Rocardien un jour, adepte du vote bloqué toujours ? En renouant avec l’époque où son mentor gouvernait face à une majorité relative issue des urnes en 1988, en multipliant les recours à la procédure du 49-3, Manuel Valls endosse toutefois un tout autre costume que celui de son prédécesseur à Matignon. Car si le premier ministre actuel fait aujourd’hui face à une absence de majorité absolue, c’est uniquement de son fait.
En choisissant d’user d’une procédure que son autre inspirateur, Lionel Jospin, s’était toujours refusé à employer à Matignon, il défend une vision de la gauche à l’opposé de la gauche plurielle, compromis permanent entre différentes cultures politiques. Avec Manuel Valls, c’est le retour au coup d’État permanent de la Ve république, et à « la gauche plus rien ». Outre les communistes et une majorité d’écologistes, les chevènementistes avaient aussi annoncé leur intention de voter contre le projet de loi Macron, comme une part non négligeable de socialistes, qui avaient aussi prévu de s’abstenir ou de ne pas participer au vote.
S’étant mis dans une situation folle où les voix de droite devenaient nécessaires à l’adoption du texte, Valls a affiché ce mardi sa détermination à être capable de tout, pour ne pas avoir à être de gauche. Il ne peut y avoir d’improvisation ou de panique chez un homme qui maîtrise si bien le rapport de force (au point de s’être imposé chef d’une majorité avec seulement 5 % des voix à la primaire). Car en réalité, l’emploi de ce 49-3 pour faire adopter une loi jugée comme secondaire par la plupart des députés socialistes, y compris parmi ses soutiens, signe la reprise de la marche consulaire de Manuel Valls.
Entamée au lendemain des municipales lors de sa nomination en dépit des résultats électoraux, puis accélérée à la fin de l’été avec le départ des derniers ministres de gauche de son gouvernement et ses déclarations d’amour à l’entreprise et au Medef, celle-ci s’était interrompue devant la rancœur grandissante des militants PS, et le holà émis par l’Élysée. Avec la loi Macron, les compromis avec sa propre majorité étaient même de retour. Ils étaient nombreux avec les députés dociles, et restaient possibles avec les socialistes critiques.
Vendredi soir, Benoît Hamon et Emmanuel Macron étaient tout proches d’un accord, moyennant quelques contreparties, notamment sur le travail dominical. Mais dès samedi matin, c’est Manuel Valls en personne qui est venu marteler son intransigeance dans l’hémicycle où se tenaient les débats (lire ici). Une stratégie de tension, aux antipodes des intentions pragmatiques de François Hollande et de son ancien conseiller économique, devenu locataire de Bercy. Une situation qui rappelle le débat autour de l’article de la loi sur le secret des affaires, où Macron a dû batailler directement auprès de Hollande pour obtenir un amendement de suppression auquel s’opposait fermement Valls (lire ici).
Même sans troupes majoritaires, pourtant faciles à rallier au terme d’un compromis guère difficile à trouver, le premier ministre a donc choisi de passer en force. Ne sachant s’illustrer que par les coups de menton, il entend saisir le moment pour profiter des institutions et s’imposer à une gauche en ruines, encore sidérée d’en être là, même pas trois ans après avoir retrouvé le pouvoir. Avec ce 49-3, il impose aussi ses vues et conceptions démocratiques à François Hollande comme à son gouvernement. Qui faute de ne savoir dire mot, en est réduit à consentir. Prochaine étape de l’avancée vallsienne, le congrès du PS en juin prochain pourrait achever de consacrer l’aggiornamento post-socialiste et autoritariste en cours.
Manuel Valls est désormais en proue d’un navire dérivant sur des flots idéologiques incertains, où il a embarqué de force ce qu’il reste de socialistes disciplinés. Avec ses moussaillons Jean-Marie Le Guen (ministre des relations avec le parlement) et Jean-Christophe Cambadélis (premier secrétaire du PS), en charge d’éviter toute mutinerie supplémentaire, il entend tenir le cap d’un libéralisme économique mâtiné d’ordre républicain. Dramatisant toujours plus sa traversée du pouvoir, il compte sur « l’esprit du 11-Janvier » pour souffler dans ses voiles et faire taire tous vents mauvais et contradictoires. Quant aux traîtres, « irresponsables » et autres « gauchistes » de son propre camp, ils seront jetés aux requins de la division.
Reste à comprendre ce que diable les socialistes sont allés faire dans cette galère.
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