« Ce n’est pas la loi du siècle »mais pour l’imposer, François Hollande et Manuel Valls ont renié une décennie de bonnes pratiques. Mardi 17 février, ils ont dégainé le premier « 49.3 » depuis 2006, le premier d’un gouvernement de gauche depuis Pierre Bérégovoy.
Ils ont surtout renié leurs propres convictions, puisque l’un et l’autre, comme simples députés, ont maintes fois clamé leur opposition à cette conception sanguine du pouvoir, qui permet à l’exécutif de faire adopter un projet de loi sans le soumettre à l’approbation de la représentation nationale.
De quoi s’agit-il exactement ? Cette procédure comminatoire inscrite à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution de 1958 permet au premier ministre, quand il craint d’être minoritaire sur un texte au palais Bourbon, d’engager formellement sa responsabilité. Dès lors, le projet de loi est considéré comme adopté, sauf si les députés votent une motion de censure qui fait tomber illico le gouvernement. Face à un « 49.3 », une seule alternative subsiste sur les bancs de la majorité: laisser passer le texte tel quel ou basculer dans l’opposition.
« (Le 49.3) est une brutalité, un déni de démocratie », avait tancé François Hollande en 2006, la dernière année où cette prérogative a été utilisée par un premier ministre –c’était à l’époque Dominique de Villepin, résolu à faire plier une majorité rétive au CPE (contrat première embauche).
« Vous paraissez craindre la démocratie, avait alors grondé le premier secrétaire du PS. (Mais) je vous le dis : le passage en force est le signe des pouvoirs faibles. » A la tribune, François Hollande s’était même permis de crâner. « Jamais nous (les socialistes) n’avons utilisé de procédure contraignante à l’égard du Parlement et nous en sommes fiers », avait-il lancé en référence aux années Jospin à Matignon (1997-2002). « Monsieur le Premier ministre, concluait-il à l’adresse de Dominique de Villepin, ce qui nous oppose (…) c’est une méthode politique, un rapport à la démocratie, une conception du pouvoir. » Rien de moins.
Cette leçon de gouvernance (paradoxalement appliquée à la lettre par l’hyper-président Sarkozy qui n’a jamais recouru au « 49.3 » en cinq ans de mandat), François Hollande vient de la piétiner. Parmi ses « 60 engagements » de candidat à la présidentielle, il avait pourtant écrit ceci : « Je renforcerai le parlement ». Trois ans plus tard, il le violente.
Il n’est certes pas le premier. Le « 49.3 » a été utilisé à 82 reprises depuis 1958, à chaque fois avec succès –seules 48 motions de censure ont été déposées, toutes rejetées. Mais c’est l’instrument le plus critiqué du parlementarisme dit « rationnalisé » de la Ve République, qui vise à discipliner le parlement et même à le corseter, au nom de la stabilité et de l’efficacité gouvernementales.
En 2008, à l’occasion de la révision institutionnelle de Nicolas Sarkozy, l’usage du « 49.3 » a d’ailleurs été encadré, dans la droite ligne des recommandations du Comité Balladur. Depuis, son recours n’est plus autorisé que sur les deux grands textes budgétaires de l’année (les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale), plus une « cartouche » par session parlementaire (sur un texte ordinaire). C’est ce « joker » que Manuel Valls a joué mardi. Du coup, jusqu’à cet été, le premier ministre ne pourra plus manier la menace du « 49.3 » pour tenir sa majorité.
Comme député, en 2008, le député Valls s’était pourtant montré critique à l’égard de cette arme nucléaire à disposition de l’exécutif. A l’entendre, il aurait fallu « interdire tout recours (au 49.3) en dehors des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale ». Point à la ligne. C’était d’ailleurs la position de l’ensemble du groupe socialiste.
Parce que la réforme conservait un « 49.3 » en plus par session, Manuel Valls reprochait alors au gouvernement Fillon de s’arrêter au milieu du gué. « (Votre réforme) ne suffit pas à briser le corset qui enserre le Parlement depuis 1958, dénonçait-il. Votre texte garde du Parlement l'image d'un pouvoir indocile et malhabile, d'un vaste forum traversé par trop de conflits partisans pour bien défendre l'intérêt national. Le Parlement reste – selon (votre) schéma – une institution par essence turbulente que l'on doit rappeler à l'ordre. » Le voilà bien content aujourd’hui que l’UMP ait balayé ses postures.
A l’époque, au sein du PS, quelques-uns réclamaient même la fin totale du « 49.3 ». « L’ensemble des entraves à l’exercice du pouvoir législatif mériteraient d’être abolies, (dont) l’intégralité de l’article 49.3 », jugeait ainsi Jack Lang, membre du Comité Balladur.
Dans l’histoire du « 49.3 », il faut tout de même distinguer trois catégories d’usage, qui n’ont pas tous suscité les mêmes critiques. D’abord, cette procédure a pu être utilisée pour mater l’opposition. Confrontés à des stratégies d’obstruction et de retardement de la part de la droite, Pierre Mauroy et Laurent Fabius l’ont dégainée à onze reprises entre 1981 et 1986, au nom de la rationalisation du travail parlementaire. Ou Edouard Balladur en 1993 pour faire passer son programme de privatisations.
Ensuite, le « 49.3 » a permis de fabriquer des majorités, quand des premiers ministres ne jouissaient que d’une majorité relative dans l’hémicycle. Ainsi Michel Rocard, de 1988 à 1991, ne disposait-il que de 275 députés socialistes sur 577 sièges (soit 47,8%). Pour gouverner, écartelé entre le PCF et une poignée de centristes, il a ainsi eu recours 28 fois au « 49.3 », au secours de 13 textes différents -le record. Au cours de la même législature, Edith Cresson en a usé 8 fois, Pierre Bérégovoy 3 fois.
Mais les gouvernements ont également abusé de la « grosse Bertha » pour museler leurs propres frondeurs, transformant le « 49.3 » en outil de confort. Ce fut le cas sur des textes qui révisaient les modes de scrutin, toujours propices aux considérations individuelles donc au chahut. Ce fut aussi la pratique occasionnelle d’un Raymond Barre, malmené par les élus RPR entre 1976 et 1981. Ou encore de Pierre Mauroy en 1982, qui a imposé le blocage des salaires et des prix, alors que celui-ci hérissait nombre de députés PS.
Cet usage-là, qui tord le bras de la majorité sortie des urnes, est un drôle de « rapport à la démocratie », pour reprendre les termes du François Hollande de 2006. C’est l’usage qu’il en fait aujourd’hui. Il laissera forcément des traces.
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