Décidément, Brice Hortefeux semble éprouver bien des difficultés avec le maniement de la langue française. Déjà obligé à un démenti piteux dans l’affaire des musulmans/auvergnats, voici l’ex-ministre de l’intérieur et ami proche de Nicolas Sarkozy amené à se justifier dans une enceinte de justice sur la façon dont il utilise le verbe « fracasser ». Blazer bleu foncé, chemise bleu clair, cravate bleu foncé, pantalon gris, Brice Hortefeux est présent en personne pour la première fois dans un tribunal, s’étant prudemment fait représenter par un avocat les fois précédentes. C’est donc que l’heure est grave.
L'an dernier, le 22 novembre 2012, Brice Hortefeux a été condamné en première instance pour « menace » à l'encontre d'Olivier Morice, avocat de plusieurs familles de victimes de l'attentat de Karachi. Cela en raison de propos tenus dans un article publié par le Nouvel Observateur le 29 septembre 2011, peu après les mises en examen de l'intermédiaire en ventes d'armes Ziad Takieddine, de l'ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert, et de l'ancien bras droit d'Édouard Balladur, Nicolas Bazire, dans l'affaire de Karachi. Brice Hortefeux pestait contre les articles relatant des écoutes téléphoniques où il avertissait Thierry Gaubert que sa femme parlait trop et « balançait ». Le Nouvel Obs écrit alors ceci : « Hortefeux se dit "écœuré" par "la lâcheté des journalistes qui fracassent tous les amis de Sarkozy", alors que c'est Me Morice, qui, selon lui, devrait être "fracassé". »
En première instance, Brice Hortefeux a été condamné à une amende de 5 000 euros avec sursis, et au paiement d'un euro de dommages et intérêts ainsi que 10 000 euros pour frais de justice à Olivier Morice. La XVIIe chambre correctionnelle avait alors considéré que « ce propos (NDLR : de Brice Hortefeux) avait été tenu envers Olivier Morice en sa qualité d'avocat des familles de victimes de l'attentat de Karachi, en vue d'influencer son comportement dans l'exercice de ses fonctions, et que le prévenu ne pouvait qu'en être parfaitement conscient ». Il a fait appel de ce jugement.
À l’audience de ce jeudi après-midi, Brice Hortefeux s'exprime avec gravité. En substance, il assure qu’on l’a mal compris, et qu'il n'a jamais voulu menacer quiconque. « À cette époque, je venais de quitter le gouvernement, et j’avais le sentiment d’être vilipendé dans la presse », commence-t-il. « Quand ce journaliste m’a appelé, j’étais dans ma permanence du Puy-de-Dôme, et nous avons eu une conversation à bâtons rompus, qui ne devait pas forcément donner lieu à un article, et en tout cas pas à une interview avec relecture. » Le président de la XIe chambre de la cour d’appel, François Reygrobellet, se montre dubitatif. « Au-delà, la question posée, c’est l’utilisation du mot "fracasser" », poursuit Brice Hortefeux, impassible. « Dans le monde politique, on dit plutôt qu’on se fait assassiner par la presse, ou flinguer. Fracasser, c’est un peu plus littéraire. C’est le mot que j’ai utilisé à mon égard. Mais je ne pense pas l’avoir utilisé à l’égard de Me Morice », avance l’ancien ministre.
Surtout, il tient à le répéter à plusieurs reprises, « je ne connais strictement rien de l'affaire de Karachi ». Cela, même s'il est l'ami intime de Nicolas Sarkozy, un proche de Ziad Takieddine et de Thierry Gaubert, et qu'il a été ministre de l'intérieur.
Sur cette affaire de "fracasser", l’avocat Olivier Morice est d’un avis diamétralement opposé. Il l’explique calmement, cette affaire s’inscrit dans un contexte très particulier. Un contexte très tendu, en raison de l'avancée des investigations du juge Van Ruymbeke sur une affaire d'État qui menaçait le pouvoir.
Olivier Morice l'assure, cette sortie violente de Brice Hortefeux l'a réellement affecté. Déstabilisé. « Lorsque j'ai découvert le terme "fracasser", je me suis senti personnellement attaqué, venant d’un ancien ministre de l’intérieur dans un dossier où ses amis et lui-même sont concernés. C’était un choc. Je n’ai jamais reçu d’attaque aussi violente en 28 ans de carrière, même dans des affaires sensibles. »
« Oui, cela a eu une influence sur mon exercice professionnel, poursuit l'avocat. Je me suis demandé si j’allais continuer. J’ai une famille, des enfants. J’ai un cabinet. Nicolas Sarkozy est président de la République. On me prévient depuis des mois. J’ai peur. Je réfléchis. Vais-je abandonner les familles des victimes de Karachi en chemin ? Lever le pied ? Continuer ? Et qu'est-ce qui se passe si Nicolas Sarkozy revient au pouvoir ?... »
Olivier Morice poursuit : « Dans ce contexte-là, à l'époque, s'attaquer aux familles serait inacceptable. Mais moi, j'ai été une cible, et je me suis bien senti comme tel, monsieur Hortefeux, quand vous avez utilisé ce terme "fracasser" », dit-il en se tournant vers l'ex-ministre. « Le temps que je passe à me protéger est du temps qui est pris sur ma mission première. Je ne crois pas un seul mot de ce que vous avez dit aujourd'hui, M. Hortefeux. Ce que vous dites me rappelle la "fable" décrite par Nicolas Sarkozy, et les "rumeurs" dénoncées par le communiqué de l'Élysée. »
Après lui, Sandrine Leclerc, la fille d'une des victimes de Karachi, prend la parole pour raconter l'atomosphère délétère, les attaques concertées, les déstabilisations contre les familles et leur avocat. Ses confrères Laurent de Caunes, Antoine Comte, Nathalie Carrère et Olivier Schnerb plaident à la suite pour soutenir Olivier Morice.
L'avocat général, pour sa part, requiert la relaxe, estimant que l'infraction n'est pas suffisamment caractérisée. « Je doute que Me Morice ait été intimidé, et que le lecteur lambda ait vu une menace dans ces propos », estime-t-elle. L'avocat de Brice Hortefeux, Jean-Yves Dupeux, est du même avis, et rappelle quelques sorties musclées de son confrère dans les médias. À l'issue des débats et des plaidoiries, la cour d’appel a mis sa décision au délibéré au 30 janvier.
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