« Le débat sur ce texte est immédiatement suspendu. Ce texte sera considéré comme adopté sauf si une motion de censure déposée avant demain 16 h 30 est votée dans les conditions prévues à l'article 49 de la constitution. La séance est suspendue. » Sous les huées des députés de l'opposition et les cris de « coup d’État », le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone a levé la séance après l'annonce de Manuel Valls d'engager « sa responsabilité » et celle du gouvernement en invoquant l'article 49-3, qui permet de faire passer en force le texte de loi Macron en première lecture. Une motion de censure contre le gouvernement a été déposée par l'UMP et l'UDI, et sera mise au vote jeudi 19 février à 18 heures.
Pris à partie dans l'hémicycle par les députés de tous bords, Emmanuel Macron a eu beau tenter de déminer les pièges tendus en pointant les avancées que permettait son projet de loi, il fut dans l'impossibilité de calmer l'audience. Face à la colère des élus, le premier ministre a dû prendre le relais.
« Moi, contrairement à vous, j’ai confiance dans les institutions de la Cinquième République », a répondu Manuel Valls au président de groupe UMP Christian Jacob, avant de préciser sa pensée : « Le gouvernement fera tout pour que cette loi passe. » Puis, pressé par l'ensemble des députés de s'exprimer sur la possibilité d'avoir recours au 49-3, Manuel Valls s'est décidé à éclaircir la position de l'exécutif. « Une majorité existe vraisemblablement sur ce texte, mais elle est incertaine et je ne prendrai aucun risque, a-t-il annoncé. La gauche gouverne, elle doit assumer ses responsabilités, j'engage donc la responsabilité du gouvernement. »
À 14 heures, soit une heure avant la séance de questions au gouvernement, un conseil des ministres avait été convoqué en urgence à l’Élysée. Le premier ministre aurait eu au téléphone le président François Hollande, tous deux décidant alors « d'engager la responsabilité du gouvernement ». « Le vote n'a jamais été acquis, c'est pourquoi le ministre s'est impliqué du début à la fin des débats, mais l'arbitrage en faveur du recours au 49-3 s'est vraiment fait à la dernière minute », précise un membre du cabinet d'Emmanuel Macron.
Dans la matinée, à l'issue des réunions des différents groupes parlementaires, les rumeurs d'un recours à l'article 49-3 étaient évoquées par plusieurs députés PS. Malgré tout, les rapporteurs thématiques du projet de loi se montraient confiants sur l'issue du vote, prévu à 17 heures. « Chacun peut avoir des positions de principe et s'opposer à certains articles, mais je ne crois pas à un rejet du texte, déclarait Denys Robiliard (PS) au sortir de la réunion de son groupe. Il y a eu un vrai travail de co-construction entre le gouvernement et le parlement, le processus législatif n'est pas terminé. »
« Je n'imagine pas le 49-3 sur un texte sur lequel une commission spéciale a bossé 82 heures, confiait à Mediapart la rapporteure thématique sur la réforme des professions réglementées, Cécile Untermaier, quelques minutes avant le débat dans l'hémicycle. On était à l'écoute de tout le monde pendant les débats. Je n'imagine pas qu'un parlementaire, en raison d'un congrès, puisse s'opposer à cette loi. »
La réunion des écologistes venait de se terminer, les pronostics étaient les suivants pour les députés EELV : 14 voix contre, 4 abstentions.
Les frondeurs avaient, eux, une tout autre analyse de la situation. Tour à tour, Christian Paul, Laurent Baumel, Pouria Amirshahi ont rappelé leur désaccord, en particulier sur le travail du dimanche. « Ils se sont réveillés trop tard, ils n'ont pas saisi la main qui leur a été tendue », a déploré Laurent Baumel. « Il est peut-être temps de nous écouter, sauf à constater de mois en mois que l'état du pays ne s'améliore pas, ni économiquement ni socialement », a renchéri le député des Français établis hors de France, Pouria Amirshahi.
L’étincelle dans l’hémicycle est partie de la communiste Jacqueline Fraysse. Celle qui s’était insurgée contre la tenue déplorable des débats sur les derniers articles concernant le droit du travail (examinés à la-va-vite entre 4 et 6 heures du matin dans la nuit de samedi à dimanche 15 février) a tiré une nouvelle fois la sonnette d’alarme : « Le gouvernement amplifie son programme ultralibéral de recul considérable des droits sociaux, de désengagement de l’État et de privatisation massive (...) ; ce texte n’apportera ni croissance ni activité », a-t-elle lancé, fortement applaudie par la droite de l’hémicycle.
Lors d’un coup de sang qu’on ne lui connaissait guère, Emmanuel Macron lui a rétorqué qu’il ne fallait surtout pas « caricaturer un texte pour lequel vous avez si longuement participé ». « Vous retrouvez de part et d’autre une forme d’union, s’est écrié le ministre de l’économie en pointant les deux bancs de l’hémicycle, ceux qui ne veulent pas changer le pays, ceux qui préfèrent dire que tout va bien, ceux qui préfèrent dire on ne fait pas assez parce que vous ne l’avez pas fait. »
« Cette espèce de réponse archaïque aux problèmes du pays ne passe pas, a déclaré André Chassaigne (Front de gauche) à l'issue de l'annonce de Manuel Valls de recourir au 49-3. Quand il y a un échec sur un texte de loi, on n'utilise pas le 49-3, on retire purement et simplement le texte de loi en question. » Le frondeur socialiste Laurent Baumel pense de son côté qu'il s'agit d'une crise sans précédent dans la Cinquième République : « On est entré dans une période de l'Histoire où la primauté de l'exécutif, c'est terminé. » Ce dernier déplore aussi la marginalisation des députés en désaccord avec le gouvernement : « C'est la méthode Valls qui a atteint ses limites, le fait de ne pas parler avec des opposants de l'intérieur, on surutilise des arguments d'autorité. Ils ont donc négocié comme toujours avec des gens qui leur accordaient des voix dès le départ, mais ils n'ont pas négocié avec nous, ni les Verts, ni l'UDI. »
Le centriste Jean-Christophe Fromantin, qui s'était prononcé en faveur du texte, a regretté la situation de blocage : « Tout ce qui se passe est assez décevant, on pourrait espérer une espèce d'union autour d'un texte qui n'est pas une révolution mais amène une amélioration. Réformer la France dans ces conditions-là est extrêmement difficile. »
« On n’aura pas besoin de hausser le ton, on va acheter des transats, des chapeaux de paille et on va regarder ce qui se passe dans le camp d’en face » : en marge des débats sur la réforme des professions réglementées, Jean-Frédéric Poisson (UMP) avait misé sur le déchirement des socialistes concernant le travail du dimanche. Il avait vu juste. Au bout d'un mois de débats sur la loi Macron, le climat jugé pourtant constructif s'est considérablement assombri. Et avec le dépôt de leur motion de censure, l'UMP et l'UDI voient leur stratégie d'affaiblir l'exécutif confirmée.
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