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Pour faire vivre son « esprit du 11 janvier », Hollande s’inspire tous azimuts

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Gouverner, c’est aussi consulter. Avant sa conférence de presse, jeudi prochain, lors de laquelle François Hollande a prévu de faire des annonces dans la continuité de « l’esprit du 11 janvier » et des manifestations ayant succédé aux attentats de Paris, le président a reçu au cours d’une journée marathon, jeudi, une série d’acteurs concernés par les valeurs républicaines, l’école, la politique de la ville. Avec en tête la volonté de faire des propositions permettant d’accompagner le « sursaut républicain » qu’il appelle de ses vœux.

Rencontre entre François Hollande et des directeurs d'école, jeudi 29 janvier 2015 à l'ElyséeRencontre entre François Hollande et des directeurs d'école, jeudi 29 janvier 2015 à l'Elysée © Elysée

Le matin, le chef de l’État s’est entretenu avec un panel de chefs d’établissement et directeurs d’école plutôt situés dans les quartiers difficiles. Aucun de ces acteurs de l’éducation nationale n’a souhaité publiquement rendre compte des échanges qu’ils ont eus avec le chef de l’État. « Il nous a dit qu’ils n’avaient pas de mesures toutes faites, qu’ils étaient là pour nous écouter », raconte un participant.

De fait, parmi la dizaine de responsables auditionnés qui ont accepté de « débriefer » à Mediapart leur entretien, beaucoup louent sa « capacité d’écoute » et le temps pris à chacun de ses rendez-vous pour entendre les doléances et idées de chacun.

« On a l’habitude de conseillers qui vous accordent une demi-heure les yeux rivés sur leur portable, lui a pris deux heures, se montrant particulièrement attentif », explique ainsi Antoine Dulin, délégué national des scouts et guides de France, et « représentant des jeunes et des étudiants » au Conseil économique et social. Celui-ci a été reçu dans l’après-midi, avec d’autres têtes de réseau associatif (MJC, régies de quartier, centres sociaux). 

Auparavant, Hollande a longuement déjeuné avec une dizaine de maires adhérant à l’association « Ville et banlieue ». Même éloge quant à l’initiative, y compris chez le maire UMP de Courcouronnes (Essonne), Stéphane Beaudet : « C’était un déjeuner de bonne volonté, où on a pu passer des messages, sur la politique de peuplement, le logement, la politique éducative ou l’importance des services publics. Reste à voir s’ils seront entendus. »

Dans la soirée enfin, un dîner était organisé à l’Élysée avec des intellectuels tels que la politologue Céline Braconnier, le spécialiste de l’Islam Gilles Kepel, l’essayiste Mara Goyet, la sociologue de l’éducation Nathalie Mons, l’historien Patrick Weil, la sociologue Leyla Arslan ou l’historien Ivan Jablonka. François Hollande leur a indiqué vouloir bénéficier de l’apport de la recherche sur les questions de laïcité, d’école et d’égalité.

Si les échanges entre les directeurs d’établissement scolaire et le président n’ont pas filtré, les réflexions sur l’école n’en ont pas moins parcouru l’ensemble de la journée, jusqu’au dîner avec les chercheurs et intellectuels. « Nous avons insisté sur le fait que l’école ne pouvait être la seule institution mobilisée dans les quartiers, explique la sociologue Céline Braconnier, mais qu’il fallait que sa mission s’inscrive dans une cohérence avec l’ensemble des services publics et du monde associatif. » L’historien Ivan Jablonka a de son côté rappelé que l’histoire de l’immigration n’était toujours pas intégrée positivement aux programmes d’histoire.

Entre poire et fromage, l’idée que l’université puisse prendre une place importante dans l’organisation d’une réflexion sur les valeurs de la République a, semble-t-il, intéressé le président, ainsi qu’une collaboration plus étroite avec les collèges et les lycées. Des universitaires pourraient régulièrement faire des interventions à l’école « pour que les enseignants se sentent moins seuls sur ces questions », raconte un autre convive. Face aux maires, Hollande a aussi entendu ceux qui se sont positionnés pour des « enseignements laïques du fait religieux ».

Face au monde associatif, ce sont « les passerelles entre éducation nationale et éducation populaire » qui ont été abordées, raconte François Vercoutère, de la Fédération nationale des centres sociaux. « L’éducation se fait aussi dans les clubs de sport, les MJC, la famille, explique-t-il. Or, on voit bien avec la réforme des rythmes scolaires que ces passerelles fonctionnent mal. On est vu comme de simples opérateurs, on n’est pas inséré dans de véritables projets éducatifs. » Selon lui, l’échange pourrait être fructueux : « Aujourd’hui, les enseignants ne sont pas formés à faire face à des phénomènes de groupes. Nous avons plein d’idées pour que les profs soient plus à l’aise. »

Alors que le plan de mobilisation pour l’école, présenté par la ministre de l’éducation nationale en milieu de semaine, était principalement axé sur l’enseignement de la laïcité, la question a été évoquée tout au long de la journée. Certains ont alerté pour que cette laïcité soit « inclusive », comme Zinn-Din Boukhenaissi, du Comité national de liaison des régies de quartier. « J’ai plaidé pour une laïcité plus ouverte, pas pour une laïcité de combat », dit-il. « On a senti qu’il était d’accord. C’est bien de le penser. Maintenant, il faut qu’il l’énonce. Il faut qu’il affirme fortement que la laïcité, ce n’est pas l’exclusion d’une partie de la communauté nationale. »

Pour Nadia Bellaoui, du Mouvement associatif, « il est important d’ouvrir le débat pour que la parole se libère ». « La charte de la laïcité, qui descend d’en haut, c’est une bêtise, estime le scout de France Antoine Dulin. On fait croire que les élèves vont la lire et l’appliquer. Mais ça ne marchera pas. Dans l’éducation populaire, on écrit ces règles ensemble. C’est ce qui devrait se passer dans l’éducation nationale. »

Autour de la table, l’idée d’organiser une « fête de la fraternité » le 14 Juillet a fait consensus. « Avec des banquets républicains dans la rue, où l’on mange ensemble, on discute ensemble, imagine Dulin. C’est symbolique mais on a besoin de symboles. Même entre nos différents mouvements, il faut recréer de la proximité, renouer le dialogue. »

Lors du dîner avec les chercheurs, plusieurs l’ont « alerté sur le fait qu’un certain flou entoure un certain nombre de valeurs républicaines pourtant constamment invoquées », relate Céline Braconnier. « Si l’on veut sortir du catéchisme républicain, il faut prendre le temps et surtout le risque de clarifier ce qu’on entend par certaines notions, dit-elle. Il y a des approches très différentes de la laïcité, et il ne faut pas faire semblant qu’il n’y a pas de problèmes. » Aux dires d’un présent, François Hollande a entendu ces remarques.

Parmi les invités de l’après-midi, le chef de l’État voulait aussi entendre plusieurs représentants de l’éducation populaire. L’Afev, la Ligue de l’enseignement, la Fédération Léo-Lagrange, la confédération des MJC… Il a évoqué avec eux la place de l’éducation populaire et ses relations parfois compliquées avec l’éducation nationale mais aussi les problèmes récurrents de financement des associations.

« Nous avons voulu rappeler au chef de l’État que l’éducation ne s’arrête pas à l’école. Le plan présenté récemment par la ministre Najat Vallaud-Belkacem devrait pouvoir être complété par un plan exigeant sur le périscolaire », explique Nadia Bellaoui, présidente du Mouvement associatif et secrétaire nationale de la Ligue de l’enseignement. Certains ont dit leurs regrets d’être « peu considérés » ou « comme des prestataires ». « Alors que nos effectifs augmentent et peuvent répondre à l’attente des parents face à l’échec de l’école à mettre les jeunes en confiance, à leur donner une autonomie. »

« L’éducation populaire est un mot ringardisé qui n’a jamais été autant d’actualité », renchérit François Vercoutère. Responsable de la Fédération nationale des centres sociaux, il a dit sa méfiance envers « les solutions miracles » comme le service civique obligatoire, une proposition avancée par certains politiques, de gauche comme de droite. « Comment faire découvrir la notion de “service” quand c’est obligatoire ? » s’interroge-t-il. Pour Irène Pequerul, présidente de la CNAJEP, il convient de « reconnaître une diversité d’engagements » : « Nous défendons plutôt l’idée que dans le parcours éducatif de tout enfant, il y ait une sensibilisation à ce qu’est l’engagement, la vie associative, des actions altruistes. »

Happening au collège Courbet de RomainvilleHappening au collège Courbet de Romainville © LD

Les pistes de travail relatives à l’éducation à la citoyenneté ont aussi été largement abordées. Ainsi lors du dîner, où « il a longtemps été question des dispositifs pour faciliter la prise de parole politique dans ces quartiers, dit Céline Braconnier, spécialiste de l’abstention dans les quartiers populaires. Ce sont des quartiers où il y a un vrai problème de retrait politique, où il y a une faible inscription sur les listes électorales, et où le seul mode d’expression, à l’extérieur, est la flambée de violences. Il faut parvenir à faciliter la prise de parole de ces habitants qui se taisent où que l’on fait taire ».

La chercheuse est intarissable sur le sujet : « Il n’y a pas de canaux d’expression institutionnalisée, notamment pour représenter aujourd’hui les jeunes Français de confession musulmane. Dans les lycées, on voit bien qu’il ne suffit pas que des conseils de vie lycéenne existent pour développer cette citoyenneté. Ces conseils peuvent même dégoûter les élèves de ce type de participation, quand ils voient qu’ils n’ont aucun pouvoir. » Selon elle, « l’école doit assumer le risque de parler de l’actualité politique, par exemple d’une élection en cours, et montrer qu’elle n’est pas coupée du monde. On sait très bien que c’est cela qui crée de l’engagement citoyen. Mais disons que ce n’est pas vraiment entré dans les mœurs en France. »

Membre du conseil économique et social, le scout Antoine Dulin opine : « L’éducation nationale, c’est l’injonction du vivre ensemble. Mais ce qui nous intéresse, c’est que les enfants apprennent à débattre. Et ça, l’éducation populaire le fait au quotidien. » Il précise : « Quand on a accueilli des élèves musulmans qui nous ont dit “je ne suis pas Charlie” ou “Je suis Charlie Coulibaly”, on est allé au bout. Pourquoi tu dis ça ? Quelle est la part de vérité ? Quelles sont leurs influences?  Ça a pris deux ou trois heures mais on y est arrivé. »

Lors du déjeuner avec les maires de l’association « Ville et banlieue », les édiles locaux ont rappelé leurs 120 propositions de la dernière campagne présidentielle, et ont martelé la nécessité d’« être au cœur des dispositifs », davantage en relation avec les préfets sur les questions de logement, notamment sur le droit au logement opposable (Dalo). « Cette loi est positive, mais elle ne doit plus s’appliquer dans nos quartiers uniquement, affirme Philippe Rio, maire PCF de Grigny (Essonne). Il faut davantage de transparence dans les attributions de logements sociaux, de la part des préfets et des bailleurs. Et il faut accélérer la construction de HLM ailleurs, pour cesser d’entasser les plus pauvres toujours dans les mêmes quartiers. Il faut rompre avec cette spatialisation de la pauvreté. »

« Le problème, abonde le maire UMP de Courcouronnes (Essonne) Stéphane Beaudet, c’est qu’une famille qui s’en sort quitte en moyenne son logement au bout de dix-huit mois, et qu’elle est remplacée par une famille bien plus en difficulté. Les maires de banlieue sont devenus les gestionnaires de la misère en France. » François Hollande aurait été attentif à l’interpellation, évoquant la création d’une commission parlementaire, chargée de faire des propositions sur le sujet.

Les maires de « Ville et banlieue », à leur sortie de l'Elysée, le jeudi 29 janvier 2015Les maires de « Ville et banlieue », à leur sortie de l'Elysée, le jeudi 29 janvier 2015 © Elysée

Ensemble, ils ont tenu à défendre la politique de la ville, critiquée en ce moment, ainsi que la rénovation urbaine. « Entre nous, maires de banlieues, l’union nationale perdure, car on parle le même langage depuis longtemps, explique Rio. Il n’y a pas besoin d’un énième plan Marshall sans lendemain, mais d’engagements sur le long terme. Le premier problème à la Grande-Borne (cité de Grigny d’où vient Amedy Coulibaly, l’un des auteurs des attentats de Paris), c’est qu’il y a 40 % de chômage. La politique de la ville, c’est au final la seule qui a fonctionné chez nous. Maintenant, ce sont celles de droit commun qui doivent être au niveau. L’emploi, la police, la santé, l’éducation. »

Un avis partagé par le maire socialiste (mais qui a quitté le PS récemment) de Grande-Synthe (Nord), Damien Carême : « Sans l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), ça aurait déjà explosé depuis longtemps, et ça permet de rendre un peu de dignité aux habitants, qui ont droit comme tout le monde à des logements et des équipements neufs. » Pour celui qui est aussi président de l’association « Ville et banlieue », le premier des besoins est celui de voir « rester ou s’installer des services publics ». Et de citer « les politiques culturelles, dont l’essentiel des crédits ne concerne pas les cités mais les beaux-quartiers ».

Lui comme ses collègues évoquent aussi la nécessité d’étendre les dispositifs de réussite éducative, permettant de dégager des crédits supplémentaires indispensables. « À Grigny, où 50 % des élèves sortent du système scolaire sans diplôme, j’ai 250 gamins qui ont des problèmes de trouble du langage, et qui doivent attendre entre 8 et 12 mois pour avoir un rendez-vous, se lamente Philippe Rio. Il suffirait de deux orthophonistes scolaires pour améliorer la situation et donner la chance à tous de commencer leur vie à peu près avec les mêmes chances. » Son homologue de Courcouronnes, Stéphane Beaudet, évoque lui aussi « la désertification médicale », qui l’a obligé à « dépenser la grande majorité des deux millions d’euros qu’a coûté le centre disciplinaire de santé » tout juste ouvert. Il dit aussi avoir financé sur les deniers communaux « une semaine de formation aux enseignants sur “la relation aux parents”, qui devrait quand même être prise en charge dans leur formation, normalement ».

Face à Hollande, ils ont été nombreux à pointer également l’incompatibilité entre les attentes de moyens et la politique de réduction des dépenses publiques. « Soit on veut une société meilleure, soit on se fixe comme projet de société de seulement faire de l’austérité douce », dit un participant.

L’inquiétude n’est pas que politique. Nadia Bellaoui, responsable de la fédération du Mouvement associatif, l’a également rappelé au président : « Les associations ont besoin d’une sécurisation de leurs finances. Pour faire vivre un centre social, il faut faire aujourd’hui une centaine de demandes de financement. » « La situation est totalement schizophrène, estime Stéphane Beaudet, l’État demande d’en faire plus, mais supprime ses dotations aux collectivités locales. »

L’alerte a été unanime, autour de la table élyséenne. « Ramener la République dans les quartiers populaires, c’est incompatible avec l’austérité », a assuré Philippe Rio, qui a aussi proposé à François Hollande de faire de Grigny « un laboratoire de la République ». « Les villes de banlieues populaires sont tout en bas de la pyramide des financements publics : quand les dotations de l’État baissent, celles des conseils régionaux et généraux aux communes baissent aussi, rappelle Damien Carême. Pour des budgets comme les nôtres, c’est dramatique. » Et de demander « une augmentation des dispositifs de péréquation ». Tous ont bon espoir que François Hollande annonce une « sanctuarisation des crédits » de l’État aux collectivités.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Starred up


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