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Le compte caché des sénateurs UMP

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Les sénateurs UMP ont raison de s'affoler. Les juges chargés d'enquêter sur leurs « petits » arrangements financiers sont en train de faire sauter, au pied-de-biche, le couvercle de la boîte de Pandore. Déjà, ils ont listé chèques et retraits d'argent suspects, empochés via une association quasi fantoche (voir nos informations ici et ). Aujourd'hui, c'est un compte bancaire secret qui surgit. D'après des documents obtenus par Mediapart, un compte a en effet été ouvert chez HSBC au nom du « groupe UMP du Sénat », dont certains dirigeants du groupe ignoraient l'existence.

En parallèle du compte officiel situé dans une tout autre banque, il a visiblement été utilisé par une poignée d'élus issus d'un même courant, celui des Républicains indépendants (les rivaux historiques du RPR). À quoi a bien pu servir ce compte bis, forcément alimenté à l'origine par des fonds publics ? À ce stade, il est impossible de le dire, à une exception près.

Les pièces bancaires en notre possession indiquent en effet qu'un sénateur UMP, devenu ministre de Nicolas Sarkozy en juin 2009, Henri de Raincourt, a été secrètement rémunéré depuis ce compte du « groupe UMP du Sénat » pendant qu’il était au gouvernement, via un virement automatique de 4 000 euros par mois. D'après certains documents, ces versements auraient duré jusqu’en mars 2011.

Cette mise sous perfusion d’un ministre de la République par un groupe parlementaire, si elle devait se confirmer, outre qu'elle pose des questions légales, contredit frontalement le principe de séparation des pouvoirs exécutif et législatif – d’autant que Henri de Raincourt a été en charge « des relations avec le parlement » dans le gouvernement Fillon (avant de récupérer le portefeuille de la « coopération »).

Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon.Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon. © Reuters

Depuis juin 2012, l'intéressé est redevenu simple sénateur de l'Yonne, puis un temps vice-président de l'UMP (2013-2014). Depuis dix jours, il fuit toutes nos questions. Coups de fil, e-mails, SMS, rien n'y fait. Quand on l'appelle sur son portable, il nous raccroche au nez  (« Je ne répondrai pas ! »). Ce faisant, Henri de Raincourt ne dément pas.

Mais qui est cet homme discret ? Marquis, fils de sénateur et petit-fils de conseiller général, marié à la fille d’un ancien député, Henri de Raincourt, pur produit du sérail, a décroché son premier mandat au palais du Luxembourg en 1986. Longtemps président du groupe des Républicains indépendants du Sénat (qui a fusionné avec le RPR en 2002 pour fonder l’UMP), il a ensuite réussi, en 2008, à s’emparer de la présidence du groupe UMP, sans guère d’écho médiatique.

La seule fois où Henri de Raincourt a fait parler de lui après sa nomination au gouvernement en juin 2009 (à l’âge de 60 ans), c’est quand la presse a découvert qu’il cumulait son salaire de ministre de 14 000 euros avec une « allocation vieillesse » de sénateur – cumul auquel François Fillon lui a demandé de mettre fin immédiatement. Mais qu’importe. Le marquis avait encore bien des ressources cachées.

Le virement mensuel de 4 000 euros dont il est aujourd’hui question remonte en fait à 2008, au lendemain de son élection à la tête des sénateurs UMP. C’est le trésorier du groupe de l’époque, Jean-Claude Carle (issu des Républicains indépendants lui aussi), qui l’a mis en place dans la plus grande discrétion, pour compléter les indemnités déjà versées par le Sénat à son “patron” (environ 7 100 euros mensuels d’indemnité de base, plus 2 000 euros comme président de groupe, sans compter l’enveloppe de 6 000 euros pour couvrir ses frais professionnels et celle de 7 500 euros pour l’emploi d’assistants). Celles-ci ne suffisaient sans doute pas au marquis de Raincourt.

Dans un courrier à en-tête du groupe UMP daté de février 2008, Jean-Claude Carle a ainsi dicté ses consignes à l'agence HSBC située carrefour de l'Odéon (à deux pas du Luxembourg) : « Je vous remercie de bien vouloir effectuer chaque mois à compter du 1er avril 2008 un virement de 4 000 euros – quatre mille euros – à partir du compte HSBC, groupe UMP du Sénat, N° (…), sur le compte de Monsieur Henri de Raincourt à La Banque postale, N° (…). » Un sacré bonus mensuel.

L'existence d'un tel virement a déjà été évoquée en mai dernier par Le Canard enchaîné, mais sans que l’hebdomadaire puisse préciser combien de temps il avait duré (ni le compte ponctionné). En toute logique, il aurait dû cesser en juin 2009, le jour où Henri de Raincourt a abandonné son fauteuil de président du groupe UMP pour rallier le gouvernement.

Mais d’après nos documents, c'est seulement vingt et un mois plus tard que Jean-Claude Carle aurait mis fin au virement. Dans un courrier daté de février 2011, le trésorier du groupe UMP écrivait en effet au directeur de l'agence HSBC d'Odéon : « Je vous remercie d'arrêter les versements mensuels de quatre mille euros (4 000 euros) au bénéfice de Monsieur Henri de Raincourt à partir du compte N° (…) du groupe UMP du sénat après le 1er mars 2011 prochain, dernière opération de ce type en faveur de Monsieur Henri de Raincourt. »

Sollicité à plusieurs reprises par Mediapart pour confirmer la date d'interruption de ces versements et surtout expliquer leur fondement, de même que la nature de ce « compte chèques », Jean-Claude Carle n’a pas retourné nos appels. Trésorier historique du groupe UMP, le sénateur a dû, il y a quelques mois, céder sa casquette. Son successeur, Jean-Noël Cardoux, choisi pour ses compétences d’expert-comptable et censé faire le ménage, n’a pas souhaité nous répondre non plus à ce stade.

Certains observateurs avisés suggèrent que la banque HSBC abriterait en fait la cagnotte historique des anciens Républicains indépendants, famille politique de Henri de Raincourt et de Jean-Pierre Carle, mais aussi de Jean-Pierre Raffarin ou du maire de Marseille Jean-Claude Gaudin (président du groupe UMP de 2011 à 2014).

En effet, au moment où les Républicains indépendants ont fusionné avec le RPR pour créer l’UMP fin 2002, leur groupe possédait d’importantes réserves, constituées au fil des ans grâce aux cotisations des membres et surtout aux millions d'euros de dotations de fonctionnement du Sénat (censées servir au travail parlementaire, au recrutement de collaborateurs, etc., mais hors contrôle). À sa dissolution en décembre 2002, il est donc possible que le groupe ait conservé une partie de sa trésorerie sous le coude, plutôt que de verser l’intégralité au pot commun de l’UMP. De quelles sommes parle-t-on ?

Les documents en possession de Mediapart montrent que le « compte chèques » de l'agence HSBC d'Odéon a disposé, à la fin des années 2000, de centaines de milliers d'euros. Y avait-il un « compte titres » ? Des placements ?

À la faveur de l'information judiciaire en cours, menée par deux juges parisiens sur des soupçons de « détournements de fonds publics », « abus de confiance » et « blanchiment », on savait déjà qu'une petite partie de la cagnotte des Républicains indépendants avait dû être transférée à l'URS, association semi-fantoche créée fin 2002. Via son compte à la Société générale, l’URS a servi depuis à redistribuer des fonds à des dizaines de sénateurs UMP sous forme de chèques ou d’espèces, sans contrepartie connue et à hauteur de centaines de milliers d'euros rien qu'entre 2009 et 2012 (voir nos enquêtes ici et ). À sa tête ? Henri de Raincourt, déjà lui. On découvre aujourd'hui que le marquis a profité d'un autre compte, chez HSBC cette fois. Sur combien de comptes exactement avait-il la main ? Surtout, combien d'autres parlementaires en ont bénéficié depuis douze ans ?

Rappelons que l'argent distribué par le Sénat à ses différents groupes politiques, théoriquement destiné aux travaux parlementaires, n'a jamais fait l'objet du moindre contrôle par l'institution. Alors que l'Assemblée nationale vient de voter la transparence sur les comptes de ses propres groupes, le Sénat s'y refuse toujours.

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