Tout l’après-midi ce 29 janvier 2015, les affaires d’outrage et rébellion contre des policiers se sont succédé devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Marseille. Le dernier prévenu, 38 ans, est reparti menotté, direction les Baumettes : un an de prison ferme pour avoir menacé de mort en août 2014 des policiers VTTistes qui patrouillaient à Noailles, quartier populaire du centre-ville.
La procureure Brigitte Lanfranchi n’a pas eu de mots assez durs contre ce prévenu, accusé d’avoir traité de « harkis » les fonctionnaires « et notamment des jeunes policières maghrébines ». « Quand tu seras grand, tu auras des kalach' et des grenades que tu balanceras sur eux », aurait lancé Mohamed à son petit-fils qui l’accompagnait. Il nie, les caméras de vidéosurveillance du marché de Noailles le montrent pointant du doigt chacun des policiers (mais sans le son). Condamné à plusieurs reprises pour vol et usage de stupéfiants, le prévenu prétend avoir voulu jouer le « médiateur » avec des jeunes qui prenaient à partie les policiers.
Il aurait également craché sur une fonctionnaire et donné une gifle à une jeune ADS (adjointe de sécurité), mais les faits ne sont pas poursuivis, au grand regret de la procureur. « Vous croyez qu’à Marseille, on a besoin de vous pour calmer les choses ? Non, à Marseille, c’est de l’armée que l'on a besoin, le tance la procureure. Laissez la police faire son travail et les jeunes abrutis faire les idiots. D’ailleurs ils continuent au même endroit 24 heures sur 24, si cela vous rassure. » L’avocate, commise d’office, qui « ne connaît pas ce monsieur », plaide ce qu’elle peut, c’est-à-dire pas grand-chose. Un an ferme avec mandat de dépôt et l’obligation de verser 500 euros à chacun des deux policiers plaignants pour le « préjudice moral ». Deux agents lui passent aussitôt les menottes, direction les Baumettes.
À 17 h 30, les rôles sont inversés : ce sont trois policiers de l’ex-Bac (brigade anticriminalité) centre de Marseille qui comparaissent à la barre pour des violences volontaires sans ITT sur un mineur lors de son interpellation. La victime, 17 ans à l’époque des faits, n’est pas venue. Dans la salle du tribunal, il ne reste d’ailleurs que des policiers en civil, venus soutenir leurs collègues. Les faits remontent au 6 novembre 2012. Vers 4 heures du matin, les agents municipaux du centre de supervision urbain (CSU) signalent un possible vol de véhicule rue Pollak, à Noailles.
Fausse alerte : les trois policiers de la Bac centre, Éric, 45 ans, Claude, 46 ans, et Cédric, 37 ans, constatent que quatre jeunes « squattent » simplement une voiture appartenant à l'un de leurs amis. Le contrôle et les vérifications aux fichiers durent quelques minutes de trop – « Il y a de l’encombrement sur les ondes », explique le conducteur, Éric : l’un des jeunes, « défavorablement connu pour des vols/violence », s’impatiente et insulte les policiers. Une dizaine de curieux commencent à s’agglutiner autour de la voiture banalisée de la Bac. « On décide d’aller finir les vérifications au commissariat pour éviter l’émeute et là ça part en garde à vue pour outrage et rébellion », résume Claude, le chef d’équipage.
Comme le jeune refuse de monter dans le véhicule et continue à les insulter, l’un d’eux lui porte quatre violents coups de poing au visage « pour que (son collègue) puisse le menotter », l’autre un coup de coude « pour le maintenir » et le dernier deux coups de pied dans les jambes « pour le contraindre à rentrer ses pieds à l’intérieur du véhicule ». Des gestes violents filmés par les caméras de vidéosurveillance du CSU.
« On a fait le strict minimum pour le maîtriser », assure le chef d’équipage devant le tribunal. À l’arrivée au commissariat, le médecin constate « une contusion à la pommette, à la lèvre supérieure et au tibia mais sans ITT », rappelle la présidente du tribunal, Paule Colombani. En fin de garde à vue, le jeune homme se plaint d’un tabassage au sein des locaux de police par un policier dit « le tatoué ». Celui-ci n’était en fait pas de service ce soir-là. Mais du fait de ces accusations, l’OPJ chargé de la procédure visionne et retranscrit les conditions de l’interpellation.
L’affaire en serait sans doute restée là si, un mois auparavant, le scandale de la Bac nord n’avait jeté l’opprobre et le soupçon sur l’ensemble de la police marseillaise. En octobre 2012, trente policiers de la Bac nord ont été suspendus, dix-sept mis en examen et sept écroués avec des inculpations criminelles de « vol en bande organisée, extorsion en bande organisée, acquisition, détention et transport non autorisé de stupéfiants ». Autant dire qu’en novembre 2012, la Bac était dans le viseur du parquet et de l’antenne marseillaise de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale).
« J’imagine que des interpellations de ce style, il y en a tous les jours à Marseille, soupire la présidente. Et là la procédure est montée au cinquième étage (bureau du procureur de la République de Marseille, ndlr). » « L’enquête a été demandée par le procureur de la République lui-même », confirme la vice-procureure Brigitte Lanfranchi. Saisie du dossier, la police des polices a jugé « peu convaincantes » les explications des trois policiers « quant à la légitimité des coups portés ». Et « chose rare et qui n’est pas banale », souligne la vice-procureure, le parquet a décidé de poursuivre les trois policiers devant le tribunal correctionnel.
Le tribunal se montre quant à lui bien plus compréhensif. À la bonne franquette – « on est presque entre nous », lâche un assesseur –, prévenus, juges, avocate et procureur s’installent devant l’écran d’ordinateur de la greffière pour mieux revoir le film de l’interpellation. Les policiers commentent les images des caméras. « Le jeune, le mis en cause… excusez-moi, la victime », s’embrouille le gardien de la paix Éric, qui est également formateur en activités physiques et professionnelles (APP). Il reprend : « Au regard de ces techniques, il faut être qualifié pour en parler. Techniquement, ça rentre dans ce qu’on peut enseigner. Le jeune là fait une tête de plus que nous, je défends quiconque de le menotter sans lui faire mal. » « Fallait être grand, fort et beau comme moi », plaisante à mi-voix l’armoire à glace qui, devant la porte, assure la police de l'audience.
Le policier prévenu a depuis été nommé formateur au sein de la cellule de déontologie de la nouvelle Bac « réunifiée » de Marseille (qui a remplacé les Bacs nord, centre et sud). « C’est dire la confiance que j’ai en lui », témoigne à la barre son supérieur, capitaine à la tête de la Bac. Également cité comme témoin par la défense, Alvaro Fernandes, chef du centre de formation des formateurs à Cannes-Écluse (Seine-et-Marne), assure quant à lui que les violences reprochées aux policiers faisaient partie des « gestes techniques professionnels d’intervention ». Dans son jargon, les coups de poing deviennent des « coups frappés », les coups de pied se transforment en « chassés frontaux armés » et les étranglements en « clefs de cou ». Tout de suite, ça fait moins mal. L’instructeur, un habitué des procès de violences policières, explique que pour menotter un individu récalcitrant « soit on exerce des pressions excessives qui peuvent provoquer des ecchymoses, soit on provoque une diversion en créant une douleur sans blessure ». « On ne va pas faire un cours de technique », s’impatiente la présidente du tribunal.
Un peu gênée aux entournures – « On ne peut pas rayer d’un trait de plume l’enquête de l’IGPN » –, la procureure demande la relaxe pour le donneur de coups de pied et une amende de 1 000 euros sans inscription au casier judiciaire pour les deux policiers qui ont porté les coups de poing et de coude jugés « totalement inappropriés ». « Ce ne sont pas des gestes d’interpellation normaux », dit la procureure. Certes, la victime est « un petit voyou », voire « un abruti notoire », poursuit-elle, mais « faisait-il exception à la règle des délinquants qui ne se laissent pas facilement interpeller ? Tous les délinquants tendent-ils les poignets lorsqu’ils voient arriver les policiers ? ». La procureure précise qu’elle n’a « jamais fait de taekwondo de sa vie », seulement « dix ans de piano », mais qu’« il y a tout de même une maîtrise de soi et de sa personne ».
« Si on n’est pas du sérail, quand on visionne cette vidéo, on voit des violences, comme n’importe quel quidam qui assiste à une interpellation », reconnaît Me Myriam Greco, l’avocate des policiers, elle-même ancienne inspectrice. « Mais pour dire la banalité de cette intervention, le lendemain, le chef d’équipage est venu féliciter ses subalternes de la façon rapide dont elle avait été menée. Et aujourd’hui ils doivent se justifier de n’avoir fait que leur travail ! » Après trois heures d’audience, le délibéré est rapide : les trois policiers sont relaxés. Et chacun rentre chez soi.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mettre à jour le microcode de son CPU sous Debian