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Incinérateur de Fos: l'incendie vient relancer la tourmente judiciaire

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Une semaine après le violent incendie qui a détruit une partie de l’usine de Fos-sur-Mer, qui traite les 410 000 tonnes de déchets annuels de la communauté urbaine de Marseille, la société exploitante, Evéré, n’a toujours pas avancé la moindre explication sur la cause du sinistre. L’épisode a fait renaître la polémique autour de « l’incinérateur de Fos-sur-Mer », mis en service en 2010 malgré l’opposition des communes voisines.

Le 2 novembre en début d'après-midi.Le 2 novembre en début d'après-midi. © Institut écocitoyen

Selon Evéré, filiale du groupe espagnol Urbaser, « seul le lieu du départ de feu est identifié : le bâtiment de tri secondaire, dans lequel aucune matière combustible n’est entreposée ». Le feu s’est déclenché la veille d'un long weekend, dans la nuit du vendredi 1er au samedi 2 novembre 2013. Il a détruit les chaînes d’alimentation en déchets du centre (bâtiment de tri secondaire, biofiltre, bâtiment de compostage et centre de tri primaire), sans toucher, selon Evéré, ni l’unité de méthanisation elle-même, ni l’incinérateur. L’entreprise n’a pas encore évalué le nombre de tonnes de déchets, stockés dans les fosses, qui ont brûlé à l’air libre.

En temps normal, les 1 200 tonnes d’ordures marseillaises arrivant chaque jour par train sont triées une première fois pour être recyclées (papiers, plastique, verre, etc.), méthanisées ou brûlées. À son entrée dans la chaîne de méthanisation, la matière organique est à nouveau triée dans le bâtiment où le feu a pris. Selon La Provence, « des indices montrent qu'une intervention humaine pourrait en être à l'origine ». Le journal cite plusieurs « bizarreries », notamment la rapidité avec laquelle le feu s’est propagé, l’absence de détecteurs d'incendie et de système d’arrêt de la ventilation (qui aurait pu étouffer un départ de feu) sur ce lieu précis. On pourrait ajouter, selon nos informations, l’absence de caméras de surveillance dans cette partie du site.

Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce (association regroupant collectivités, associations et entreprises sur la gestion des déchets) ne voit que deux hypothèses. « Soit il y avait dans les déchets quelque chose qui a mis le feu au reste, soit il s’agit d’un sabotage, je ne vois pas de troisième solution, estime-t-il. C’est l’une des usines les plus modernes de France, donc on a du mal à croire qu’il puisse s’agir d’un vice de forme. » Les incendies dans ce type d’installation sont généralement causés par des fusées de détresse, des bonbonnes de gaz ou des bidons de liquides inflammables ayant atterri par erreur parmi les déchets ménagers. Mais en l’occurrence, selon une source interne, les tapis de tri du bâtiment concerné étaient à l’arrêt depuis le vendredi matin, suite à une avarie.

Le commissariat de Martigues ainsi qu’un expert ont été chargés par le parquet d’Aix-en-Provence de l’enquête sur l’origine du sinistre. « Mais son rapport pourrait prendre plusieurs semaines, voire des mois », précise Denis Vanbremeersch, le procureur adjoint de la République. À la communauté urbaine de Marseille, en quasi-guerre depuis 2009 avec son délégataire, certains évoquent, en “off”, un incendie qui ressemblerait beaucoup à une possible « destruction de preuves ». Car deux autres procédures judiciaires sont déjà en cours concernant l’usine de Fos.

Dans le cadre d’un des volets de l’affaire Guérini, le juge d’instruction Duchaine s’intéresse de très près aux conditions d’attribution, en 2005, de cette délégation de service public (DSP) à une filiale du groupe espagnol Urbaser, au nez de Suez, pourtant d’abord pressenti. Les gendarmes chargés de l’enquête soupçonnent Jean-Marc Nabitz, l’ancien directeur d’une société d’économie mixte du département, très proche d’Alexandre Guérini, d’avoir pu communiquer au groupe Urbaser, avec lequel il était en relation depuis 2004, des informations sur les offres des deux autres candidats en lice (Veolia et Suez).

Après avoir perquisitionné le siège d’Urbaser Environnement à Montpellier en avril 2012, les enquêteurs ont entendu de nombreux acteurs du dossier : anciens cadres de MPM, élus membres de la commission de délégation de service public (DSP) et responsables des trois cabinets privés chargés d’analyser les candidatures. Sans obtenir de preuve définitive que le marché ait été faussé.

Jean-Marc Nabitz a en tout cas joué un rôle trouble, en 2008, lorsque le socialiste Eugène Caselli a remporté, à la surprise générale – la gauche était minoritaire –, la présidence de la communauté urbaine de Marseille (CUM). L'ancien spécialiste des déchets du conseil général a alors conseillé Eugène Caselli, propulsé dans une galaxie inconnue et obligé de se reposer sur les réseaux d’Alexandre et de Jean-Noël Guérini. « Il m'a servi de consultant bénévole pour m'expliquer le dossier juridique de l'incinérateur, expliquera benoîtement Eugène Caselli aux gendarmes en février 2011. Il est très compétent en la matière et il m'a décortiqué le dossier de l'incinérateur de Fos. C'était à titre bénévole. »

Voilà qui a dû bien faire rire les gendarmes qui, en septembre 2011, lors d’une perquisition, ont découvert un contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage signé par le « consultant bénévole » avec Urbaser, en janvier 2009. Entre janvier et avril 2009, l'ex-ingénieur a reçu 574 000 euros d'Urbaser. Jean-Marc Nabitz a reconnu en garde vue, le 8 novembre 2011, qu’il avait « une mission de démonstration auprès de la CUM de tous les intérêts de ne pas stopper l'incinérateur ». Les responsables espagnols étaient, selon lui, « terrorisés à l'idée que la nouvelle majorité de la CUM arrête l'incinérateur ». 

Une partie de la somme versée par Urbaser (170 000 euros) a atterri sur le compte du cabinet d’un avocat parisien, lui aussi très proche d’Alexandre Guérini, Régis de Castelnau. En avril 2008, son cabinet avait été chargé par la communauté urbaine d'un audit pour déterminer la poursuite ou l'arrêt du projet d'incinérateur. Sans surprise, son audit, présenté en février 2009, préconisait la mise en service de l'incinérateur (dont les travaux étaient déjà presque finis), un arrêt du projet étant jugé trop couteux (entre 450 et 500 millions d'euros). Comme l’a révélé Le Canard Enchaîné, Me Régis de Castelnau a ensuite enchaîné sur une mission en Guadeloupe pour le compte d’Urbaser. Eugène Caselli a depuis préféré changer d'avocat et de conseiller…

Les fosses à déchets en premier plan, devant ce qu'il reste du bâtiment de tri secondaire, le 7 novembre.Les fosses à déchets en premier plan, devant ce qu'il reste du bâtiment de tri secondaire, le 7 novembre. © Institut écocitoyen

L’autre procédure, plus classique dans ce genre de contrat, se joue devant le tribunal administratif de Marseille. Elle porte sur d’énormes surcoûts de construction réclamés par Evéré à MPM. Initialement fixé à 280 millions d’euros, le coût de la construction du « centre multifilières » a finalement bondi à 411 millions d’euros. L’entreprise, dont les résultats sont négatifs depuis le début, argue de « retards provoqués par les 38 recours juridiques », de «l'état du sol et du sous-sol » et de « changements liés à des réflexions menées avec MPM ». Au terme des vingt ans d'exploitation prévus par le contrat, les demandes d'Evéré atteignent même à 273 millions d’euros, selon une expertise remise au juge Duchaine.

Les travaux de construction du « centre multifilère » ont été confiés à Urbaser Environnement, la filiale française du géant espagnol, puis « surfacturés à Evéré, majorés d'une marge bénéficiaire », indique l'expert dans son rapport. Qui ne comprend pas « comment une société comme Evéré, filiale d'un grand groupe industriel, a pu réaliser un tel montant de travaux supplémentaires, sans avoir auparavant obtenu un accord formel de la CUM ». L’ancienne majorité de droite de la communauté urbaine avait-elle fait des promesses au groupe espagnol ? L’élu (UMP) Bernard Jacquier, qui a mené les négociations avec les trois candidats en 2005, assure qu’« il n’a jamais été question d’accord ou de fermer les yeux ». La somme réclamée surprend jusqu’à Robert Assante, l’ancien adjoint de Jean-Claude Gaudin qui a porté le projet jusqu’en 2008. « Qu’il y ait une partie de surcoût est normal. Mais autant de millions d’euros, il y a embrouille… », confiait-il en juin 2013.

Échaudé par le nombre d’intermédiaire douteux découverts dans ce dossier dont il a hérité à son élection surprise à la tête de MPM en 2008, Eugène Caselli (PS) répète ne plus vouloir donner « un sou aux Espagnols sans le feu vert de la justice ». Questionné en octobre par Mediapart, il renvoyait la balle à son prédécesseur de droite, Jean-Claude Gaudin : « Ces dettes sont des dettes qui concernent la gestion de l'ancienne majorité. Mais ils (Evéré) n'auront pas le quart de ce qu'ils demandent. »

MPM a déjà été condamnée le 13 septembre 2011 à verser une provision de 8,6 millions d’euros. Un expert, désigné en décembre 2009 par le tribunal administratif de Marseille, continue à éplucher les « dizaines de mètres cube de pièces comptables » produites par Evéré pour justifier, pied à pied, les sommes engagées sur le site. Une commission de conciliation est également chargée de trancher un différend mineur (portant tout de même sur 10 millions d’euros supplémentaires réclamés par Evéré).

L’incinérateur, qui peut brûler jusqu’à 360 000 tonnes de déchets par an, devrait redémarrer progressivement mi-novembre. Mais sans tri prélable des déchets. Restera à trouver une solution pour les 50 000 tonnes de déchets marseillais restantes. Les ordures ménagères marseillaises sont pour l’instant acheminées par camion dans les décharges privées de Septème-les-Vallons (Veolia) et des Pennes-Mirabeau (Sita), mais leurs capacités maximum pourraient être rapidement atteintes. Lors de la réunion de crise du 4 novembre, la préfecture des Bouches-du-Rhône avait également proposé comme solution provisoire une autre centre de stockage géré par… une société d'Alexandre Guérini. MPM a décliné l'offre.

Et l’incendie a réveillé la colère des anti-incinérateurs, qui n’ont jamais accepté que MPM leur ait imposé cette usine, implantée sur le territoire du Grand port maritime de Marseille, à 60 kilomètres de la Canebière, mais à quelques kilomètres des habitations de Port-Saint-Louis-du-Rhône. Réveillé à 4 heures du matin le 2 novembre, leur chef de file, René Raimondi, maire de Fos-sur-Mer et président du San Ouest, est furieux qu’aucun élu marseillais ne se soit déplacé le week-end dernier pour constater les dégâts. « À cette heure, les éléments à ma disposition me permettent de refuser toute relance de l’incinérateur, sachant que les règles élémentaires de sécurité, comme celles inhérentes au tri des déchets ne pourront pas être respectées, puisque la partie dédiée est détruite », a mis en garde l’élu PS, dès le 5 novembre, dans un communiqué.

« Ce n’était pas le premier incident, il y avait déjà eu 5 incendies (de moindre importance – ndlr) depuis 2010 », explique son directeur de cabinet, David Bousquet. Deux jours avant l’incendie, s’était d'ailleurs tenue une commission de suivi de site en présence du sous-préfet d’Istres et des responsables d’Evéré. Lesquels avaient, selon plusieurs témoignages, assuré que le précédent incendie, le 11 août 013, ne se reproduirait plus. Le site a connu plusieurs autres incidents, notamment l’arrêt, en 2012, d’un groupe turbo-alternateur censé produire de l’électricité à partir de la chaleur de l'incinérateur, qui a provoqué la perte de plus de 5 millions d'euros de revenus pour l'entreprise. « On a 45 accidents du travail par an, soupire un employé. On a l’impression qu’ils ne maîtrisent pas l’outil. »

Les anti-incinérateurs se sont aussitôt engouffrés dans la brèche. Le 6 novembre, c’était la bronca au conseil général des Bouches-du-Rhône, où quelques élus et associations ont obtenu le report d’une réunion qui devait approuver le nouveau plan départemental d’élimination des déchets. Au motif que le plan n'était plus valable car il prenait en compte l'usine de Fos « aux trois-quart détruite (une “légère” exagération marseillaise – ndlr) ». « Cet incinérateur devient d’une probabilité de persistance évanescente », estime Jean Gonella, chercheur et membre de la Fédération d'action régionale sur l'environnement (Fare Sud). 

BOITE NOIRELes deux photographies publiées ont été prises par l'Institut écocitoyen de connaissance des pollutions, une association créée en 2010 par le San Ouest Provence, pour collecter les informations sur les pollutions autour de l'Étang de Berre et leurs conséquences sur l’environnement et la santé.

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