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Un journaliste interpellé au petit matin pour diffamation

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Un journaliste détenu aux Baumettes pour une simple affaire de diffamation dans un petit journal satirique, ça fait très mauvais genre. C’est pourtant ce qui a failli arriver à Nicolas Bérard, ex-directeur de publication du journal réunionnais Le Tangue, réveillé jeudi 29 janvier 2015 à son domicile d’Allauch par deux policiers marseillais. Précisons que Nicolas Bérard est un collaborateur occasionnel de Mediapart.

Suite à un portrait au vitriol paru en avril 2013 dans Le Tangue, Jacques Tillier, ancien PDG du Journal de l’île de la Réunion, avait déposé plainte avec constitution de partie civile pour diffamation et injure. Le Tangue, qui tirait à un petit millier d'exemplaires, a fermé boutique en mai 2014 après vingt numéros. Mais la procédure, elle, court toujours. Elle est même prise très au sérieux par la vice-présidente chargée de l’instruction au tribunal de Saint-Denis (La Réunion), Françoise Pétureaux, qui a récemment hérité du dossier. Comme l'a révélé Le Journal de l'île de la Réunion, la juge d'instruction a délivré le 3 décembre 2014 un mandat d’amener contre Nicolas Bérard afin de l’interroger à La Réunion. Cette procédure est légale mais extrêmement rare en matière de délits de presse.

Trois jours avant l’expiration du mandat d’amener, deux policiers marseillais de la brigade des recherches et mandats ont donc sonné jeudi matin vers 7 h 30 chez Nicolas Bérard. « Ils m’ont réveillé devant ma femme et ma fille et m’ont embarqué dans leurs bureaux, puis dans les cellules au rez-de-chaussée du tribunal de grande instance de Marseille », raconte le journaliste. Il précise que les policiers « très corrects » ne l’ont pas menotté. « Eux-mêmes n'en revenaient pas, explique Nicolas Bérard. Ils m’ont dit : "On ne va pas vous envoyer à La Réunion pour ça, alors qu'on n’a même pas de quoi s’acheter des stylos !" Leurs locaux étaient tout pourris et ils n’avaient même plus d’encre pour l’imprimante. » 

La loi prévoit un délai de six jours maximum pour le transfèrement d'une personne mise en cause vers un département d'outre-mer afin d'être entendue par un juge d'instruction. Un temps que le journaliste risquait fort de passer aux Baumettes, en attendant que la justice lui trouve une place dans un avion vers l’île. La juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Marseille a finalement décidé de le relâcher dans l’après-midi de jeudi. « Vers 15 h 30, les policiers m’ont sorti de cellule et emmené menotté dans son bureau, explique Nicolas Bérard. La juge m’a dit qu’elle ne voulait pas prendre de mesures de rétention pour un délit de presse et que, ne serait-ce que pour la bonne gestion des deniers publics, elle ne se voyait pas m’envoyer aux Baumettes, puis me trouver un billet pour La Réunion (ainsi que pour les policiers censés l'escorter, ndlr). »

Fin 2014, le journaliste avait manqué une convocation, cette fois au tribunal de grande instance de Marseille. « C’était en novembre, je partais en reportage pour cinq jours et quand j’ai ouvert l’enveloppe à mon retour, le rendez-vous était déjà passé, dit-il. J’ai écrit une lettre au tribunal, mais je n'étais pas inquiet : je pensais être reconvoqué. J'ai déjà été poursuivi plusieurs fois pour diffamation et je me suis toujours présenté aux convocations. »

Les interpellations en matière de diffamation sont exceptionnelles. Le procureur de la République de Saint-Denis n'était pas joignable ce vendredi 30 janvier. Son adjointe, arrivée depuis moins d’un mois, n’a jamais suivi cette affaire. « Toute personne convoquée devant un juge doit comparaître et s'il ne le fait pas le juge peut délivrer mandat d'amener, voire mandat d'arrêt, rappelle toutefois le parquet de Saint-Denis, sans se prononcer sur le fond du dossier. Les affaires de diffamations ont des aspects particuliers certes, mais le juge est bien obligé d'entendre les parties concernées d'une manière ou d'une autre pour vider sa saisine, dans le cas contraire on pourrait lui reprocher de ne pas avoir utilisé les moyens juridiques à sa disposition pour le faire. »

« Pour un délit de presse non puni d’emprisonnement, le recours à un mandat d’amener, qui implique forcément un placement en détention du fait de la distance avec la métropole, est légal mais paraît complètement disproportionné, réagit Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. C’est d’ailleurs ce qui avait été jugé en 2009 par la cour d’appel de Paris dans l’affaire Vittorio de Filippis. » En novembre 2008, Vittorio de Filippis, l'ancien directeur de la publication du journal Libération, avait été interpellé chez lui pour diffamation publique envers Xavier Niel, fondateur du fournisseur d'accès internet Free.

L'affaire avait provoqué l'indignation dans les médias et la classe politique. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris avait ensuite annulé son mandat d’amener et sa mise en examen, jugeant que les conditions de son interpellation au petit matin n'étaient pas « proportionnées à la gravité de l'infraction ». « L'interrogatoire immédiat de Vittorio de Filippis par le juge d'instruction ne s'imposait pas pour les nécessités de la procédure », avait-elle tranché. Dans ce genre de cas, « le juge d'instruction peut demander par commission rogatoire à un autre juge d'interroger la personne à sa place, sans transfèrement », explique Laurence Blisson. Une solution nettement moins coûteuse et liberticide.

BOITE NOIRENicolas Bérard a publié plusieurs articles dans Mediapart, dont certains écrits à quatre mains avec ma pomme.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Citizen Four


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