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Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne »

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Comme nous l’avons indiqué en présentant le premier volet de cette série, Arnaud Montebourg a cédé à notre insistance et accepté de remettre à Mediapart les quatre notes, longues et argumentées qu’il a, de proche en proche, remises confidentiellement à François Hollande du temps où il était encore ministre du redressement productif puis de l'économie, pour tenter de le convaincre de changer sa politique économique et européenne, et de tourner le dos aux politiques d’austérité.

Après avoir rendu publique la première de ces notes qui est en date du 11 septembre 2012 et qui témoigne de très vifs désaccords dans les sommets du pouvoir socialiste, jusque-là tenus secrets, dès les premiers mois du quinquennat de François Hollande (lire 2012-2014: les notes secrètes de Montebourg à Hollande), nous publions aujourd’hui la deuxième de ces notes, qui apporte un nouvel éclairage sur les désaccords qui existaient, même s’ils n’étaient pas encore sur la place publique, entre le chef de l’État et le ministre du redressement productif.

Longue de 17 pages, cette note est datée du 29 avril 2013, soit un peu plus de sept mois après la première note, et prend la forme d’un « Mémorandum en faveur d’une nouvelle stratégie de croissance dans la politique économique européenne de la France ». Sur la page de garde, on apprend que le document est cosigné par « Arnaud Montebourg et son équipe d’économistes dirigée par Xavier Ragot, professeur associé à l’École d’économie de Paris, chercheur au CNRS ». Connu pour ses travaux d’inspiration néo-keynésienne, l’économiste est depuis devenu le président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l’un des rares instituts qui s’inscrivent dans ce même courant de pensée.

Voici donc ce mémorandum : il est possible de le télécharger ici ou de le consulter ci-dessous :

 

Le premier constat qui saute aux yeux à la lecture de ce document, c’est qu’il vient, de nouveau, confirmer la profondeur des désaccords qui opposent le chef de l’État et Arnaud Montebourg, l’une des principales figures du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

Cette fois, les choses sont dites avec moins de prudence ou de précaution que lors de la note du 11 septembre 2012. Plus question de demander simplement une atténuation du plan d’austérité, pour qu’il porte non plus sur 33 milliards d’euros mais seulement sur 25 ! Désormais, Arnaud Montebourg plaide non pas pour des ajustements mais « pour une autre politique économique européenne ». Il demande un véritable « virage politique ». En clair, les désaccords se sont radicalisés.

C’est le premier enseignement de cette note. Alors qu’en public, mis à part la controverse autour de Florange, Arnaud Montebourg cultive son volontarisme industriel mais semble souscrire aux grandes orientations économiques impulsées par François Hollande, en privé il apparaît que les deux hommes ont deux visions économiques opposées.

C’est ce que suggèrent les deux signataires du mémorandum, dès leurs premiers constats : « La crise économique commencée en 2007 est d’une ampleur inconnue depuis celle de 1929. L’endettement des pays développés se rapproche des records historiques atteints après la fin de la seconde guerre mondiale (111,4 % du PIB prévus pour un record de 116 %). Chacun sait qu'il faudra probablement une dizaine d’années voire une génération pour absorber un tel choc économique. Face à ce risque de dislocation économique, les règles que se sont imposées les pays européens, dans presque tous les domaines, sont les liens juridico-politiques qui les font aujourd’hui couler ensemble, alors que chacun aurait besoin de liberté de mouvement pour aider l’Europe à remonter à la surface, avec les atouts propres à chaque pays. La paralysie politique européenne conduit les règles du passé à corseter le présent et empêcher le sursaut », écrivent-ils.

Tout au long de leur note, les deux auteurs multiplient donc les messages alarmistes. Faisant valoir que « la politique européenne actuelle »  est l’une « des plus restrictives et des moins favorables à la croissance au monde », ils appellent à la rescousse l’économiste Daniel Cohen qui peu de temps avant, dans le magazine Challenges (n°335, daté 7 mars 2013), a fait cette déclaration fracassante : « Cela ressemble à un suicide collectif. Les règles budgétaires de l'Union européenne exigent des États qu'ils reviennent au-dessous d'un déficit public de 3 % du PIB, sans prendre en compte le fait que ces mesures creusent la récession et rendent l'objectif impossible à atteindre. »

En somme, Arnaud Montebourg et Xavier Ragot disent en privé à François Hollande ce que nombre d’économistes répètent en France et à l’étranger mais que le chef de l’État ne veut pas entendre – ou fait mine de ne pas vouloir entendre : l’Europe et la France avec elle courent à la catastrophe. Critiquant la Banque centrale européenne qui persiste à vouloir lutter contre des menaces inflationnistes au moment où il n’y en a plus aucune et où bientôt, même, des pressions déflationnistes commenceront à se manifester, les deux auteurs déplorent que « le rachat des dettes publiques » par la banque centrale « reste tabou » et pronostiquent le pire : « L’Europe ne se fissure désormais plus sur le front des marchés financiers mais sur celui de l’économie réelle, du chômage et de la croissance, qui font douter gravement les opinions publiques, et conduiront les peuples à désigner des gouvernements qui mettront fin à l’Euro. »

Plus loin, ils insistent : « C’est toute l’Europe qui s’installe dans une spirale récessive (…) Le résultat de ces politiques sera une très faible croissance européenne, une désindustrialisation aggravée, une augmentation de la divergence des économies européennes et une augmentation des inégalités au sein des pays et entre les territoires. Dans les pays du Sud, la stabilisation des comptes publics se fera au prix de la désagrégation du tissu productif. Bien sûr, le processus s’arrêtera à un moment, lorsque les comptes publics seront revenus à l’équilibre. L’économie devra alors se reconstruire sur un champ de ruines industrielles. »

Alors que publiquement François Hollande continue de s’évertuer à dire qu’il honorera son principal engagement, celui d’une inversion de la courbe du chômage d’ici la fin de 2013, Arnaud Montebourg et Xavier Ragot assurent en privé dans cette note – mais ils ne manifesteront pas publiquement ce profond scepticisme – qu’ils ne donnent pas le moindre crédit au propos présidentiel. Tout au contraire : si l’Europe se fissure, étouffée par la politique d’austérité, la France elle-même en paiera le prix : « La politique de rigueur généralisée court-termiste est une erreur macroéconomique grave qui nous coûte des millions d’emplois au niveau européen. Le présent mémorandum démontre que cette politique devrait coûter à la France de l’ordre d’un million d'emplois perdus supplémentaires si elle était poursuivie. C’est ce que nous montrent les simulations économiques de l’OFCE, réalisées à la demande du Ministère du Redressement Productif. »

Le pronostic est pour le moins saisissant. Exactement à la même époque, François Hollande court micros et caméras pour jurer ses grands dieux que le chômage, c’est certain, commencera à baisser avant la fin de l’année 2013. Et comme tout le reste de la presse, Mediapart tenait la chronique régulière de l’optimisme affiché par le président de la République. Dans un article intitulé Chômage : la dangereuse politique du laisser-faire et publié le 27 décembre 2012, soit quatre mois avant cette note, nous établissions ainsi un florilège des propos du chef de l’État : « À la fin de l’année 2013, nous devons inverser la courbe du chômage »,déclarait-il ainsi un jour, au marché de Rungis. « Le chômage ne va cesser d’augmenter pendant un an », mais « la volonté qui est la mienne, c’est qu'à la fin de l’année 2013, et ça va être long, il y ait une inversion » de la courbe, c’est-à-dire que le chômage « à ce moment-là régressera », professait-il le lendemain au micro d’Europe 1.

Mais, à l'époque, les deux auteurs n’accordent visiblement pas le moindre crédit aux engagements publics et répétés du chef de l’État. Et ils s’appuient sur des travaux de l’OFCE, pour adresser le tableau ci-dessous au chef de l’État, tableau qui suggère que ce dernier raconte de pures et simples balivernes à l’opinion. En clair, ce que montre ce tableau, c'est que la poursuite de la politique d'austérité entraînera mécaniquement une explosion du chômage.

Stupéfiant, le pronostic retient d’autant plus l’attention qu’il s’est, comme on le sait, en grande partie réalisé, le chômage ne cessant de progresser tout au long de 2013 mais aussi de 2014, tout comme en ce début d’année 2015. Ce qui n’a rien de vraiment étonnant, car la plupart des experts, à commencer par ceux de l’assurance-chômage, ont toujours défendu l’idée que la poursuite de la politique d’austérité conduirait mécaniquement, quoi qu’en dise le gouvernement, à une explosion du chômage.

De tout cela, les deux coauteurs tirent donc la conclusion qu’il faut « une autre politique européenne et française ». « Un arrêt rapide des politiques d’austérité est probablement la politique la plus sûre pour que les pays les plus endettés aient les moyens de payer leurs dettes. (…) Une politique alternative est possible, qui n’introduit pas de changements institutionnels profonds. Elle consiste à arrêter les plans de rigueur en Europe pour mener des politiques favorables à l'investissement productif », expliquent-ils.

Estimant que « l’arrêt de la rigueur en Europe en 2014 doit devenir l’objectif politique de la France », ils font valoir à François Hollande que la France en serait aussitôt soulagée : « L’arrêt des politiques de réduction de déficits structurels en Europe permettrait de sauver plus de 800 000 emplois en France. » Et pour expliquer comment ils en arrivent à ce chiffre de 800 000 emplois, ils appellent de nouveau les simulations de l’OFCE à la rescousse : « Le tableau 3 montre les résultats de cette politique d'arrêt de la rigueur pour la France seule. Le taux de chômage baisse à 8,6 % en 2017 au lieu de 11,4 %, soit 800 000 chômeurs de moins. »

En conclusion, les deux auteurs préconisent donc une réorientation de l’Europe, impulsée par de nouvelles alliances : « Cette politique alternative repose sur la motivation des pays dits du Sud pour changer l’orientation de la politique européenne. Les pays du Nord seront à convaincre, même s’ils bénéficieraient aussi (mais relativement moins) d’un changement d’orientation politique. Le pivot de ces changements sera probablement un axe franco-italien », écrivent-ils.

Et soudainement la note passe du « nous » au « je », comme si Arnaud Montebourg voulait endosser seul la responsabilité de la conclusion du raisonnement : il n’y aura pas de réorientation réelle de l’Europe, tant que François Hollande refusera d’affronter politiquement Angela Merkel : « Je préconise l'ouverture de la grande explication avec l'Allemagne, qui a le plus à perdre d'une sortie ordonnée et concertée de l'Euro que la France. Un accord franco-allemand permettrait de faire évoluer la Commission européenne qui a une lecture trop restrictive des traités. »

Cette deuxième note vient donc confirmer l’impression qui se dégageait déjà, de manière à peine moins marquée, à la lecture de la première note : en réalité, l’histoire de ce nouveau pouvoir qui s’installe aux affaires est en grande partie celle d’une fiction. Car si François Hollande est finalement parvenu à se faire élire président de la République, c’est en grande partie parce que Arnaud Montebourg, son rival lors des primaires socialistes de 2011, s’est rallié à sa candidature, et non à celle de Martine Aubry. Mais en réalité, à peine au pouvoir, les deux alliés, même s’ils ne l’affichent pas, ne sont plus d’accord sur rien. En tout cas, plus d’accord sur l’essentiel…

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