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Procès du Carlton : « Mon objectif était professionnel »

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Lille, de notre envoyée spéciale.-  À la veille de l’audition de Dominique Strauss-Kahn, le tribunal correctionnel de Lille a commencé à se pencher sur l’organisation de repas et des soirées incriminées dans l’affaire du Carlton. David Roquet, ancien directeur d’une filiale du groupe Eiffage, la SNC Matériaux enrobés du Nord, est l’un des deux entrepreneurs qui ramenaient et payaient des prostituées pour des soirées auxquelles participait Dominique Strauss-Kahn. C’est le militant socialiste Fabrice Paszkowski, responsable d'une société de matériel médical à Lens, qui lui a présenté son influent ami, patron du FMI. Tous trois sont jugés pour proxénétisme aggravé.

En costume sombre, cravate, et le crâne rasé, David Roquet, depuis licencié, explique en termes neutres comment l’avocat Emmanuel Riglaire lui aurait tout naturellement proposé sa maîtresse à la fin d’un repas d’affaires au restaurant, sans doute fin 2009. Les deux hommes sont frères de loge et se tutoient. « Je lui fais part d’une maîtresse qui est partie, de ma solitude, raconte David Roquet, 46 ans. M. Riglaire me dit : "J’ai une maîtresse, si tu as des sorties à faire, je suis avec une maîtresse qui peut t’accompagner". »

David Roquet.David Roquet. © (dr)

Quelques mois plus tard, la soirée avec DSK à Paris se profilant, Roquet rappelle l’avocat pour avoir le numéro de Mounia. « Je suis sur la route, je rentre de la cour d’appel de Douai, raconte Emmanuel Riglaire. En toute fin de conversation téléphonique, David me dit : "J’ai une soirée pro à Paris, est-ce que ton amie peut m’accompagner ? Écoute, David vois avec elle". » Tout deux sont aujourd'hui jugés pour proxénétisme aggravé. Mais entre les deux hommes, tout est dans le non-dit, il n’est pas question de tarif, ni de prostitution. Comme si, entre gens respectables, on n’évoquait pas ces détails triviaux. Dominique Alderweid dit « Dodo la saumure », dont Riglaire était alors l'avocat en France, ses clubs de passe et son parler cru sont loin.

Pour l’ancien entrepreneur en BTP, les choses étaient claires : « Quand il m’a dit : "Elle peut t’accompagner", c’était de l’escorting avec prestations sexuelles. » Le ton débonnaire et plein de bon sens, le président du tribunal s’exclame : « Ça va mieux en le disant quand même. Dans ces conditions là, il aurait pu refuser. » « Il y a des gens qui peuvent être ouverts, à laisser aller leur maîtresse ou qui proposent leur épouse », lui rétorque en haussant les épaules David Roquet.

Emmanuel Riglaire connaissait Mounia depuis le début des années 2000, il lui donnait régulièrement des enveloppes « pour l’aider » et l’avait même présentée à René Kojfer, « responsable des relations publiques » au sein des hôtels lillois Le Carlton et l’Hôtel des Tours. Mais devant le tribunal, l'avocat lillois prétend tomber de haut. Il n’était pas au courant de « l’activité prostitutionnelle » de sa maîtresse, la dimension sexuelle des soirées n’aurait jamais été évoquée, de même que le nom de DSK, qu’il n’aurait appris de la bouche de Mounia qu’après la première soirée au Murano.

« J’avais des sentiments pour Mounia, nous avions des relations non protégées. C’est hors de question de partager. » Il tente de justifier le caractère anodin dans son esprit de cet « accompagnement » : « David et moi étions ambitieux. David appartenait à un groupe gigantesque. Vous ne pouvez vous arrêter à un feu rouge dans le Nord sans voir un chantier Eiffage. Qu’il ait des soirées pro à Paris, c’est d’une banalité. Mounia présente bien, Mounia est cultivée, elle peut mettre en valeur un homme qui l’accompagne. »  Bref, un malheureux quiproquo sur la nature du service proposé, à l’en croire.

Selon Roquet, Riglaire lui aurait toutefois déclaré que s’il avait « un extra à faire, elle (Mounia) pourrait faire une prestation », rappelle un assesseur. « Une prestation, ce n’est pas forcément à l’horizontale, rétorque Riglaire. On appelle extra aussi les gens qui aident dans les restaurants. » « On est bien d’accord que M. Roquet ne vous a pas demandé de lui présenter un serveur de restaurant », s’impatiente l'assesseur.

David Roquet rencontre une première fois Mounia, avant de l’emmener au printemps 2010 à l’hôtel Murano à Paris en compagnie de Fabrice Paszkowski et du commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde, ex-chef de la sûreté départementale du Nord. « Roquet m’a dit qu’il devait avoir un aperçu, raconte Mounia, 41 ans. Voir si je convenais physiquement à DSK. » L’entrepreneur affirme avoir eu une relation sexuelle pour 150 euros avec la jeune femme lors de ce premier rendez-vous, elle nie. À l'audience, David Roquet ne cache pas que son « objectif était professionnel ». « Pour l’entreprise, j’ai pensé qu’il était important de maintenir le contact avec M. Strauss-Kahn », explique-t-il sans plus de détails pour l'instant.

Selon Mounia, elle et les trois autres prostituées présentes au Murano étaient là uniquement pour DSK. D’ailleurs, une fois leurs prestations achevées au bout « d’une heure et demie ou deux », la petite troupe lilloise reprend le train direction le Nord. « En clair, on vous attendait pour ça, vous êtes venue pour ça et après vous êtes repartie », résume le président Bernard Lemaire. « Pour moi, Roquet organisait cette soirée, il est resté habillé du début à la fin et n’a eu de relations avec aucune des filles », confirme l'ex-prostituée.  

Pour cet après-midi, Mounia affirme avoir été payée 1 500 euros par Roquet et Riglaire. « J’ai eu 900 euros dans le taxi, raconte-t-elle. Il (Roquet) m'a dit que c’était une petite soirée. J’en ai parlé après avec M. Riglaire qui m’a dit de ne pas m’inquiéter. Il m’a donné la différence en plusieurs fois chez moi, trois enveloppes dont deux remises dans le palier et l’ascenseur. » Riglaire proteste, toujours dans le même sens : il n’a jamais fait « l’appoint », il a « prêté de l’argent à Mounia quand elle en avait besoin pour voir ses enfants ». Nuance, donc.

Son avocat, Me Jérôme Pianezza, pointe quant à lui sans concession les contradictions et versions évolutives du témoignage de Mounia, qui s'embrouille parfois dans ses explications. Il note qu’interrogée par la juge d’instruction en février 2012, elle n’avait pas fait état de menaces, à part un ou deux coups de fil anonymes, alors qu’elle évoque désormais des textos « assez menaçants de Riglaire » à l’été 2011. « Car je voulais le protéger, j’ai simplement caché certaines vérités », répond Mounia, qui s’affole : « C’est de l’intimidation, ça commence à bien faire. On me sort des choses, ça commence à bien faire. »

Mais Me Pianezza poursuit son œuvre de sape d'une des principales accusatrices de DSK, en soulignant que l'ex-prostituée a elle-même reconnu avoir menti aux policiers et à la juge d'instruction dans une autre procédure pour escroqueries, classée sans suite. Dans la salle, l’animosité entre la partie civile et l’avocat du prévenu devient presque physique. « Ne me traitez pas de menteuse ! » réplique Mounia. Le président fait redescendre la tension, en reprenant d’une voix qui n’a cette fois plus rien de débonnaire : « Il est clair que c’est un dossier très grave. Je rappelle le poids et les conséquences d’une accusation dans un dossier comme celui-ci de proxénétisme. » « Je ne mens pas », maintient Mounia.

À la demande des avocats de David Roquet, un extrait d'une émission « Envoyé spécial » intitulée « Sexe, business et politique » est projeté. Le reportage est censé démontrer la banalité du recours aux escort-girls dans les milieux d’affaires. On y voit un ancien cadre de l’industriel Dassault dévoiler son arme secrète pour vendre des Rafales – « des grands vins et des call-girls » – ainsi qu’un reportage en caméra caché dans un bar topless parisien où de petits élus sont invités par de petits entrepreneurs du BTP à se rincer l'œil en marge du salon annuel des maires. Après ce reportage qualifié de « navet » par un avocat, l’audience est suspendue, en attendant les auditions prévues mardi de Dominique Strauss-Kahn,  Fabrice Paszkowski et Jean-Christophe Lagarde.

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