Lille, de notre envoyée spéciale.- Après les « parties fines », la note. Pour la fin des auditions du Carlton les 12 et 13 février 2015, les débats se sont faits financiers et Dominique Strauss-Kahn a disparu du tableau. Ne restent que ses amis et courtisans poursuivis pour avoir fait supporter à une filiale d'Eiffage et à Médicalis le coût de leurs agapes. Les frais indûment facturés entre janvier 2009 et mai 2011 s’élèvent à 46 500 euros (Eiffage) et 36 552 euros (Médicalis).
Licencié par Eiffage dans la foulée de sa mise en examen pour proxénétisme aggravé, escroquerie et abus de confiance, David Roquet, ex-directeur de la société Matériaux enrobés du Nord, a toujours assuré avoir l’aval de sa hiérarchie « pour garder le contact avec DSK ». Son supérieur, Jean-Luc Vergin, directeur régional d’Eiffage travaux publics du Nord, devait d’ailleurs être d’un voyage en mai 2011. Il avait renoncé au dernier moment. L’enquête n’a cependant pas permis de démontrer, selon les juges d’instructions, que sa hiérarchie « était parfaitement informée de ses démarches vis-à-vis de Dominique Strauss-Kahn en faveur du groupe Eiffage ». Et ce malgré des notes de frais marquées DSK au dos.
Poursuivi pour complicité, Jean-Luc Vergin a lui aussi été licencié par Eiffage. Cet homme, bon copain de David Roquet, était au courant de ses rencontres avec DSK, mais assure avoir tout ignoré de leur caractère sexuel et de leur financement. Chargé de vérifier les notes de frais des cadres des 25 filiales du Nord, Vergin se contentait de signer les parapheurs qu'on lui présentait : « Je faisais confiance, ce sont des gens avec qui je travaillais depuis longtemps. Un conducteur de travaux qui mange dans le fin fond de l’Aisne avec un client, je ne vais pas appeler le client ! » Quant aux billets d’avion et aux frais d’hôtel à Washington, la facture a été enregistrée dans un compte fournisseur de la société Matériaux enrobés du Nord et ne serait donc jamais remontée à la direction régionale. Un fonctionnement normal selon David Roquet : « Chaque année, j’achetais 20 000 à 40 000 euros d’abonnements de foot, c’était dans ma comptabilité fournisseurs. »
Chez Eiffage travaux publics, à cette époque, les « frais de représentation » des cadres coulaient en effet à flots. Tout comme les chantiers. « Dans le Nord, vous ne pouvez pas vous arrêter à un feu rouge sans voir un chantier Eiffage », a remarqué au cours des débats l’avocat lillois Emmanuel Riglaire. David Roquet disposait d’un budget d’environ 100 000 euros par an pour inviter ses clients. Une enveloppe qui variait selon les cadres « en fonction de leur chiffre d’affaires, de leur clientèle, du nombre de chantiers », a expliqué son supérieur. Alors « 15 000 euros par an pour entretenir la relation avec DSK, ça ne me paraissait pas débile », s’est exclamé David Roquet. Avant de s’énerver : « Quand Eiffage privatise le Paradis latin pour 700 000 à un million d’euros, avec des élus et leurs femmes, on ne dit rien. Quand on prend des loges de foot, peut-être avec des escortes, Eiffage va avoir du boulot pour vérifier que les loges sont bien fréquentées ! » D’ailleurs, rappelle-t-il, les prostituées rémunérées lors de ces rencontres l’étaient de sa poche, pas de celle de l’entreprise. « Je dois être le dernier des Mohicans, lâche David Roquet. Je peux vous assurer que partout ailleurs quand il y a des filles, ça passe en fiches consommation. »
Qu’espérait ce petit cercle de courtisans ? Loin de toute ambition personnelle, l’ingénieur s’imaginait comme entremetteur d’un futur déjeuner à l’Élysée entre un DSK président et son patron. « Dominique Strauss-Kahn ne sait plus si vous apparteniez au groupe Eiffage, à aucun moment vous ne parlez BTP, enrobé, groupe, développement », lui fait remarquer le président Bernard Lemaire. « La meilleure façon de faire du lobbying, c’est de parler un minimum de ce qu’on fait », rétorque David Roquet. Le parquet reste sceptique. « Souviens-toi, nous avions des relations sexuelles ensemble ? C’est ce que vous pensiez dire à Dominique Strauss-Kahn ? » ironise la procureure Aline Frérot. « Si demain, je lui avais demandé d’organiser un repas avec mes patrons d’Eiffage, il l’aurait fait, réplique David Roquet. Parce qu’on avait passé de bons moments ensemble, c’est la définition du lobbying. »
Fabrice Paszkowski, ami intime de DSK qui faisait partie des 25 personnes présentes à l’enterrement de sa mère, a pour sa part prétendu que les trois voyages à Washington avaient bien un but professionnel : entre autres, visiter une « pharmacie pour un système de distribution de médicaments appliqué aux États-Unis mais pas en France ». Cet agent commercial, qui se versait plus de 10 000 euros de revenus par mois, assume le rôle de l’hôte généreux qui aimait à inviter et mettre en contact. « J’avais toujours l’envie d’apporter une petite pierre à l’édifice de la carrière de DSK », dit-il.
Dans ce volet financier, le militant PS est accusé d’abus de biens sociaux et d'escroqueries au préjudice de Médicalis, sa société d’équipements médicaux à Lens. Sa petite amie, également poursuivie, avait créé sa société d’événementiels qui facturait à Médicalis et à la filiale d’Eiffage l’organisation des voyages à Washington, le tout sous des intitulés extrêmement vagues. Elle prenait au passage une généreuse marge pour ses prestations, qualifiées de « fictives » par le président du tribunal et en réalité sous-traitées à une agence voyage. « J’ai dégrossi le travail », assure l’intéressée. « Et sur une facture de 11 000 euros, vous vous êtes payée 4 000 euros pour dégrossir ? » réplique d’un air étonné le président Bernard Lemaire. Lors de l’enquête, les associés de Fabrice Paszkowski se sont également émus du montant des frais que l’agent commercial facturait à Médicalis : vacances à Courchevel, Saint-Tropez, Miami, etc. Il est « plus facile de rencontrer des professions médicales sur leur lieu de vacances pour construire un relationnel », explique l’agent commercial, dont les tics de langage traduisent la nervosité.
Quant au commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde, qui était de toutes les sorties et voyages « sans bourse délier », il est accusé du recel de ces infractions financières. L’ex-chef de la sûreté départementale du Nord, invité par Fabrice Paszkowski, assure qu’il était « persuadé qu’il payait de sa poche ». Tout comme Jean-Christophe Lagarde ne s’est jamais renseigné sur le statut des prostituées qui participaient aux ébats – « Je me serais pris une gifle » –, il ne lui est pas « venu à l’esprit d’aller vérifier la comptabilité d’un ami qui (l)’invitait ». « Je pense que c’est le leitmotiv dans ce dossier, c’est que vous ne vous posiez aucune question », gronde le procureur Frédéric Fèvre, très remonté contre le policier depuis le début des débats.
Jusqu’alors excellemment noté, Jean-Christophe Lagarde a été recyclé comme chargé de mission à la direction centrale de la sécurité publique. Se défendant de toute ambition personnelle, le policier prétend avoir voulu « apporter (ses) idées, (son) expertise » au candidat DSK. Comme ses amis, il s’y est brûlé les ailes et sait qu’il aura « à répondre de problèmes de déontologie ». D’ailleurs, son avocat note que deux agents de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) « ont assisté à tous les débats »…
Un DSK qui, interrogé par le juge d’instruction, a un peu de mal à le situer : « J’ai appris qu’il travaillait dans le bâtiment. Je ne sais pas si j’ai appris depuis ou si je savais que c’était Eiffage. A minima, vous dites ce que vous faites dans votre société... »
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