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Le blocage administratif des sites entre en vigueur en France

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Le gouvernement a donné, vendredi 6 février, un nouveau tour de vis à la liberté d’expression sur Internet en publiant, au Journal officiel, son projet de décret sur le blocage administratif des sites faisant l’apologie du terrorisme.

Ce dispositif, initialement inscrit dans la loi antiterrorisme votée le 13 novembre 2014, s’inspire du système de blocage, déjà prévu mais non encore appliqué, concernant les sites pédophiles, pour l’étendre à ceux « provoquant des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ». Concrètement, l’Office central pour la lutte contre la criminalité informatique (OCLCTIC) aura désormais le pouvoir de demander aux éditeurs et hébergeurs le retrait de tout contenu considéré comme faisant l’apologie du terrorisme ou diffusant des images pédopornographiques. En cas d’absence de réponse sous 24 heures, cette demande sera transmise aux fournisseurs d’accès qui devront empêcher « par tout moyen approprié l’accès » aux sites.

L’OCLCTIC sera aidé par une personne qualifiée, désignée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), qui sera chargée « de vérifier que les contenus dont l’autorité administrative demande le retrait ou que les sites dont elle ordonne le blocage sont bien contraires aux dispositions du code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, l’apologie du terrorisme ou la diffusion d’images pédopornographiques ». Ce représentant de la Cnil n’aura qu’un pouvoir de recommandation, mais pourra « saisir la juridiction administrative » « si l’autorité administrative ne suit pas » son avis. Bernard Cazeneuve avait fait par ailleurs adopter, à la dernière minute, un amendement autorisant également l’OCLCTIC à exiger des moteurs de recherche le déréférencement des sites faisant l’apologie du terrorisme.

Dès le lendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo, le gouvernement donnait un coup d’accélérateur à la concrétisation de ce nouveau dispositif en notifiant à la commission européenne son projet, soit un décret de blocage des sites internet terroristes. Une notification, obligatoire pour les textes touchant à la société de l’information, effectuée selon une « procédure d’urgence » que justifie « l’accélération des phénomènes de radicalisation de l’usage d’Internet ». C’est ce même décret qui vient d'être publié, seulement deux jours après avoir été présenté en conseil des ministres par Bernard Cazeneuve. « Ce sont de nouvelles dispositions essentielles de la loi qui vont pouvoir entrer en vigueur dans des délais extrêmement rapides, et participer à la mobilisation contre le terrorisme », s'était alors réjoui dans un communiqué le ministère de l’intérieur.

Et l’exécutif ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Le 19 janvier dernier, la ministre de la justice Christiane Taubira a proposé d’étendre le régime d’exception prévu pour la pédopornographie et l’apologie du terrorisme aux contenus racistes et antisémites. Ainsi, l’OCLCTIC se verrait également confier le pouvoir de décider, sans aucun contrôle judiciaire, du contenu de la liste de sites considérés comme racistes ou antisémites à bloquer. Malgré les nombreuses critiques qui se sont élevées contre la multiplication des procédures et la sévérité des condamnations depuis les attentats de Paris, la garde des Sceaux a par ailleurs souhaité que les injures et diffamations à caractère racial soient, elles aussi, sorties de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour basculer dans le code pénal, lui retirant ainsi les bénéfices liés à la liberté d’expression.

Cette volonté a été confirmée quelques jours plus tard devant les Nations unies par le secrétaire d’État aux affaires européennes Harlem Désir, à l’occasion d’une réunion informelle de l’Assemblée générale consacrée à la « montée de la violence antisémite dans le monde ». À cette occasion, la France a en effet plaidé pour une « exclusion du droit de la presse des injures ou diffamations à caractère raciste et antisémite, car elles ne sont pas une opinion mais une incitation à la haine et à la violence » ainsi que pour « la possibilité d’un blocage administratif des sites internet et des messages à caractère raciste et antisémite ». Selon le communiqué de l’Onu, Harlem Désir aurait précisé que ces « initiatives seront (…) adoptées à brève échéance ». Et, au vu des précédents votes sur le sujet, il y a de fortes chances qu’elles le soient également à la quasi-unanimité.

- Le décret

Cette unité de la classe politique sur la question du filtrage du Net est pourtant loin d’être partagée par ses acteurs. Le blocage des sites internet est en effet une solution techniquement très limitée et facilement contournable voire, selon certains, contre-productive. En quelques clics et avec un minimum de connaissances informatiques, n’importe quel internaute est capable d’installer un logiciel tel que le « navigateur Tor », permettant de contourner ce blocage sans autre formalité.

De plus, en optant pour une censure administrative, le législateur passe outre le contrôle du juge judiciaire, normalement indispensable en cas d’atteinte à la liberté d’expression. Or, beaucoup s’inquiètent de la difficulté de caractériser une « apologie du terrorisme », une notion particulièrement vague et non définie par la loi, ainsi que du fait que cette responsabilité sera confiée à une autorité administrative et non à un juge.

Lors de l’examen du projet de loi antiterroriste, de nombreuses voix s’étaient fait entendre pour rappeler ces limites et dangers. Au mois de juillet dernier, le Conseil national du numérique avait ainsi rendu un avis particulièrement critique sur ce dispositif, qualifié de « techniquement inefficace et inadapté aux enjeux de la lutte contre le recrutement terroriste ». De plus, « en minimisant le rôle de l’autorité judiciaire, il n’offre pas de garanties suffisantes en matière de libertés ». « Le projet de loi ne fait pas la distinction entre un besoin d’efficacité contre le recrutement terroriste et la propagande extrémiste, qui appellent pourtant des réponses différentes », estimait Ludovic Blecher, membre du CNNum. « De surcroît, le blocage risque de produire des effets contre-productifs en incitant les réseaux criminels à sophistiquer davantage leurs techniques de clandestinité. »

Lors d’une conférence organisée au mois de septembre dernier, le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), Guillaume Poupard, avait lui tout d’abord regretté que son agence, chargée de gérer la sécurité informatique du pays, n’ait pas été consultée. « Le message que je pousse est de nous consulter sur des questions qui ne soient pas seulement liées à la cybersécurité. » Puis il avait fait part de ses doutes quant à l’efficacité du blocage : « Il y a au sein de l’Anssi des gens qui comprennent ces techniques de blocage et les difficultés à les mettre en œuvre… et savent aussi les contourner. J’ai été amené à signaler le problème de l’efficacité de ces mesures », avait expliqué Guillaume Poupard, avant d’ajouter : « Je suis très réservé sur ces mesures d’un point de vue technique. »

Plus récemment, l’Agence de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a elle aussi émis des réserves dans un avis que s’est procuré le site Next Inpact. Celui-ci souligne, lui aussi, « les risques de contournements ». Mais surtout, l’agence s’inquiète de la formulation du décret qui impose aux fournisseurs d’empêcher « par tout moyen approprié l’accès » aux sites incriminés. Or, jusqu’à présent, la seule solution technique évoquée par Cazeneuve est celle, habituelle, d’une intervention au niveau du DNS (Domain Name System) consistant à tout simplement empêcher l’accès à un nom de domaine. Pris entre un décret leur imposant une obligation de résultat et un dispositif technique qui s’annonce comme largement inefficace, les fournisseurs d’accès risquent de se retrouver dans une impasse.

« L’obligation pesant sur les FAI d’empêcher "par tout moyen approprié l’accès ou le transfert aux services fournis par ces adresses" ne doit pas conduire à faire peser sur ces acteurs des obligations allant au-delà de la mise en œuvre des moyens de blocage usuels », écrit l’Arcep. « Il ne serait ni raisonnable ni proportionné d’exiger des FAI qu’ils garantissent l’impossibilité pour des internautes ayant recours à des méthodes de contournement d’accéder aux services fournis par les adresses électroniques concernées », poursuit l’agence. Celle-ci s’inquiète par ailleurs des éventuelles erreurs techniques qui conduiraient à bloquer certains sites ne figurant pas sur la liste. Pour cela, l’Arcep va jusqu’à demander un droit de regard afin de « s’assurer du caractère efficace et proportionné des mesures mises en œuvre par les FAI pour respecter leurs obligations, afin notamment de contrôler que les techniques utilisées ne conduisent pas à empêcher l’accès à des adresses électroniques dont le blocage n’a pas été ordonné par l’OCLCTIC ».

Le PS lui-même n’a pas toujours été un si fervent défenseur du blocage de sites. Ce dispositif a en effet été pour la première fois introduit dans le droit français en mars 2011 par la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieur (Lopsi), sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Or, à cette époque, les parlementaires socialistes avaient farouchement combattu cette mesure, allant même jusqu’à saisir le Conseil constitutionnel. « Il n’est bien évidemment pas dans l’intention des requérants de prétendre que l’accès à des sites pédopornographiques relèverait de ladite liberté de communication », écrivaient-ils alors. « En revanche, ils ne sauraient admettre que, faute de garanties suffisantes prévues par le législateur, la liberté de communication via Internet subisse des immixtions arbitraires de la part des autorités administratives sous couvert de lutte contre la pédopornographie. » « Les techniques de contournement, qu'elles passent par le recours à des réseaux privés ou de renforcement des systèmes de cryptage, auront toutes pour effet de rendre encore plus difficile le repérage, et donc, in fine, la répression des criminels à l'origine de la diffusion d'images ou de représentations pédopornographiques », soulignaient les députés de l’opposition avant de conclure : « Le blocage est donc non seulement inadapté, mais il est contre-productif. »

Une fois au pouvoir, la nouvelle majorité avait d’ailleurs refusé de publier le décret d’application de la Lopsi. Le gouvernement « n’autorisera pas le blocage de sites sans autorisation du juge. Nous y restons attachés », affirmait encore en février 2014 devant les députés Fleur Pellerin, alors ministre délégué à l’économie numérique. Mais quelques mois plus tard, le gouvernement notifiait aux autorités européennes son projet de loi antiterroriste, qui débouchera sur la présentation en conseil des ministres du décret instituant non seulement le blocage des sites terroristes prévu par la loi de 2014, mais également celui des sites pédopornographique prévu par la loi Lopsi et contre lequel les socialistes avaient bataillé.

Un revirement que dénonce l’association de défense des libertés numériques La Quadrature du Net. « En 2010, alors que Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux portaient la Lopsi, le Parti socialiste, dans l’opposition, s’était opposé à raison à ces mesures », rappelle-t-elle dans un communiqué. « Pourtant, en 2014, c’est Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur socialiste, qui renforce les dispositions liberticides et antidémocratiques du blocage administratif. » La député Nouvelle Donne Isabelle Attard a, de son côté, déposé une question au gouvernement afin de lui demander de préciser ses intentions après les annonces d’Harlem Désir devant l’Onu. « Il y a une volonté de contrôler les pensées des gens », dénonce-t-elle. « La liberté d’expression c’est, normalement, la possibilité pour tous de s’exprimer totalement librement. Et s'il y a un problème, on saisit le juge qui est le seul à pouvoir la limiter. C’est un des fondements de la démocratie », poursuit-elle avant de dénoncer l’obsession du gouvernement pour Internet. « Remplacez, dans les propos de Bernard Cazeneuve sur le sujet, le mot "Internet" par "presse écrite". Ça serait inacceptable ! J’ai l’impression que les raisons d’être de nos libertés, acquises au terme de longues luttes, ont aujourd’hui été oubliées. Avec ce système de liste administrative, nous en revenons au cabinet noir des rois de France. Nous avons oublié les raisons de ses libertés, pourquoi nous avions combattu pour les conquérir. »

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