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Secret des affaires: les dessous du retrait du texte

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L’amendement sur le secret des affaires n’a pas tenu une semaine. Vendredi, le gouvernement a annoncé le retrait de ce texte, glissé subrepticement dans la loi Macron. La décision d’enterrer, au moins provisoirement, la proposition de loi a été prise jeudi dans la soirée.

Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, finalement convaincu que ce texte posait de nombreuses incertitudes juridiques et n’était pas amendable en l’état, souhaitait son retrait. François Hollande s’est rallié à cette position, estimant, selon des propos rapportés par Le Monde, qu’il « n’était ni opportun ni judicieux » de maintenir le projet. Le premier ministre, Manuel Valls, qui avait soutenu l’inscription dans la loi Macron de la proposition de loi sur le secret des affaires, chère au président de la commission des lois à l’Assemblée, son ami Jean-Jacques Urvoas, a lui aussi fait donner son accord au retrait.

Emmanuel Macron à l'assemblée nationale, le 26 janvierEmmanuel Macron à l'assemblée nationale, le 26 janvier © Reuters

Dès le vendredi matin, le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Bruno Le Roux, actait le retrait du texte. « Le moment n’est pas venu », expliquait-il. De son côté, le député Richard Ferrand, rapporteur de la commission spéciale sur la loi Macron, et qui avait présenté l’amendement sur le secret des affaires en son seul nom, agissant, semble-t-il, en place de Jean-Jacques Urvoas, a acté la décision gouvernementale. « J’ai la conviction que la liberté des journalistes et l’action des lanceurs d’alerte n’étaient en rien entravées par ce projet. Mais pour éviter les angoisses inutiles et les procès d’intention, je vais déposer un amendement de suppression de cette partie du texte », a-t-il déclaré.

La réaction rapide du gouvernement est à la mesure de sa surprise et de son embarras. Personne n’avait prévu que l’amendement sur le secret des affaires, introduit par surprise dans la loi Macron samedi 24 janvier, allait provoquer une telle fronde dans la presse. En moins de quarante-huit heures, un collectif réunissant des journalistes de tous horizons s’est formé pour lancer un texte « Informer n’est pas un délit », dénonçant les dangers que faisait courir cette proposition de loi pour le droit à l’information et la protection des lanceurs d’alerte. Ce texte a été signé par la quasi-totalité des rédactions de journaux, radios, télévisions, sociétés de programmes. La pétition mise en ligne mercredi 28 janvier a recueilli en à peine deux jours plus de 14 000 signatures.

Cet épisode, en tout cas, en dit long, sur la manière dont est faite la loi en France. Déclinant son thème favori « j’aime l’entreprise », Manuel Valls a soutenu une proposition de loi, sans y regarder de plus près. Les lobbies patronaux le demandaient, cela suffisait. Personne, semble-t-il, n’avait vraiment évalué l’insécurité juridique créée par ce texte pour le droit à l’information, en dépit des assurances données ici ou là. Personne n’avait regardé les répercussions que cela pouvait avoir sur d’autres textes. La ministre de la culture, Fleur Pellerin, normalement chargée de la presse, tout comme la ministre de la justice, Christiane Taubira, chargée de préparer un texte sur la protection des sources, ont brillé par leur absence, tout au long de cette séquence.

Ce retrait marque aussi un nouvel épisode de cette cohabitation qui ne dit pas son nom au sommet du pouvoir entre François Hollande et Manuel Valls. Dans la guérilla du pouvoir à laquelle se livrent les deux hommes, chaque point compte. Le président de la République n’est pas mécontent du retrait d’un texte imposé par le premier ministre, allié à son ami Jean-Jacques Urvoas. D’autant que cet amendement jetait une curieuse ombre sur les déclarations enfiévrées de François Hollande et du gouvernement, sur leur attachement à la liberté d’expression, juste après les attentats de Charlie Hebdo, comme sur les engagements, répétés encore la semaine, sur la transparence et la protection des sources.

Il a été aidé dans cette affaire par Emmanuel Macron, qui, n’ayant aucun plaisir à voir pourrir sa loi avec cet amendement, a joué avec habileté la partie pour en détruire la charge explosive.

Dès le début de la semaine, alors que le texte sur le secret des affaires commence à mettre en ébullition la presse, le ministre de l’économie faisait savoir qu’il n’était pas à l’initiative de cet amendement, qu’il y était même opposé. Emmanuel Macron racontait alors à de nombreux interlocuteurs — dans l’espoir certain que cela soit rapporté — que le premier ministre lui avait demandé par texto le samedi de ne pas s’opposer à l’amendement sur le secret des affaires, au nom de la solidarité gouvernementale. Le ministre de l’économie avait obtempéré, mais faisait savoir tout le mal qu’il pensait de cet amendement « qui n’était pas dans la philosophie de sa loi ». « Mais on ne gagne pas tous les arbitrages gouvernementaux », concluait-il.

Après la publication de la tribune « informer n’est pas un délit » mercredi dans Le Monde et sur Mediapart, Emmanuel Macron reprenait l’initiative. Il assurait par tweet « qu’il n’était pas question de réduire en quoi que ce soit la liberté de la presse »« qu’il ne s’agissait  pas de mettre en cause ceux qu’on appelle les lanceurs d’alerte ». Il invitait dans la foulée des membres du collectif de journalistes à venir le rencontrer le lendemain pour examiner avec eux les problèmes que pose ce texte et les améliorations qui pouvaient y être apportées. Le cabinet du ministre de l’économie a déjà commencé à regarder le texte de plus près : il a ainsi repéré de nombreux manques et failles pour assurer la sécurité juridique des journalistes. Des députés avaient pourtant affirmé que ce texte ne comportait aucun risque. 

À ce moment-là, le ministre comme le gouvernement pensent encore que quelques amendements peuvent suffire pour calmer la fronde des journalistes. « Je suis prêt à faire tous les amendements nécessaires », assure alors Jean-Jacques Urvoas. C’est dans cet état d’esprit que le ministre de l’économie présente ses vœux à la presse jeudi matin. Il évoque quatre amendements visant à garantir « la liberté de la presse, la liberté d'information, la liberté d'investigation ». Le premier doit laisser aux sociétés le soin de « classifier elles-mêmes les secrets à protéger », le deuxième ne rendra pas les salariés, donc les syndicats, responsables. Le troisième prévoit que la responsabilité des lanceurs d'alerte ne pourra pas être retenue et le dernier que le délit créé ne sera « pas applicable dès lors qu'il s'agit de liberté d'expression et d'information », c'est-à-dire, « pas applicable aux journalistes ».

Le cadre semble alors être posé pour la rencontre qui suit avec le collectif représenté, entre autres, par Laurent Richard (Premières lignes), Fabrice Arfi (Mediapart) et Virginie Marquet, avocate spécialisée en droit de la presse. Le ministre est avec son directeur de cabinet, Alexis Kohler, son conseiller juridique, Xavier Hubert, et sa responsable de communication, Anne Descamps.

Le ministre évoque alors les améliorations possibles du texte. On parle d’amendements à l’amendement. Le collectif fait valoir que les amendements ne résolvent pas les problèmes posés par ce texte, l’insécurité juridique qui pèse sur les journalistes, le manque de protection des sources.

« Vous n’avez pas un amendement magique », demande alors un membre du cabinet. Un amendement qui pourrait résoudre tous les problèmes et que le gouvernement pourrait reprendre tel quel, en quelque sorte. Ce qui en dit long sur la manière dont s'écrit la loi aujourd'hui. « Nous leur avons alors expliqué qu’on n’allait pas, à cinq, réécrire le droit de la presse sur le coin d’une table. Pour discuter tranquillement, il fallait d’abord retirer le texte et ensuite avoir une concertation pluraliste et contradictoire qui n'avait pas eu lieu », raconte Fabrice Arfi. « Je vous donne le point. La concertation n’a pas eu lieu. Ce n’est pas ma méthode », rétorqua alors Emmanuel Macron.

« Au bout de dix minutes, il a posé son stylo, et nous a écoutés. Nous l’avons convaincu que le retrait du texte sur le secret des affaires était la seule solution », poursuit Laurent Richard. Trois arguments paraissent l’avoir convaincu : l’absence de concertation sur un texte aussi important, l’absence de sécurité juridique pour la presse et la protection des sources, enfin la menace de sanctions pénales qui pèse sur les journalistes et les sources, et peut devenir une arme de dissuasion à l’information.

Avant qu’ils ne quittent Bercy, le ministre de l’économie a assuré aux membres du collectif qu’il demanderait le retrait du texte, seule solution possible à ses yeux. Mais il faut l’accord de l’Élysée. Emmanuel Macron a su vite trouver les arguments pour convaincre le président de la République. À 20 heures, le retrait était acté.

Le gouvernement paraît avoir déjà une autre solution en tête. Il pense retravailler en parallèle un texte sur le secret des affaires et un autre sur le secret des sources, promis par François Hollande lors de sa campagne présidentielle de 2012. Les deux textes pourraient même être réunis dans un même projet de loi.

« On pourra faire mille amendements que cela ne changera pas la nature du problème. Si le parlement n’arrive pas à légiférer sur le secret des affaires, c’est que personne ne sait le définir. On ne sait pas ce que c’est, quel champ est concerné. Il faut changer la nature du projet et renverser la charge de la preuve. Les entreprises ont des intérêts économiques à protéger. Mais elles doivent dire lesquels et les justifier », explique Virginie Marquet, qui a tenu la même démonstration auprès du ministre.

Ce sujet est au cœur du débat. Les entreprises disent avoir besoin du secret des affaires. Mais elles ne s’expliquent jamais ouvertement et publiquement. De quoi ont-elles besoin exactement ? Il existe déjà des lois pour condamner l’espionnage industriel, le vol, les infractions dans les systèmes informatiques, la contrefaçon, etc. Il existe des textes pour protéger la propriété intellectuelle, les brevets, les savoir-faire, les techniques. Où sont les manques ? Lors d’une émission sur France Culture, Floran Vadillo, un des rédacteurs du texte sur le secret des affaires au cabinet de Jean-Jacques Urvoas, parlait d’une loi « interstitielle ». Une loi censée couvrir tout ce qui n’est pas couvert par ailleurs. Une couverture large, voire illimitée : relève du secret des affaires, tout ce qui n’est pas public.

Cette définition ouvre un champ gigantesque à l’arbitraire des entreprises et la justice. C’est l’entreprise qui définit les informations qu’il convient ou non de publier. Ce sont les tribunaux qui déterminent s’il est légitime ou non de les publier ou même qui peuvent les arrêter avant la publication. Un tel flou continue de laisser planer de lourdes menaces sur le droit de l’information et la liberté d’expression. Plus qu’un ravaudage, c’est une réécriture complète du texte du secret des affaires qui s’impose tant au niveau français qu’européen. 

BOITE NOIREIl est inhabituel que des journalistes interrogent d'autres journalistes, de leur rédaction qui plus est, sur un sujet. Encore plus inhabituel d'écrire en étant en même temps totalement partie prenante, en tant que membre du collectif de journalistes contre le texte du secret des affaires. Bref, le mélange des genres, que nous condamnons normalement, est total. Mais cette fois, je l'assume.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Citizen Four


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