L'éléphant qui « rentre à 100 km/h dans un magasin de porcelaine » va-t-il accoucher d'une souris ? En remettant en cause la baisse des tarifs des notaires, Bercy vient de faire un significatif retour en arrière sur la réforme des professions réglementées. « Avec la même conviction pour défendre ce en quoi je crois, j'ai eu la même lucidité quand je me suis trompé », a déclaré le ministre, « plaidant coupable en quelque sorte » sur le mécanisme de « corridor tarifaire ».
Au lieu de mettre en place une tarification de référence établie par l’Autorité de la concurrence et pouvant varier entre un prix plancher et un prix plafond (entre 10 et 15 %) – fameux mécanisme du corridor tarifaire –, Bercy a établi deux nouvelles formes de tarification. D’un côté, il y aura les tarifs fixes correspondant aux actes simples (contrat de mariage, donation) et de l’autre un tarif proportionnel (achat d’un bien immobilier par exemple) à partir duquel pourra s’appliquer une remise. C’est le principe du corridor tarifaire simplifié.
Prenons le cas d’une cession immobilière. « Jusqu’à une hauteur qui doit encore être définie », explique le rapporteur général Richard Ferrand (PS), auteur de l'amendement qui modifie le corridor tarifaire, le notaire pourra pratiquer une remise qui sera fixe. En fonction du montant de la vente, la remise est dégressive voire égale à zéro pour des sommes élevées. Autrement dit, plus le prix du bien acheté est élevé, moins la part de la remise sur la facturation est importante. L’objectif est de faire jouer la concurrence entre les professionnels et d'empêcher l'inflation des honoraires.
À la question de savoir si les tarifs vont baisser, Emmanuel Macron répond négativement. « Nous allons simplement créer les conditions pour que ces tarifs n’augmentent pas de manière artificielle comme ça a été le cas ces vingt dernières années. » Mine de rien, le ministre de l’économie vient pourtant de sabrer dans le cœur du projet défendu par Montebourg quelques mois plus tôt. Pour le comprendre, il faut remonter à juillet 2014 lorsque le ministre de l’économie et du redressement productif présentait sa feuille de route pour le redressement économique de la France (voir la vidéo à partir de 36 min 40 s).
« De nombreuses professions aujourd’hui sont en situation de monopole et captent par leurs positions des revenus pour des services payés trop chers qui entament le pouvoir d’achat des ménages », affirmait alors Arnaud Montebourg. « C’est le cas des huissiers, greffiers de commerce, certaines professions de santé dans lesquelles une baisse des prix des services est nécessaire et possible au bénéfice de la population. »
Emmanuel Macron a donc substitué à la baisse des prix des services un mécanisme visant à empêcher la hausse des tarifs, ce qui est fort différent de l'ambition de départ. Les raisons d'un tel revirement sont difficiles à cerner. « Les professions installées feront la pire des vies à ceux qui voudront s'installer, c'est l'âme humaine qui est ainsi faite, répond Macron dans une de ses envolées philosophiques, et on ne légifère pas sur l'âme humaine. » Plus terre à terre, le rapporteur Ferrand explique que la députée de Saône-et-Loire, par ailleurs proche de Montebourg, Cécile Untermaier et lui-même tentaient depuis plus d'une semaine de ramener le ministre à la raison. « Je redoutais les effets néfastes d'un tel mécanisme, confie Cécile Untermaier, à savoir que les actes à perte auraient été mis au taux plafond par des notaires peu scrupuleux et les actes très rémunérateurs auraient été mis à des tarifs bas pour attirer la clientèle. » Quant à savoir pourquoi cela n'a pas été acté plus tôt, Richard Ferrand confie en aparté que « ce n'est pas évident de convaincre les technocrates de Bercy qu'ils ont fait une erreur ».
Autre subtilité de l'article, le principe de péréquation intraprofessionnelle et interprofessionnelle. Les transactions très importantes (au-delà de 300 000 euros d'après le rapporteur) seront écrêtées, ce qui permettra d'abonder un fonds interprofessionnel de péréquation, destiné à financer notamment l'aide juridictionnelle et les maisons de justice et du droit.
Dans l'hémicycle, les explications consécutives des députés de la majorité ne parviennent pas à convaincre l'opposition, le ton monte. « Plus j'entends les explications, moins je les comprends », déplore le député du Val-d'Oise (UMP) et membre de la commission des lois Philippe Houillon. « On a vraiment du mal à vous suivre, ajoute le député du Nord Marc Dolez (GDR), on nous amène à un amendement qui établit de nouveaux corridors tarifaires », un amendement qui « flirte avec l'incohérence » pour le centriste Philippe Vigier. « La situation est encore pire qu’à l’état initial », déplore Julien Aubert (UMP), notaire de formation. Seul le député (PS) Jean-Yves Caullet semble avoir compris le nouveau mécanisme : « C’est simple, un tarif fixe devient infinitésimal quand la somme augmente et est donc dégressif, alors qu'un tarif proportionnel qui varie de 15 % à -15 % peut constituer une somme considérable. »
Jetons un œil à l'article en question : « Les tarifs mentionnés à l’article L. 444-1 prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs. » Arrêtons-nous un instant sur les notions de coût pertinent et de rémunération raisonnable. Le coût pertinent ou encore coût réel et la rémunération raisonnable apparaissent dans d'autres législations (ici dans le code de commerce ou là dans le code de l'énergie). Ce sont des notions comptables sur lesquelles l'Autorité de la concurrence donne un avis à partir duquel les ministres de la justice et de l'économie fixent un tarif par décret.
Reste à savoir à quoi les « critères objectifs » mentionnés dans l'article font référence. « Pour avoir une réponse, il faudra voir ça avec Lasserre », répond un des députés présent également en commission spéciale. Une réponse laconique qui en dit long sur la philosophie du texte. La personne dont fait état l'élu est Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence depuis 2009.
« Il faut vous guérir du prisme bruxellois Monsieur le ministre, vous redonnez des pouvoirs à des technocrates incompétents », avait pesté lors de précédents débats le député des Yvelines Jacques Myard (UMP). « Vous avez vu un loup caché derrière un article beaucoup trop innocent », lui avait répondu Emmanuel Macron. Le loup, s'il en est, n'a pourtant rien de caché et s'est même immiscé dans dix articles de la loi pour la croissance et l'activité (articles 2, 5, 9, 10, 11, 12, 13 bis, 17, 59). L'autorité de la concurrence est ainsi sollicitée sur le transport public, les activités ferroviaires, la réforme du permis de conduire, l'urbanisme, les professions réglementées et la concentration économique.
« Si on avait sollicité l'Autorité de la concurrence, on ne serait pas dans la même merde avec les concessions autoroutières », confie au sortir de l'hémicycle un député de la majorité. Si on peut difficilement s'en prendre à l'Autorité de lutte contre la concurrence concernant les abus de position dominante, le fait de s'en remettre systématiquement à cette institution dans des domaines aussi variés que les professions juridiques, l'aménagement du territoire ou le réseau des transports publics pose un certain nombre de questions (voir aussi ce billet de blog sur l'Autorité de la concurrence).
Le ministre de l'économie a par ailleurs tenu à préciser qu'un tel changement dans le texte ne découlait en rien du lobbying des professions réglementées. Les notaires ne se satisfont d'ailleurs pas plus de ces changements. « Que l'on crée un corridor tarifaire ou un corridor de remise, c'est du pareil au même : ce n'est pas du tout la bonne nouvelle que nous attendons », a réagi auprès de l'AFP Didier Coiffard, vice-président du conseil supérieur du notariat. Emmanuel Macron a quant à lui fait savoir qu'il comptait déposer plainte après les menaces qu'il a reçues de la part des professions réglementées. Pour la suite des débats, le ton est donné.
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