faut combattre l’austérité pour toucher aussi les écologistes et une partie du PS, et ceux qui, comme vous, veulent combattre la politique du gouvernement.
C’est toute la difficulté politique que nous avons. On nous disait que Hollande, c’était mieux que Sarkozy. Non, c’est pire ! Les socialistes font pire que lui en matière de retraites ou d’austérité. Nous n’avons pas d’autre choix que d’affronter cette politique. On ne peut pas être contre l’austérité et se taire sur la responsabilité de ceux qui la mettent en œuvre !
Mais la question, c’est comment vous menez cette lutte. Votre stratégie de « parler cru et dru » déplaît, y compris à Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF.
Parler flou et mou serait préférable ? Ce n’est pas une affaire de style. Il a une autre ligne, qui est celle de passer par un arrangement avec les courants de gauche du PS et avec la direction d’EELV. Au bout d’un an, on peut comparer les résultats. On a fait une réunion le 6 juin avec Pascal Durand, qui est venu nous insulter, et Marie-Noëlle Lienemann, qui est venue nous expliquer qu’il ne fallait pas être sectaire. Les deux ont fait les rabatteurs du gouvernement. C’est tout ce qui a été obtenu ! Rien de plus ! Pas un n’a mis les pieds dans nos manifs, pas un n’a voté contre l’Ani ou le pacte de compétitivité. Par contre, Eva Joly et ses amis sont venus à notre marche et appellent à former des listes indépendantes au premier tour des municipales avec nous.
La gauche du PS n’a pas voté l’Ani… Même chose pour les retraites où les écologistes se sont également abstenus.
Vous comptez étrangement les votes ! Mais très bien, bravo ! Je n’ai cessé de leur dire que s’ils prenaient le drapeau et le gouvernail pour nous conduire à la victoire contre cette politique, je les suivrais. Mais ne me demandez pas d’aller jouer de la mandoline toute l’année sous leurs fenêtres pour recevoir des seaux d’eau froide ou des leçons de maintien.
Je compare les résultats. D’un côté des bavardages, des textes, des appels. Nous les examinons comme on regarde frémir le dessus de la soupe sur le feu. De l’autre, des faits, de la mobilisation populaire. Comme la manifestation du 5 mai pour la VIe République ou celle qui vient pour la révolution fiscale. À un moment, il faut franchir le pas de l’action au grand jour, devant le peuple lui-même et proposer une alternative. Nous ne sommes pas dans un congrès socialiste où l’on s’arrange entre compères pour faire des synthèses. Nous sommes dans un pays qui court à la catastrophe et qui pourrait faire une toute autre politique. Je demande aux socialistes et aux écolos d’agir, pas de bavarder pour finir dans le rôle de petits garçons dès que Jean-Marc Ayrault arrive avec son sifflet.
Mais des députés de l’aile gauche du PS ou des écologistes, mal à l’aise avec la politique menée, expliquent qu’ils ne savent pas quoi faire et se sentent coincés, selon leur expression, « entre la dérive droitière de Hollande et la dérive sectaire de Mélenchon ».
Les pauvres biquets ! En attendant, ils votent tout ce que leur demande la dérive droitière. Mes excès seraient la raison pour laquelle ils se soumettent aux excès de François Hollande. Ce n’est pas sérieux ! Et ce n’est pas à la hauteur de la crise qui traverse notre pays. D’ailleurs, que proposent ces effarouchés, à part de se soumettre contre des places aux municipales ? Quand se sont-ils adressés à nous comme Front de gauche ? Quand ont-ils tendu la main ? Jamais. Au contraire, ils passent leur temps à chercher à nous opposer les uns aux autres dans le Front de gauche.
La question qui se pose, c’est celle d’un changement de gouvernement. Pas un député socialiste n’a été élu sans les voix du Front de gauche, comme pas un député du Front de gauche ne l’a été sans les voix socialistes. Même chose pour les écologistes. Nous sommes bien tous de la même mouvance. Mais qui a décidé que le curseur était M. Ayrault ? François Hollande. Il peut très bien placer le curseur ailleurs. Il peut le mettre au Front de gauche. C’est le rapport de force populaire qui peut le lui imposer. D’autres veulent arrêter le curseur avant nous ? À la gauche du PS ? Cela ne me dérange pas. Mais qu’ils le disent ! Qu’ils disent où ils veulent s’arrêter et pour faire quelle politique. S’ils n’ont pas d’idées sur le sujet, nous, nous sommes capables de diriger un gouvernement de gauche !
Les divergences au sein du Front de gauche pour les municipales vous ont fragilisé. Hollande est pourtant très affaibli et son électorat déboussolé. N’êtes-vous pas responsable de ce paradoxe ?
Oui, puisque je refuse de céder aux socialistes. Ce n’est pas un paradoxe ! Les magouilles d’appareil, c’est le point fort de Hollande. Il a remporté une victoire à Paris. Les socialistes ont concentré toute leur énergie à essayer de désarticuler le Front de gauche depuis sa création…
Vous êtes quand même les seuls à offrir une victoire à François Hollande en ce moment !
Dites-le à ceux qui lui ont cédé. Mais c’est la vie. Cet été, j’ai compris que Manuel Valls avait le bras assez long pour arriver dans nos discussions. Pierre (Laurent) a gâché notre rentrée en m’attaquant dans la presse pour défendre Valls, après l’interview que j’avais donnée. Et cela, alors même que je disais qu’il fallait dédramatiser les municipales et que d’autres dirigeants communistes et même des socialistes avaient été aussi durs que moi vis-à-vis de Valls. Pourquoi ? Une seule raison : le découpage électoral que Valls mijote pour les élections départementales. Alors que voulez-vous ? J’ai remis mon armure. Je ne retournerai pas au bercail. Mon mandat, je l’ai gagné sous notre drapeau et je ne le dois à personne d’autre qu’à des électeurs qui ont choisi le Front de gauche, pas le PS.
Mais comment expliquez-vous la faiblesse actuelle du Front de gauche ?
L’histoire est lente et cruelle. C’est une lutte terrible, car les sociaux-démocrates ne peuvent pas accepter ce que nous sommes. La gauche ne pourra pas faire l’économie de sa crise. Elle doit se reconstruire. Et ce n’est pas moi qui vais le faire, ni même le Front de gauche. Ce sera quelque chose de beaucoup plus vaste. Il faudra un big-bang idéologique avec l’écosocialisme, et il faudra un big-bang social. Un parti comme le PS à ce point confondu avec les institutions de la Ve République est condamné à mort en même temps qu’elles. C’est la saison des tempêtes et j’essaie de nous placer à la hauteur de ces enjeux. Certains jours sont favorables, d’autres moins. Mais j’ai la certitude que le Front de gauche est le levier à partir duquel nous pouvons soulever le monde.
BOITE NOIREL'entretien a eu lieu vendredi à Paris, après la proposition faite par Jean-Luc Mélenchon d'une marche, le 1er décembre prochain.
Il a été relu et amendé à la marge par le coprésident du Parti de gauche.
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