C'est un énorme pavé que les députés se préparent à voter ce mardi 17 février. À l'issue de 200 heures de débats presque ininterrompus, les députés sont venus à bout d'un texte qui compte désormais près de 300 articles (après les amendements) dans la nuit du samedi au dimanche 15 février, à 5h54. Après le vote, le projet de loi « pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques » partira au Sénat pour un examen au printemps, avant un retour à l'Assemblée qui aura le dernier mot.
Le ministre de l'économie, attendu au tournant, n'a manqué aucune des sessions. En fin technocrate, il a répondu à chaque question, ce qui a ralenti l'examen du projet de loi mais a instauré un climat de travail jugé constructif. Emmanuel Macron sort renforcé de ce premier crash test, où les députés de l'opposition et ceux de la majorité ont unanimement reconnu son expertise et ses habiletés de négociateur.
La prééminence de Bercy sur les autres ministères est de fait confirmée. La garde des Sceaux Christiane Taubira n'a dit mot sur la réforme des professions réglementées, pas plus que François Rebsamen, le ministre du travail, ne s'est fait entendre concernant les changements qui interviennent sur le code du travail. Sans parler de Ségolène Royal, concernée par les modifications du code de l'environnement, ou encore de la ministre de la santé à propos de la privatisation du laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (article 48).
Lundi 16 février, le gouvernement semblait aborder le vote du texte de « loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques » avec sérénité. La majorité du groupe socialiste ainsi que les radicaux de gauche se sont rangés aux côtés du gouvernement, alors que les écologistes sont partagés et que la plupart des centristes prévoient de s'abstenir. Certains élus de droite se sont ouvertement prononcés en faveur du texte, tels Frédéric Lefèvre, Hervé Mariton ou encore Thierry Mariani, mais la plupart des membres du groupe UMP voteront contre. Les élus du Front de gauche se sont opposés au projet de loi. Restent donc les frondeurs socialistes, qui devraient se diviser entre abstention et votre contre.
Exclus du travail en commission spéciale (hormis les rapporteurs Richard Ferrand, Cécile Untermaier, Denys Robiliard et Stéphane Travert qui voteront en faveur du texte) et absents de la quasi-totalité des débats dans l'hémicycle, les frondeurs du PS étaient attendus pour débattre sur le travail du dimanche. Jonglant vendredi et samedi entre prises de position dans l'hémicycle et interviews dans les médias, ils ont tenté de faire plier Emmanuel Macron. Sans succès.
L'aile gauche du PS, à l'instar de Fanélie Carrey-Conte, a fustigé les articles sur le travail dominical qui « ne vont pas dans le sens des conquêtes sociales ». Le député de Paris Pascal Cherki et Pouria Amirshahi (Français établis hors de France) ont pointé les contradictions de leur parti, opposé à la généralisation du travail du dimanche en 2008. « Si l'on condamne quelque chose pour le mettre en place après, alors la parole publique devient une langue morte », a déclaré Pouria Amirshahi. L'ancien ministre de l'éducation Benoît Hamon a appelé au compromis concernant la possibilité donnée aux maires d’autoriser l’ouverture jusqu’à douze dimanches par an (au lieu de cinq jusque-là) : « Sauf à ce qu'on ne s'y reconnaissance plus, j'attends de vous qu'a minima il y ait des planchers sur les compensations ».
Au risque de perdre quelques voix de la majorité, le ministre de l'économie a choisi la fermeté. « J’ai entendu en creux vos menaces. Je ne cherche pas des compromis politiques pour rallier des voix, a-t-il affirmé en réponse à Laurent Baumel qui l'invitait à « réfléchir sérieusement » à « faire un geste politique avant mardi ». L'inflexibilité du ministre n'a pas plu aux députés Pouria Amirshahi, Benoît Hamon (voir sa lette publiée sur le site de Marianne) ou encore Laurent Baumel, qui ont par la suite annoncé vouloir voter contre le texte.
Avec le soutien du premier ministre, Manuel Valls, venu s’asseoir quelques minutes à ses côtés dans l’hémicycle samedi après-midi, Emmanuel Macron a déjoué les critiques des députés de son camp sur la création de zones touristiques internationales. Seule concession, le vote d'un amendement pour que les salariés de supermarchés bénéficiant d'une dérogation pour ouvrir chaque dimanche puissent avoir une rémunération majorée d'au moins 30 %.
Outre les menaces de certains élus PS, les écologistes n'ont pas encore arrêté de décision, à la veille du vote. Le coprésident du groupe François de Rugy a indiqué à Mediapart qu'EELV penchait majoritairement vers une opposition au texte, et ce malgré le fait que les Verts ont réussi à faire passer le plus grand nombre d'amendements parmi l'ensemble des députés (hormis le PS). Une chose est sûre, les frondeurs ont exaspéré une partie du groupe PS. « Je suis fatiguée qu'on vienne me dire ce que je dois faire le dimanche », leur a lancé la députée des Pyrénées-Atlantiques Colette Capdevielle, qui avait déjà fait connaître sa position lors de son désormais fameux « descriptif d'un dimanche ordinaire au Pays basque » en commission spéciale.
Comme on pouvait le craindre, les derniers articles concernant la réforme des prud'hommes et le droit du travail ont été expédiés et débattus dans la nuit de samedi à dimanche, en comité restreint. Les quatre députés UMP présents ont décidé de quitter l'hémicycle en début de soirée et de ne pas revenir à 22 heures après la suspension, ayant presque épuisé leur temps de parole au vu de la procédure dite « du temps programmé ». « Nous quittons l'hémicycle car nous n'avons plus de temps de parole pour discuter de sujets très importants. Le groupe PS continuera à discuter tout seul », a justifié l'orateur UMP Jean-Frédéric Poisson, après avoir en vain demandé au président de l'Assemblée Claude Bartolone une convocation de la conférence des présidents de groupe politique pour réclamer davantage de temps.
Côté PS, on dénonçait une « théâtralisation » du groupe UMP, qui avait par ailleurs beaucoup usé de son temps de parole sur les professions réglementées. Plus grave, abordant le sujet épineux des licenciements collectifs, le groupe SRC (Socialiste, républicain et citoyen) n'a même pas pris la peine de demander du temps pour s'exprimer au sujet de l'article 101, discuté en à peine vingt minutes.
Retour sur les différents chapitres de la loi Macron, dans laquelle il ne reste plus grand-chose du projet de loi défendu initialement par Arnaud Montebourg et des milliards d'euros d'économie censés revenir aux foyers français.
Libéralisation des lignes de car (27 janvier)
L'entrée en matière du projet de loi s'est faite par la libéralisation des lignes d'autocar. Petite révolution dans les transports en France, le bus pourrait devenir une réelle alternative au train et à la voiture individuelle. Face aux critiques du Front de gauche et de la droite qui craignent la concurrence de ce nouveau mode de transport sur le rail, le ministre de l'économie estime que l'apparition de nouvelles lignes d'autobus permettra un meilleur « maillage territorial ». Les écologistes préfèrent mettre en avant le meilleur bilan carbone du car vis-à-vis de la voiture.
Une autorité administrative indépendante sera chargée de veiller à ce qu’aucun contrat de service public ne soit menacé. Mais il est à noter qu'aux yeux du droit européen, les TGV ne sont pas régis par des contrats de service public. Si bien que la France ne pourrait pas refuser l’ouverture d’une ligne d'autobus pour protéger l’équilibre économique d’une ligne de TGV.
- Lire notre article : Privatiser les cars : la fausse bonne idée de Macron.
Suppression de l'amendement sur le secret des affaires (29 janvier)
L'objet de la discorde s'était discrètement glissé entre un amendement sur le sort réservé aux déchets liés à la mérule (champignon qui prospère sur les structures en bois des habitations) et un article sur les retraites chapeau. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission, avait présenté un amendement intitulé sobrement « après l’article 64 », qu’il avait déposé en son seul nom deux semaines plus tôt. Le texte proposé n’avait d’amendement que le nom. C’était en fait un vrai projet de loi, inclus dans le dispositif législatif. Il s’agissait d’intégrer dans le code civil et pénal un délit pour violation « du secret des affaires ».
Sous couvert de protéger les entreprises françaises face à l’espionnage industriel, l'amendement prévoyait de sanctionner toute atteinte au secret des affaires. Il stipulait que toute violation du secret des affaires était passible d’une peine de trois ans de prison et d’une amende de 375 000 euros. La peine était doublée et portée à 7 ans de prison et 750 000 euros d’amende « lorsque l’infraction est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France ». Face à la mobilisation des journalistes, l’exécutif a renoncé à légiférer dans l’immédiat sur ce sujet.
- Lire notre article : Macron abandonne son projet sur le « secret des affaires ».
Réforme du permis de conduire (30 janvier)
Les députés ont adopté les dispositions visant à faciliter l’accès à l’examen du permis de conduire et réduire à quarante-cinq jours le délai maximal entre deux présentations à l’examen pratique. Les étudiants pourront désormais passer le code de la route au lycée. Un amendement du président de la commission, François Brottes (PS), a rendues possibles la préparation et la présentation à l'examen du code dans les locaux des lycées, en dehors du temps scolaire, pour les élèves volontaires.
Les députés présents ont aussi rendue obligatoire, au moins une fois par an, la publication par les auto-écoles des taux de réussite de leurs candidats aux épreuves du code de la route et de conduite. L'idée étant de favoriser « la concurrence entre les auto-écoles sur une base objective » et la « baisse des tarifs pratiqués », a expliqué le rapporteur général.
Pour raccourcir les délais, il est également prévu de pouvoir mobiliser des fonctionnaires ou des contractuels afin qu’ils fassent passer l’examen dans les zones tendues, ou encore d’inscrire dans la loi un « droit à l’examen ». Pour faire baisser les coûts, le nombre minimal d’heures de formation pratique (vingt aujourd’hui) est supprimé. Enfin, les auto-écoles ne pourront plus facturer de frais de présentation à l’examen.
Le lobbying des professions réglementées et la reculade du ministre sur la libéralisation des tarifs (3 février)
Au lieu de mettre en place une tarification de référence pouvant varier entre un prix plancher et un prix plafond (entre 10 et 15 %) comme prévu initialement, Bercy a établi deux formes de tarification. D’un côté, il y aura les tarifs fixes correspondant aux actes simples (contrat de mariage, donation) et de l’autre un tarif (achat d’un bien immobilier par exemple) à partir duquel pourra s’appliquer une remise. Alors qu'Emmanuel Macron s'était posé en victime des lobbys, affirmant avoir porté plainte pour menaces de mort, difficile de savoir d'où est venue la reculade.
Le rapporteur Richard Ferrand a expliqué à Mediapart que la députée de Saône-et-Loire, par ailleurs proche de Montebourg, Cécile Untermaier et lui-même tentaient depuis plus d'une semaine de ramener le ministre à la raison. « Je redoutais les effets néfastes d'un tel mécanisme, confie Cécile Untermaier, à savoir que les actes à perte auraient été mis au taux plafond par des notaires peu scrupuleux et les actes très rémunérateurs auraient été mis à des tarifs bas pour attirer la clientèle. » Quant à savoir pourquoi cela n'a pas été acté plus tôt, Richard Ferrand confie en aparté que « ce n'est pas évident de convaincre les technocrates de Bercy qu'ils ont fait une erreur ».
Les gagnants seront les perdants. À la question de savoir si les tarifs vont baisser, Emmanuel Macron a répondu négativement. « Nous allons simplement créer les conditions pour que ces tarifs n’augmentent pas de manière artificielle comme ça a été le cas ces vingt dernières années. » Adieu aux six milliards d'économies qu'avait promis Arnaud Montebourg aux ménages victimes du « monopole » des professions réglementées.
- Lire notre article : Macron trébuche sur la baisse des tarifs des notaires.
Le gouvernement s'octroie le droit de modifier le code de l'environnement
Selon l'article 28, le gouvernement pourra prendre des mesures législatives visant à accélérer « les projets de construction et d'aménagement » ou modifier les règles applicables à leur « évaluation environnementale ». L'article prévoit aussi l'accélération des processus de « règlement des litiges relatifs aux projets susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement ». Quelques mois après la mort de Rémi Fraisse sur le site du barrage de Sivens (Tarn) et après les mises en garde des associations écologiques sur les problèmes de démocratie participative dans le cadre de projets d'urbanisme, cet article, pourtant peu débattu dans l'hémicycle, prend une tonalité particulière.
Alors que l'ancienne ministre du logement, Cécile Duflot, était vivement montée au créneau durant les travaux en commission spéciale, elle était la grande absente lors du débat dans l'hémicycle. Questionnée sur son positionnement, elle n'a pas souhaité répondre à Mediapart.
- Lire notre article : Macron et son projet fourre-tout passent une première étape.
Privatisation des aéroports de Nice et Lyon
Dans la foulée de la privatisation de l'aéroport de Toulouse intervenue en décembre 2014, les députés ont acté le « transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Aéroports de la Côte d’Azur et de la société Aéroports de Lyon ».
Un amendement de la rapporteure thématique Clotilde Valter, députée du Calvados, adopté en commission, a renforcé les prérogatives du Parlement pour les opérations de privatisation de sociétés concessionnaires d’aéroports et d’autoroutes, en les soumettant de manière systématique à l’autorisation préalable du législateur.
Réforme de la justice prud'homale, vers une accélération des délais de traitement
Le projet de loi Macron a introduit de profonds changements dans la justice prud'homale. Présenté comme devant rendre le système actuel plus rapide, ce texte élude pourtant la seule question qui vaille, celle des moyens (voir notre article « Prud'hommes : pourquoi le poivoir réunit la CGT et le Medef contre lui »).
Deux axes principaux ont été retenus pour accélérer le délai moyen de traitement d'une affaire de près de 12 mois : l’instauration de procédures accélérées et l’implication plus grande d’un juge professionnel dans le jugement des affaires. Il sera donc bientôt possible de passer devant un bureau de jugement en formation restreinte, comprenant seulement un conseiller salarié et un conseiller employeur. Cela concernera la majorité des affaires, puisque les seules conditions seront que la phase conciliation ait échoué, que les deux parties soient d’accord pour la formation restreinte, et que le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire (l’acte par lequel le salarié demande au juge d’annuler le contrat de travail, aux torts de l’employeur, ce qui lui garantit le versement de fortes indemnités).
Le texte prévoit un délai de jugement très court, puisque les deux juges seraient tenus de statuer dans un délai de trois mois. En cas de désaccord entre eux, l'affaire serait envoyée en départage. Une première mouture de la réforme prévoyait que la formation restreinte doive utiliser un barème fixe pour déterminer les indemnités à verser au salarié, uniquement en fonction de son ancienneté et de son salaire. Après une levée de boucliers, le gouvernement a reculé pour instaurer un « référentiel » plutôt qu'un « barème ». Les juges pourront donc s’aider d’un référentiel indicatif pour la fixation des dommages et intérêts mais rien ne les y obligera.
Autre axe de changement : si les deux parties y sont favorables ou si le bureau de conciliation le recommande, le dossier pourra être envoyé directement devant une formation comprenant les quatre conseillers habituels, mais accompagnés d’un magistrat professionnel. Il s’agirait en quelque sorte de sauter l’étape du bureau de jugement. Dans l’hypothèse haute de l’étude d’impact du gouvernement, cela doublerait le taux de départage.
Derniers coups de boutoir sur le code du travail
La partie concernant les licenciements collectifs et le droit du travail a été discutée dans la nuit de samedi à dimanche entre 4 et 6 heures du matin. Dans l'hémicycle, seuls une trentaine de députés ont défié le sommeil. Aucun représentant de l'UMP n'a suivi les débats. La peine d’emprisonnement associée au délit d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel est supprimée. Parallèlement, le montant de l’amende pénale est majoré de 3 500 à 7 000 euros.
Avec l’article 101, ce n’est plus le groupe qui doit indemniser les salariés en cas de redressement judiciaire mais l’entreprise. Une aberration, puisque l’on sait que la fermeture d’une filiale donnée découle bien souvent d’une stratégie de groupe. Le rapporteur thématique Denys Robiliard s'est lancé dans une longue explication, où il s'en est remis à la jurisprudence de ces dernières années, plutôt favorable aux salariés. « Je n'ai pas trouvé comment aller plus loin, a-t-il conclu, cet article ne supprime rien qui existerait. »
« On crée un mécanisme d'incitation pour que les groupes organisent eux-mêmes artificiellement la liquidation ou le redressement judiciaire de filiales », a déploré la frondeuse Fanélie Carrey-Conte. Jacqueline Fraysse (PCF) a renchéri en exigeant un vote public sur son amendement de suppression de l'article 101. Résultat : 34 votants, 10 contre, 24 pour.
- Lire notre article : Avec la loi Macron, la mise en pièces du droit du travail se poursuit.
BOITE NOIRECet article publié lundi 16 février 2015, avant que le gouvernement n'engage sa responsabilité sur le texte privant de vote les députés, a été remanié le 17 février.
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