« J'ai une bonne position. » Le candidat UMP, Charles Demouge, avait la confiance. Quand nous l'avions rencontré, il y a deux semaines, lors d'une cérémonie de vœux dans une ville ravie par la droite au PS lors des dernières municipales, le maire de la petite ville de Fesches-Le-Châtel se voyait déjà au second tour contre le FN. Et vainqueur à la fin, assis sur un banc pourpre au Palais-Bourbon.
Dimanche 1er février, il a déchanté. Pour la première fois depuis 2012, un candidat de l'UMP n'est pas qualifié à l'issue du premier tour d'une législative partielle. Dans la quatrième circonscription du Doubs, celle dont l'ancien ministre socialiste, et actuel commissaire européen Pierre Moscovici, fut élu député à trois reprises (en 1997, 2007 et 2012), le candidat UMP, soutenu par l'UDI, est éliminé, même si son score progresse de plus de 3 points.
Pour le principal parti d'opposition, il s'agit d'un revers cinglant. Et même si son candidat sur place n'était pas très flamboyant, c'est une gifle pour le président de l'UMP Nicolas Sarkozy. Le bureau politique du parti se prononcera mardi sur une éventuelle consigne de vote en vue du deuxième tour, dimanche prochain.
Pour ce premier scrutin depuis les attentats de Paris, plus de 65 000 électeurs étaient appelés aux urnes dimanche dans cette circonscription ouvrière, historiquement plutôt à gauche, berceau de l'empire Peugeot (aujourd'hui PSA) où 11 000 salariés travaillent encore pour la marque au lion. Sans compter une myriade de sous-traitants et d'intérimaires, ceux dont on se débarrasse en premier en cas de baisse d'activité.
À son départ du gouvernement en mars, Pierre Moscovici, déjà pressenti pour être le candidat de François Hollande à la Commission européenne, avait été nommé "parlementaire en mission", un poste qui lui permettait de transmettre sans élection le siège à son suppléant. Mais "Mosco" ayant été nommé commissaire plus tôt que prévu, le siège est devenu vacant et le parti au pouvoir n'a pas pu éviter une élection législative.
Au vu de la personnalité de Moscovici, ex-homme fort du PS doubiste, qui incarne désormais l'austérité européenne aux yeux du Front de gauche ou encore du Front national, la campagne avait pris très tôt un tour national.
Ce fut encore plus vrai après les attentats de Paris. Les états-majors des grands partis ne s'y sont pas trompés. Avant le premier tour, Manuel Valls est venu y prononcer un discours offensif, centré sur « l'ordre républicain ». Marine Le Pen est venue tracter devant l'usine PSA de Sochaux, et avant elle le numéro deux du Front national, Florian Philippot, avait fait le déplacement. Côté UMP, le secrétaire général du parti, Laurent Wauquiez, est venu supporter Charles Demouge.
Comme lors d'élections législatives partielles précédentes (mais ce fut aussi le cas pour les municipales et les européennes de 2014), l'abstention a été très importante. Alors que le scrutin a été plutôt médiatisé, six électeurs sur dix (60,44 %) ne se sont pas déplacés. C'est 20 à 25 points de plus que lors des précédentes échéances législatives dans cette circonscription en 2002, 2007 et 2012.
Avec 32,6 % des suffrages exprimés, c'est Sophie Montel, la candidate du Front national, qui arrive devant. Ce n'est pas franchement une surprise, dans cette circonscription où le FN était sorti en tête dans quasiment tous les cantons lors des européennes de juin 2014.
Montel, déjà élue régionale et députée européenne élue en juin dernier, n'a pratiquement pas fait campagne. Pour cette militante historique du FN, qui habite à 120 kilomètres de la circonscription, les séances de tractage ont été peu nombreuses, si ce n'est quand les médias parisiens se déplaçaient. Sophie Montel s'est contentée de mettre en avant le « péril islamiste » pour espérer tirer avantage des attentats de Paris. Comme en 2012, Marine Le Pen, la présidente du parti, est venu tracter devant l'usine PSA avant le premier tour.
Dimanche sur I-Télé, Sophie Montel s'est félicitée de l'« écroulement » de l'UMP. Elle espère être le « troisième député FN à l'Assemblée nationale », en plus de Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard. Au vu de son score, de la très forte abstention qui offre aux deux candidats en lice d'importantes réserves de vote, et de l'incertitude quant au comportement de l'électorat de droite, son élection dimanche prochain est possible.
Frédéric Barbier, le candidat du PS, savait que la tâche serait difficile. « Le pire n'est jamais certain, faut pas pleurer avant d'être battu », nous disait-il, il y a quinze jours. Avec 28,85 % des voix, il réussit finalement à se qualifier pour le second tour. Conscient de son retard au début de la campagne, alors que le pouvoir socialiste était plus impopulaire que jamais, Frédéric Barbier, qui fut le suppléant de Pierre Moscovici à l'Assemblée nationale, a commencé la campagne très tôt, dès novembre.
Au départ, il pensait faire une campagne très locale, histoire d'éviter d'être ramené à son mentor Moscovici. Barbier a d'abord mis en avant le bilan local du PS – une autoroute à trois voies, la 4G, le TGV direct de Paris, une société d'économie mixte à vocation industrielle, le maintien des emplois à PSA ou l'installation récente du groupe de luxe Hermès. Il n'avait sollicité aucun responsable national du parti, aucun ministre. Mais les attentats de Paris ont changé la donne. Barbier a ensuite surfé sur « l'esprit du 11 janvier ». « Les attentats peuvent peut-être donner à des gens envie de se déplacer », pariait-il. Espérant un « sursaut républicain », il avait également appelé à l'unité à gauche et recentré sa campagne sur le Front national, « une bande d'affreux », dont nombre d'électeurs, dit-il, « souffrent, ne vivent pas bien de leur travail et n'ont pas assez d'argent pour mettre de l'essence dans leur voiture ». Manuel Valls était venu le soutenir il y a cinq jours, lors d'un meeting chahuté, interrompu par la CGT.
En se qualifiant pour le second tour, le PS interrompt une véritable série noire. Il n'a remporté aucune des treize législatives organisées depuis 2012 (douze victoires de la droite, et une du parti radical de gauche). Entre-temps, le parti au pouvoir a perdu quatre sièges de député et sa majorité absolue à l'Assemblée nationale. Il a été éliminé au premier tour à six reprises, notamment dans l'Oise (mars 2013), le Lot-et-Garonne (juin 2013), le Nord (juin 2014) et l'Aube (décembre 2014).
Mais la performance du PS doit être très largement relativisée. Si l'on raisonne en voix, et non en suffrages exprimés, le PS perd plus de 9 000 voix (9 005 exactement) par rapport aux législatives de 2012. Pierre Moscovici, qui avait remporté l'élection haut la main au second tour, avait alors réuni 16 421 voix sur son nom. Deux ans et demi plus tard, Frédéric Barbier n'en obtient que 7 416.
Même si l'abstention massive biaise en partie les comparaisons, c'est tout de même très faible au regard des trois précédentes législatives, où le PS a toujours obtenu plus de 13 000 voix. L'électorat socialiste s'est donc massivement abstenu. Pour Frédéric Barbier, c'est à la fois préoccupant et encourageant car il dispose d'une grande réserve de voix. À condition de parvenir à mobiliser ses anciens électeurs, en quelques jours...
Le PS est d'ailleurs (et de loin) le parti qui a perdu le plus de voix depuis les précédents scrutins. L'UMP Charles Demouge est certes éliminé, mais il n'a laissé en route "que" 2 500 voix depuis 2012 – il réunit tout de même beaucoup moins de voix que celle qui fut avant lui la candidate UMP, signe qu'il a du mal à rassembler sur son nom.
Bien qu'arrivé en tête, le FN perd lui aussi des voix, plus de 1 200 par rapport à 2012. D'ailleurs, si l'on regarde les chiffres des précédentes législatives dans cette circonscription en détail, il n'y a pas de percée du FN. Sophie Montel réunit en effet à peine plus de voix qu'aux législatives de 2002, une élection à laquelle elle était déjà candidate (8 382, contre 8 053). En 2007, Nicolas Sarkozy avait siphonné le score du FN : Sophie Montel ne réunit alors plus que 3 300 électeurs. Mais depuis 2012, le FN est passé devant l'UMP, et l'écart en voix ne cesse de se creuser.
Autre enseignement, important dans le contexte politique post-victoire de la gauche radicale en Grèce : la gauche hors PS ne progresse guère.
Le candidat du Front de gauche, Vincent Adami, issu d'une famille de militants communistes (son père a été plusieurs fois candidat à des élections, sa mère était la candidate Front de gauche aux législatives de 2012), espérait être la surprise de ce premier tour.
À la tête d'une liste soutenue par le NPA et les chevènementistes, il avait reçu il y a quelques jours le très officiel soutien d'un député européen de Syriza, parti qui est sorti vainqueur des élections grecques la semaine dernière. Il ne réalise finalement que 3,66 % des voix (contre 3,11 % il y a deux ans), et perd 300 de ses 1 200 voix d'alors. Dans une circonscription très difficile, l'écologiste Bernard Lachambre progresse légèrement en suffrages exprimés, et conserve son socle de 800 électeurs.
Dimanche soir, le candidat EELV, dénonçant la « cassure qui existe entre les citoyens et le monde politique », a appelé à voter pour le candidat PS. Le candidat Front de gauche, que nous n'avons pas réussi à joindre dimanche soir, avait assuré à Mediapart qu'il ferait de même si l'hypothèse se présentait. Mais cela ne signifie pas que leurs électorats suivront. « Environ les 2/3 des électeurs EELV ou du Front de gauche ne se reporteront pas sur le PS », assure Bernard Lachambre, pour qui le PS est « loin d'avoir gagné ». Mathématiquement, c'est en effet le FN, arrivé en tête, qui dispose de la dynamique électorale la plus favorable.
Frédéric Barbier a donc appelé dès dimanche à « mener la bataille au deuxième tour contre le Front national », évoquant sur les chaînes d'info en direct le fameux « esprit du 11 janvier » post-attentats sur lequel l'exécutif tente de surfer ces temps-ci, avec un certain succès.
« Après l'unité nationale (...) de toutes celles et ceux qui se sont retrouvés le 11 janvier, j'en appelle à ce que cette unité ne soit pas brisée », a dit Barbier, enjoignant à lutter « contre tous les extrêmes, religieux et politiques ». « J'en appelle à ce grand rassemblement des démocrates, des républicains, des hommes et des femmes de progrès (...) pour faire obstacle au FN. Les Français attendent cela dans les moments très particuliers comme ceux que nous avons vécus. »
Sur Twitter, Manuel Valls, que cette non-élimination au premier tour conforte, a félicité le candidat socialiste, « le candidat de tous les républicains » selon lui. « Tous les républicains doivent se rassembler au second tour autour de Frédéric Barbier », a lui aussi twitté Pierre Moscovici, sortant exceptionnellement de sa réserve de commissaire européen.
De son côté, le candidat UMP Charles Demouge est resté obstinément silencieux dimanche soir. Même s'il affichait durant la campagne des mots d'ordre proches de ceux du FN en matière sécuritaire, il a sans doute payé quelques déclarations très critiquées dans l'électorat de droite. Sur BFM-TV, il avait ainsi assuré que dans sa ville, « c'est les petits blonds qui m'emmerdent et pas les gens qui viennent de l'immigration ». Ces propos, également tenus à Mediapart lors de notre visite, étaient une façon de remettre en cause les « amalgames du FN » sur l'immigration, dont ce professeur de mathématiques à la retraite tenait absolument à se démarquer après les attentats. Abondamment relayés sur les réseaux sociaux, utilisés comme argument de campagne par l'extrême droite, ils ont de toute évidence contribué à le décrédibiliser auprès de la droite dure.
Dimanche soir, l'UMP a également gardé le silence sur la défaite du Doubs, préférant mettre le projecteur sur la victoire à la municipale d'Ajaccio de l'UMP Laurent Marcangeli. Nicolas Sarkozy avait prévu de faire le déplacement après le premier tour, il n'en est évidemment plus question. Plusieurs dirigeants du parti, dont la ligne officielle est désormais le "ni-ni" (ni PS, ni FN), ont déjà confirmé à Mediapart que l'UMP ne devrait appeler à voter pour aucun des deux candidats. Pas question en effet d'appeler à un quelconque front républicain, surtout pas dans la perspective de primaires UMP où tous les candidats vont chercher à se droitiser pour ravir les suffrages des militants. Très minoritaire pour l'heure, l'ancien ministre UMP Dominique Bussereau a toutefois appelé à voter PS, comme le président de l'UDI centriste, Jean-Christophe Lagarde.
BOITE NOIREMa consœur Ellen Salvi a contribué à cet article.
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