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Procès du Carlton: DSK et l'ivresse du pouvoir

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Lille, de notre envoyée spéciale.-  Il n’a rien laissé transparaître. Il s’est contenté de poser un regard noir sur les avocats des parties civiles. De temps à autre, seulement. Toujours furtivement. Il est resté assis toute la journée sur le banc des prévenus, coincé entre ses anciens compagnons de soirées, David Roquet et Fabrice Paszkowski, à écouter les plaidoiries de maîtres Dalmasso, Daoud, Lepidi, Maton et Laporte. À s’entendre rappeler combien il fut grand, combien il fut admiré, combien il fut porteur d'espoirs. Et combien il a « déçu ».

« Je pense que beaucoup de ceux qu'on pouvait appeler le peuple de gauche ont le sentiment d'avoir été trahis par cet homme », résume en fin de journée Me Gilles Maton, qui assiste avec son confrère Me Gérald Laporte quatre ex-prostituées. Dominique Strauss-Kahn est penché en avant. On pourrait le croire prostré. En réalité, il tripote sa montre. Il attend que ça passe.

Rien n'a changé depuis l'ouverture du procès du Carlton, le 2 février, où l'ancien patron du FMI était apparu tel un bloc de marbre. « Quand j’ai vu entrer M. Strauss-Kahn le premier jour, j’ai eu une espèce de vision : ces dessins érotiques que faisait Picasso dans lequel figurait le Minotaure, poursuit l'avocat lillois. C’est la toute-puissance à l’état brut, à qui il faut amener des jeunes femmes en guise de rite initiatique. » Dans la matinée, Me Emmanuel Daoud, qui défend le mouvement du Nid, avait qualifié l’ancien patron du FMI de « Sardanapale des temps modernes », ce souverain de l’Assyrie antique, devenu le symbole des hommes puissants menant une vie de débauche.

Pendant une journée, le tribunal correctionnel de Lille s’est transformé en musée. On y a parlé d’œuvres d’art. On y a cité Charles Baudelaire et Oscar Wilde. On a cherché dans les mots et les peintures des autres une façon de représenter DSK, son comportement, son rapport aux femmes et au monde. En vain.

Dominique Strauss-Kahn à Lille, le 11 février.Dominique Strauss-Kahn à Lille, le 11 février. © Reuters

L’homme reste un mystère. L'affaire dite du Carlton – après celle de Piroska Nagy à Washington, de Tristane Banon à Paris et de Nafissatou Diallo à New York – a eu beau révéler les pans les plus intimes de sa vie personnelle, l'ex-futur présidentiable demeure insaisissable. Intouchable, presque. Ce lundi 16 février, pendant les suspensions d’audience, il continue de plaisanter avec ses avocats, comme il le fait depuis deux semaines, les mains dans les poches, le teint hâlé et le sourire franc. Il est tranquille. Surtout, il est ailleurs.

C’est certainement l’une des images les plus marquantes du procès de Lille. Cet ancien prétendant à l’Élysée qui se retrouve devant un tribunal pour « proxénétisme aggravé », aux côtés d'un personnage comme Dominique Alderweireld, alias “Dodo la Saumure”, gérant de maisons closes en Belgique. Qui jamais ne lève un sourcil ni le ton de la voix. Qui répète à l’envi qu’il ne savait pas, qu’il ne se rendait pas compte, qu’il avait de toute façon « autre chose à faire ». Comme si les « rencontres » qui l'ont conduit devant les juges et qu’il a qualifiées de « petites soupapes de récréation » ne le concernaient pas.

Me Emmanuel Daoud a écouté les explications que l'ancien patron du FMI a livrées avec un détachement qui n'a échappé à personne et que bon nombre de commentateurs ont interprété comme le signe d'un homme qui n'a plus rien à perdre. L'avocat ne l'a pas entendu de cette oreille. Pour lui, cette mise à distance n'est pas le fait de quelqu'un tombé trop bas, mais bien d'une personne encore perchée trop haut.

« Dominique Strauss-Kahn nous a expliqué d’un ton professoral qu’il avait une sexualité plus rude que la moyenne des hommes, qu’il ne modifiait pas sa sexualité en fonction de ses partenaires féminines, qu’il était toujours constant dans la délicatesse qui le caractérisait, qu’il était inconcevable que le directeur du FMI puisse se prendre en photo avec une prostituée », a-t-il rappelé durant sa plaidoirie. Oui, « tout cela a été assené comme des évidences », mais « pourtant est-ce si difficile d’imaginer qu’il savait parfaitement que certaines étaient des prostituées ? Était-il si naïf, si crédule ? ». « Que de risques ! Quel sentiment d’impunité ! s’exclame encore l'avocat, en se tournant vers le prévenu. Dominique Strauss-Kahn ne prenait aucune protection particulière, ce n’était pas son sujet. »

Au fil de leurs plaidoiries, les conseils des parties civiles dessinent le portrait d'un « proxénétisme bon chic bon genre », réalisé par des « cols blancs un peu singuliers ». Ils tracent les contours d'un monde où le pouvoir, les affaires et la sexualité se mélangent. Un monde où tout finit par être dû, où la puissance confine à l'aveuglement. L'intérêt du procès du Carlton, « c’est de se pencher sur le syndrome de la toute-puissance chez ce genre de personnes. Quand on est un homme politique, professionnel, on prend votre avis sur tout, on vous invite, on vous courtise. On ne paie pas très souvent : pas les hôtels, pas les restos et surtout pas les filles. Et c’est finalement ce qui va le sauver », lance Me Gilles Maton en désignant l'ancien patron du FMI.

Sans prédire le jugement qui sera rendu par le tribunal correctionnel de Lille, une certitude paraît déjà ancrée dans les esprits : DSK sera « sauvé ». En langage judiciaire : il sera relaxé. Durant l'instruction, le ministère public avait déjà demandé un non-lieu le concernant. « Nous pensons comprendre que ce sera aussi le sens des réquisitions orales », prévues ce mardi, conclut l'avocat lillois.

« S'il bénéficie d'une relaxe, beaucoup d'entre nous ne seront pas dupes », a encore plaidé Me Emmanuel Daoud dans la matinée. Les avocats des parties civiles en sont persuadés depuis le début de l'affaire : selon eux, Dominique Strauss-Kahn ne pouvait ignorer que les recrues féminines de ses « soirées libertines » étaient des prostituées. Pourtant, force est de constater que la preuve formelle de cette connaissance n’a pas été apportée durant les débats. « C’est la raison pour laquelle Équipes d’action contre le proxénétisme a décidé de retirer sa constitution de partie civile contre M. Strauss-Kahn », affirme le conseil de l'association, Me David Lepidi, au terme d'une plaidoirie aussi longue que décousue. Après 70 heures de débats, personne n'a réussi à pousser l'ancien patron du FMI dans ses retranchements. Alors que la défense n'a cessé de s'agiter autour des ex-prostituées, les déstabilisant à plusieurs reprises, aucun représentant des parties civiles n'a ébranlé l'ancien prétendant à l'Élysée.

Depuis deux semaines, dans l'enceinte du tribunal correctionnel de Lille, deux camps s'affrontent à armes inégales. Aux témoignages brisés des quatre anciennes prostituées répond en écho l’assurance d’un Minotaure tout-puissant dont la voix, habituée des micros, ne fléchit jamais. Les avocats présents d'un côté et de l'autre de la salle d'audience ont beau porter la même robe noire, ils ne boxent pas dans la même catégorie. Les ténors du barreau sont clairement du côté de la défense, qui a certainement eu moins de mal à payer les honoraires que justifie leur talent. Comme l'a souligné Me Daoud, ce procès « n’est pas seulement celui de la prostitution ou du proxénétisme. C’est aussi le procès de notre société ». Et c'est une reproduction miniature de celle-ci qui s'offre à nos yeux.

L'affaire dite du Carlton est bien plus qu'un simple débat sur le libertinage. Qu’importent la sexualité, les envies ou les mœurs de Dominique Strauss-Kahn. Ce qui interroge dans ce dossier, c’est bien le rapport au pouvoir, la courtisanerie, le cynisme et le sentiment d’impunité qui l’accompagnent souvent. Cette façon d’être, non pas dans l’événement, mais juste au-dessus, de le regarder d’un peu plus haut, sans en percevoir le véritable sens. L'ancien patron du FMI était certainement, comme l’a indiqué Me Lepidi, « l’alpha et l’oméga » des « rencontres » que ses amis lillois organisaient jusqu'à Washington. Mais comme les trois petits singes, il n’a rien vu, rien entendu, rien dit. Il a simplement profité. De tout. À commencer de la bulle que lui conférait son statut. Et qui continue de le protéger devant la justice.

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