L’inspecteur du fisc Rémy Garnier, qui avait lancé l’alerte dès 2008 sur l’existence d’un compte suisse de Jérôme Cahuzac, n’a pas de mots assez durs contre le rapporteur de la commission d’enquête parlementaire consacrée à l’affaire, le député socialiste Alain Claeys. Dénonçant des passages « mensongers » et « diffamatoires » le concernant dans le rapport publié le 8 octobre, l’ancien enquêteur de Bercy a saisi par écrit la semaine dernière le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, d’une requête en révision. Sa demande a été transmise par la présidence de l’Assemblée, jeudi 7 novembre, au rapporteur de la commission, qui confirme l’information.
Le fait est rare. Celui que ses pairs surnommaient “Columbo” pour la pugnacité dont il savait faire preuve, l’air de rien, dans ses enquêtes au scalpel, réclame ni plus ni moins que la suppression et la réécriture des passages incriminés du rapport, adopté par la seule majorité socialiste. La droite, le centre et les écologistes n’avaient pas approuvé les conclusions du rapporteur Alain Claeys, qui avait exclu tout dysfonctionnement du gouvernement dans la gestion du scandale Cahuzac en dépit d’éléments pourtant embarrassants pour le pouvoir exécutif.
« Le rapport Claeys porte gravement atteinte à mon honneur et à ma réputation. J’attends donc une décision rapide compte tenu du préjudice moral que je subis du fait de cette intolérable diffamation (…). Les quelques pages qui me concernent portent le sceau du mensonge, du parti pris et de l’incompétence », a écrit Rémy Garnier à l’adresse du président de l’Assemblée nationale.
L’agent du fisc, qui avait tenté d’enquêter dès 2007 sur la fortune cachée de Jérôme Cahuzac, avant d’être mis au ban par son administration, formule à l'encontre du rapport Claeys plusieurs reproches circonstanciés, mais qui, tous, recouvrent la même impression qui ne passe pas : celle d’être considéré comme un illuminé des impôts, peu fiable et obsessionnel.
Pourtant, Rémy Garnier fut bien l’un des premiers, au sein de l’administration fiscale, à avoir tenté d’alerter le ministère sur les soupçons récurrents de fraude fiscale à l’encontre de Jérôme Cahuzac, cinq ans avant les révélations de Mediapart sur ses avoirs dissimulés en Suisse et à Singapour.
Le 11 juin 2008, Rémy Garnier avait en effet rédigé un rapport à l’attention du ministre du budget de l’époque, Éric Woerth (UMP), dans lequel il avait demandé − sans succès − l’ouverture d’une enquête digne de ce nom sur Jérôme Cahuzac, alors député. Un an plus tôt, informé de la possible existence d’un compte suisse non déclaré, Rémy Garnier avait consulté le dossier fiscal de Jérôme Cahuzac, ce qui lui vaudra les foudres de sa hiérarchie.
C’est pour se défendre des accusations dont il était la cible en interne qu’a été rédigé le rapport de juin 2008. Celui-ci sera qualifié de « allusif », « excessif » et même « fantaisiste » par la commission d’enquête parlementaire. Le rapporteur Claeys a ainsi évoqué une « note, très allusive, produite par un agent aujourd’hui à la retraite, à l’appui des onze instances qui l’opposaient ou l’avaient opposé à l’administration ».
Mais ce qu’a oublié de dire le rapporteur, alors que la commission en avait été informée par le principal intéressé, c’est que les onze procédures en question opposant Rémy Garnier à son ancienne hiérarchie ont toutes été gagnées par le premier. « Le tableau que j’ai remis à la commission le jour de mon audition récapitule pourtant très clairement le bilan du conflit », s’étonne du coup l’inspecteur.
Sur le fond, Rémy Garnier n’accepte pas que sa note puisse être qualifiée de « fantaisiste » dans la mesure où, écrit-il, « une lecture objective permet au contraire d’en apprécier la densité et la véracité puisque la plupart des informations visant Jérôme Cahuzac se sont avérées exactes, qu’il s’agisse du compte suisse, du financement en partie douteux de son appartement, de son important patrimoine, de sa femme de ménage philippine sans papiers et non déclarée ou des anomalies apparentes sur ses déclarations de revenus ». Difficile aujourd’hui de lui donner tort.
En délicatesse avec son administration depuis que l’un de ses contrôles fiscaux visant une coopérative agricole du Sud-Ouest avait été annulé à la suite du lobbying d’un député nommé… Cahuzac − il s’agit de l’affaire France Prune, en 2001 −, Rémy Garnier affirme avoir été, en outre, la victime d’un mensonge juridique de la part de la commission parlementaire. Dans son rapport, le député Alain Claeys écrit en effet que les sanctions administratives dont il avait écopé « à raison de manquements à son obligation de secret professionnel, de discrétion professionnelle et de réserve » ont été confirmées par la justice en octobre 2009 et novembre 2010.
« Les dates des décisions sont exactes, mais M. Claeys, sans vergogne, en a inversé le sens », tempête “Columbo”, qui cite un premier jugement (n° 0702791-5) du tribunal administratif de Bordeaux, lequel avait au contraire établi que les faits reprochés « n’étaient pas, compte tenu du comportement de l’administration dans cette affaire, de nature à justifier la sanction ». Devant la cour administrative d’appel, où il avait été poursuivi à la demande du ministre Éric Woerth, Rémy Garnier avait de nouveau obtenu gain de cause, comme le montre le jugement (n° 09BX02805). Le tribunal avait même décrit Rémy Garnier comme un agent « animé par le souci de défendre une application rigoureuse de la loi fiscale ».
Contacté par Mediapart, le député Alain Claeys affirme être en train de « faire vérifier les dires de M. Garnier pour voir si, en effet, il n’y a pas d’erreurs ». « J’attends de voir ce que mes collaborateurs vont dire. Si j’ai fait des erreurs, je suis tout à fait prêt à les reconnaître, mais on n’en est pas là », glisse-t-il. Il ajoute qu’il considère d’ores et déjà « sans grande importance » et « excessive » la requête de Rémy Garnier, qu’il qualifie volontiers d’« écorché vif ».
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