Plus de 3 000 personnes ont été greffées d'un rein l'an dernier. C'est de loin l'organe que l'on transplante le plus facilement. Malheureusement, 9 000 patients sont toujours sur liste d'attente, parfois depuis des années. Pour réduire ce temps d'attente, il est possible de faire appel à un donneur vivant. Plus de 350 reins ont été prélevés de cette façon cette année.
Éliane Girard vit près de Paris, dans une jolie maison cachée au bout d'une impasse. Depuis 57 ans, une maladie génétique, la polykystose rénale, est logée quelque part dans son organisme, mais perturbait à peine sa vie quotidienne. En quelques mois, l'an passé, le cours des choses s'accélère : sa fonction rénale commence à se gripper et il faut envisager une greffe très rapidement. Stéphanie Boisson, sa compagne, propose de lui donner l'un de ses deux reins.
« Nous en avions parlé et, sans être évident, cela me semblait naturel, raconte aujourd'hui la jeune femme. En revanche, quand les analyses médicales ont noté une dégradation de l'état d'Éliane, ça a été plutôt violent, parce qu'on ne s'attendait pas à ce que cela arrive si vite. Même si Éliane est malade, qu'elle prend des médicaments, on n'y pensait pas tous les jours. Et puis, un jour, elle est revenue d'un rendez-vous à l’hôpital et l'on a su qu'il fallait se décider. » Et savoir d’abord si les deux femmes sont compatibles, si le fameux « cross match » (une étude réalisée pour prévenir le phénomène de rejet de greffe) fonctionne.
Stéphanie Boisson : « On s'était préparés à tout »
Éliane Girard : « Pour le donneur, c'est un parcours du combattant »
Pendant près de six mois, le donneur est soumis à bilan médical complet. Il doit être en excellente santé pour éviter tout risque de complications sur la table d'opération. Aux examens médicaux, s'ajoute la rencontre avec un psychologue ou un psychiatre, qui évaluera les motivations du don et s'assurera qu'il est fait en pleine conscience. Le comité d'éthique de l’hôpital validera in fine le processus, avant le tampon du juge du tribunal d'instance.
Après des mois de doutes, Stéphanie et Éliane apprennent qu’elles sont compatibles. Éliane va donc pouvoir bénéficier d'un don entre vivants, éviter du coup la dialyse, un traitement par une machine, sur laquelle il faut se brancher en général trois fois par semaine pendant quatre à six heures et qui joue artificiellement le rôle du rein. Elle aurait pu également recevoir un rein issu d'un don post mortem, mais les délais sont beaucoup plus longs, près de trois ans pour des patients suivis en Île-de-France.
Si Stéphanie a pu se lancer dans le don d'organe, c'est grâce à la première modification de la loi de bioéthique de 2004, qui a autorisé, outre le cercle familial étroit, le don entre deux personnes liées par un PACS ou apportant des preuves de leur vie commune (lire en Boîte noire de cet article). Dans les faits, le don concerne en premier lieu les reins et, dans une bien moindre proportion, le foie (9 prélèvements seulement en 2012)
Stéphanie : « On a commencé 2013
en sachant que cela allait être une année spéciale »
Fin du mois d'octobre, Éliane et Stéphanie sortent de l'hôpital Necker, à Paris. La greffe a eu lieu quinze jours auparavant, sans embûches. Une dernière fois, quelques secondes avant le début de l'opération, le chirurgien a demandé à Stéphanie si elle était toujours sûre de sa décision. Le rein, prélevé en quelques heures, a ensuite été transplanté le plus rapidement possible dans le corps d’Éliane. « Cela reste un peu douloureux, car le rein doit prendre sa place et il pousse un peu les autres organes, explique cette dernière. Mais déjà, au bout de 48 heures, j 'avais l'impression que mon corps avait été nettoyé. C'est miraculeux. » Stéphanie relève son T-shirt pour montrer sa cicatrice de 7 centimètres, dessinée en bas du ventre… « Au tout début, à l'hôpital, avec les sondes et la douleur, on sent qu'il s'est passé quelque chose d'irréversible, et j'ai eu très mal pendant quelques temps. Mais je ne ressens pas de manque dans mon corps, je vais finalement extrêmement bien. »
Éliane : « Quand le rein s'est mis en fonction, c'est comme si j'étais plus légère »
Pour les deux femmes, l'affaire est désormais quasiment classée, du moins sur le plan physique. Reste à gérer ce don que l'on a fait à un proche ou à un membre de sa famille. Benoît Labbé et sa mère Bernadette sont passés par là, il y a sept ans. À 10 ans, Benoît contracte une maladie non-héréditaire qui le plonge dans le coma et détraque son système rénal. Soigné par dialyse, il reprend une vie à peu près normale jusqu'à 23 ans, date à laquelle ses reins fléchissent à nouveau. Deux ans plus tard, devant une dégradation subite, la greffe est envisagée.
Ses parents, tous les deux informés depuis longtemps de cette possibilité, sont volontaires et compatibles. Mais le père de Benoît est recalé, pour des raisons de santé. C'est donc la mère, Bernadette, et le fils qui s'engagent dans le don d'organe. « Je me souviens bien de la veille de l'opération, raconte Benoît. On avait chacun notre valise et on partait vers un drôle de voyage. Quand on est arrivés là-bas, nous avons pris notre repas ensemble et puis après, chacun est rentré dans sa chambre. Je crois qu'il valait mieux que ce soit comme ça, pour que l'un et l'autre prennent conscience de l'importance du geste… C'était très dur, j'avais l'impression de ne plus rien maîtriser. »
Benoît : « J'ai eu peur pour ma mère »
Bernadette : « Un moment très fort aussi, c'est la salle de réveil »
L'opération reste, pour ce jeune greffé, finalement « assez fabuleuse ». Les douleurs disparaissent, les fonctions rénales aussi quotidiennes qu'uriner reprennent, le corps se remet en marche. Une greffe effectuée avec un greffon issu d'un don post mortem, dit « de cadavre » par le corps médical, permet de prolonger la fonction rénale sans dialyse pendant plusieurs années. Recevoir un greffon d'un donneur vivant permet de faire durer encore significativement sa fonction rénale. Mais le malade n'est pas guéri pour autant, rappelle Benoît : « Quand on parle de cette greffe à l'entourage, les gens trouvent ça très beau et c'est vrai. Mais on ne mesure pas les problèmes psychologiques, les peurs, les émotions et aussi le fait que les greffés restent malades. Les gens ne voient pas la lourdeur du traitement, le fait que le corps finira par reconnaître le greffon et le rejeter. »
La réussite d'une greffe est conditionnée à la prise de traitements immunosuppresseurs assez lourds, sans compter les médicaments destinés à limiter les effets secondaires. Dans le cas de Benoît, c'est quinze comprimés par jour, et l'apprentissage d'une hygiène de vie quasi irréprochable. Sur le plan du mental, il s'agit aussi d’accepter cet organe étranger et ce don par définition extraordinaire. Cette fameuse « dette » que le receveur contracte vis-à-vis du donneur et qu'il doit apprendre à digérer.
Benoît : « C'est mon rein, il m'appartient »
Éliane et Stéphanie, comme tous les paires de donneurs-receveurs, tournent autour de cette question de la dette depuis des mois. Elles semblent faire corps avec l'idée de « mutualisation » défendue par Olga et Christian Baudelot, un couple de psychologue et sociologue ayant vécu une aventure similaire : « C'est un pot commun, comme un compte commun du rein », s'amuse Stéphanie, avant qu'Éliane n’ajoute, avec une touche de malice : « On partage notre vie, donc on partage ça aussi. Et puis, c'est un peu l'idée de la maxime pour enfants : “Donner c'est donner, reprendre c'est voler !” »
Éliane : « Si j'avais été en dialyse, j'aurais été très diminuée
et notre vie à deux aurait changé »
Dans ces deux cas, un donneur vivant s'est immédiatement proposé et était compatible. Certains patients n'ont pas cette chance. Depuis la modification de la loi de 2011, la France autorise le don croisé, déjà en vigueur aux États-Unis, en Corée, aux Pays-Bas ou au Japon. Le principe est assez simple : lorsque le don n’est pas possible au sein de deux membres de la même famille, le don croisé consiste à réunir, anonymement, deux paires de donneurs-receveurs présentant une compatibilité entre eux. Schématiquement cela pourrait s'écrire ainsi : 1 et 2 se connaissent mais ne sont pas compatibles. De même, 3 et 4. Mais 1 et compatible avec 4 et 2 avec 3. L'Agence de biomédecine va donc faire en sorte que 1 reçoive le rein de 4 et que 2 donne le sein à 3, de manière totalement anonyme.
Claudine et son fils ainsi que Michèle et son mari se lancent dans cette aventure cet automne…
Prochain épisode : « Pas tous égaux face au don vivant ».
BOITE NOIRELongtemps, la France a privilégié le don post mortem, où l'organe est prélevé sur une personne récemment décédée. Il a fallu attendre la première loi de bioéthique, en 1994, pour que la France permette le don dans le cadre strict de la famille nucléaire. Dix ans plus tard, une modification de la loi permet à la famille élargie de donner un rein, ainsi qu'aux personnes vivant avec le receveur, concubin, conjoint ou pacsé. En 2011, la loi autorise finalement le don dans le cercle amical ainsi que le don croisé. Les premières opérations seront réalisées après le premier trimestre 2014.
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