Lille, de notre envoyée spéciale.- DSK pouvait-il ignorer la qualité de prostituées des femmes amenées et rémunérées à son insu par ses amis entrepreneurs ? Non, au vu de la rudesse de ses pratiques sexuelles, ont répondu mardi deux ex-prostituées qui se sont constituées partie civile. « Fausse logique », s’est insurgé Dominique Strauss-Kahn, 65 ans, qui a dénoncé cette « cheville » qui voudrait que « c’est de l’abattage, donc c’était des prostituées ». « Je dois avoir une sexualité qui est plus rude par rapport à la moyenne des hommes, mais j’ai le même comportement sexuel avec toutes les femmes, estime-t-il. Ça n’implique en rien un quelconque lien avec la prostitution. » Et de s’étonner du retour du mot « abattage », utilisé en l’occurrence par une jeune standardiste pour décrire une soirée dans un hôtel lillois. « Quand un même terme revient, ça me paraît bizarre », glisse-t-il, sans développer.
Quelques instants plus tôt, Jade, une ancienne prostituée, vient d’évoquer, en pleurs, une sodomie brutale dans une chambre d’hôtel à Bruxelles après une soirée dans un club échangiste belge. Jusqu’alors impassible, cette grande femme au carré châtain, redoutable à la barre, s’est soudain effondrée : « Vous avez lu la confrontation, je pense que les détails sont assez explicites. » Le tribunal l’encourage, la pousse à redire ces mots. « Il y a eu un moment plus que désagréable, quand j’ai tourné le dos à DSK, finit-elle par lâcher à contrecœur. J’ai subi une pénétration, qui ne m’a pas été demandée, à laquelle j’aurais dit non, car je ne veux pas de ça. À la confrontation, DSK a bien dit qu’il ne s’était pas rendu compte que c’était un moment qui n’était pas cool et s’est excusé. »
Elle ajoute qu’à chaque fois qu’elle croise sa photo, elle revit « cet empalement de l’intérieur qui me déchire de dedans, car aucun autre client n’aurait osé faire ça ». Le tribunal tique sur le mot client, qui est précisément l’enjeu des débats.
« Si j’étais libertine il m’aurait quand même posé la question de savoir si j’étais d’accord, justifie Jade. Pour m’avoir infligé ce qu’il m’a infligé, c’est qu’il ne devait pas avoir beaucoup de respect sur moi. » Dans la voiture accompagnant DSK et son amie à l’hôtel pour cet « after », la prostituée venait de raconter au président du FMI qu’elle travaillait « dans un club échangiste à Bruxelles » et qu’à la fin de ses spectacles de danse érotique, elle choisissait une personne dans le public avec qui elle avait un rapport sexuel sur scène. « Ça ne me permet pas de déduire qu’elle est prostituée », a rétorqué DSK qui assure n'y avoir vu qu’un « amusement » de « libertine ».
Clair et direct, Dominique Strauss-Kahn semble connaître les 35 tomes du dossier sur le bout des doigts. Il commence par s’excuser de ne pas avoir perçu la détresse de Jade, avant de… saper sa version : « Mais sur le moment, si elle l’avait vécu de façon aussi difficile, elle serait partie. » Ses avocats veillent au grain. Quand Me David Lepidi, avocat d’une association partie civile, utilise le terme d’« agression », Me Henri Leclerc bondit : « Vous ne pouvez pas dire ça, il n'est pas poursuivi pour agression ! »
Dominique Strauss-Kahn revient à la charge une heure plus tard, « troublé » que Jade ait, malgré cet épisode traumatique, participé à un voyage à Washington, au cours duquel elle le décrit comme courtois et prévenant. « Alors qu’est-ce qui est vrai dans cette histoire ? S’il y a eu une situation difficile, comment se fait-il que trois mois plus tard elle puisse nous dire "Soyons bons copains" ? » Il y avait 2 000 euros à la clef, réglés à son retour par l’entrepreneur David Roquet, qui n'était pourtant pas du voyage à cause d’un problème de passeport. « Moi, je voyais qu’en euros », explique Jade, « contente de partir en excursion » avec le commissaire Jean-Christophe Lagarde, Fabrice Paszkowski et le couple Mellick fils.
Ces derniers l’ont d’ailleurs prise en photo, souriante aux côté de DSK dans son bureau au FMI. « J’ai pris aussi des photos des petits écureuils », désamorce Jade, provoquant des rires dans le public. Le cliché a ensuite été largement repris dans les médias, à sa plus grande colère. Mais l’épisode donne surtout l’occasion à DSK de marquer un point : « Le directeur du FMI à Washington ne prend pas une photo avec une jeune femme dont il sait qu’elle est prostituée, c’est inconcevable », remarque-t-il.
Le consultant international est d’autant plus à l’aise à la barre que le parquet, qui avait requis un non-lieu à la fin de l’instruction, le laisse dérouler sa version sans chercher à le mettre en difficulté. Les procureurs Frédéric Fèvre et Aline Clérot semblent réserver leurs flèches pour le commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde. Frédéric Fèvre a fait ses comptes. Entre les billets de train, d’avion et les chambres d’hôtel, l’ex-chef de la sûreté départementale du Nord a économisé « une fourchette de 4 000 à 6 000 euros ». « Est-il déontologique pour un fonctionnaire de police de se faire offrir tous ces cadeaux ? » demande-t-il. « J’étais son ami, pas le flic de service », assure Lagarde, qui affirme ne pas avoir fait l’objet d’une procédure disciplinaire pour ces faits.
Lors d'un deuxième voyage à Washington, le commissaire avait embarqué son supérieur, le directeur départemental de la sécurité publique du Nord, Jean-Claude Menault, pour parler avec le futur candidat à la présidentielle des « grandes thématiques de la sécurité ». Confronté à une soirée libertine avec deux jeunes femmes, qui lui avaient été présentées dans l’avion comme des secrétaires d’Eiffage, Menault a tourné les talons. Le témoin assisté a relaté à la juge d’instruction « l’explication de gravure » qui a suivi le lendemain matin : « Vous n’allez pas nous faire croire que ce sont des secrétaires. Ce que vous faites est dangereux, plus jamais ça avec moi. »
« Vous êtes un policier aveugle ? » lance Frédéric Fèvre à Jean-Christophe Lagarde. Le procureur s’étonne que son supérieur hiérarchique, « dès la première rencontre, s’aperçoit que ce sont des prostituées alors que vous, qui avez des relations suivies, ne vous en apercevez pas ». Lagarde s’embrouille, commence par ne plus se souvenir de la scène avant de nier : « Il n’a absolument pas dit ça. » Le policier s’enfonce. Il n’est pas aidé par son ami David Roquet, qui maintient l’avoir mis au courant des pratiques tarifées d’une des filles emmenées à Washington. David Roquet et Fabrice Paszkowski, que Jade a décrits comme ses « employeurs en quelque sorte ».
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