À première vue, un événement chasse l’autre. Pendant les fêtes de fin d’année, il n’était question que de ces deux bateaux, le Blue-Sky M et l’Ezzadine, abandonnés en pleine mer avec des centaines de réfugiés à bord.
Puis sont survenus les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, puis la réaction des Français descendus dans la rue le 11 janvier.
Depuis lors, la question des migrants a disparu de l’actualité, mais hélas pas du quotidien. C’est que ces deux « séquences », l’exode des réfugiés et la pulsion terroriste de certains jeunes Français, prospèrent sur un même terreau. Les premiers fuient les guerres de Syrie, d’Érythrée, d’Irak, d’Afghanistan, ou le chaos libyen, les seconds vont y faire le « djihad ».
En 2014, pour la première fois, le nombre de réfugiés fuyant la guerre a dépassé celui des migrants chassés de leur pays par la pauvreté. Cette population au nombre exponentiel est en droit de s’adresser à l’OFPRA, d’autant que la France est présente, voire en première ligne, sur les fronts de guerre qui jettent ces millions de personnes à la mer.
Or la France accorde beaucoup moins de visas que l’Allemagne ou la Suède. Réponse de Pascal Brice : « Je ne crois pas que la politique des visas fasse que le plus grand nombre de Syriens aille en Allemagne ou en Suède… Il y a d’abord la présence de communautés importantes dans ces deux pays. Il y a aussi la situation de l’emploi, en Allemagne notamment. Il y a enfin le discours des passeurs qui leur présentent l’Europe du Nord comme beaucoup plus accueillante… »
Pascal Brice admet pourtant que la modestie de la réponse française s’explique aussi par des blocages intérieurs : « Depuis trop longtemps, et encore aujourd’hui, les délais d’attente pour obtenir le statut de réfugiés en France sont trop longs. »
D’où la réforme de l’Office engagée depuis quelques mois, au lendemain de sa nomination. Depuis deux ans, le taux d’acceptation des dossiers est passé de 9 % à 17 %.
Trois mille Syriens ont été « protégés ». « Évidemment, c’est très peu par rapport aux trois millions qui ont été déplacés, admet le directeur-général, mais il faut prendre la mesure des choses. »
La « mesure des choses » cache une triple pression. Celle de la réalité, visible sur la Méditerranée qui devient un grand cimetière, mais qui s’étale aussi dans les rues de France, où des enfants dorment dans la rue : « C’est une situation insupportable, qui relève de la difficulté dans laquelle se trouve le système de l’asile en France. Les demandes d’asile ont doublé depuis 2007 ! »
Ce qui renvoie à la deuxième pression, celle des capacités d’accueil : « Tout le système dysfonctionne. La preuve : les délais d’attente sont tout à fait considérables. Vingt mois en moyenne pour un demandeur d’asile, et la conséquence se vit sur le plan de l’hébergement, notamment pour les mineurs. »
La troisième pression est celle du contexte politique, Pascal Brice ne le dira pas directement dans l’entretien. Mais dans un pays tenté par le vote de rejet, qui a voté massivement aux Européennes pour le Front national, et où un maire de grande ville, ancien ministre, Christian Estrosi, propose ni plus ni moins de renvoyer les réfugiés dans leur pays en guerre, l’action d’accueil et de protection des migrants n’est pas simple à défendre, et à améliorer.
Pascal Brice répond pourtant entre les lignes. D’abord en soulignant que son office est « strictement indépendant », ensuite en commentant les propos de la maire de Lampeduza, Giusi Nicolini, qui dénonce « un holocauste moderne en Méditerranée ». « Ce sentiment là, il est souvent le nôtre, dit l’invité de Mediapart. Nous sommes dans des situations de drame absolu, et donc il faut que ça change. Mais ne soyons pas dans l’excès. Un excès qui pourrait alimenter les fantasmes. C’est vrai que l’Europe doit faire plus. Mais l’excès serait de donner à croire qu’il y a des vagues de migrants qui viennent submerger l’Europe. Ça, c’est un fantasme, et ça, c’est dangereux. La réalité, c’est que les déplacements de population augmentent, dans des proportions dramatiques et insupportables, et que chacun doit prendre ses responsabilités. »
Ainsi va Pascal Brice. Il admet la démesure de la tâche, et la modestie de la réponse française, européenne et internationale, mais il refuse de parler d’indifférence. Lui parle-t-on de « goutte d'eau dans la mer » quand il évoque l’accueil de cinq cents Palestiniens venus de Syrie ? Il répond sans sourciller : « C’était une goutte d’eau peut-être, mais c’était d’abord des Palestiniens, et une fierté pour la République. »
« C’est très peu, insiste Mediapart.
— Nous sommes d’accord, répond le directeur-général. C’est pour ça que je parlais de cette disproportion terrible entre les trois millions de déplacés et ce que nous pouvons faire. »
Pascal Brice, ou la foi d’un charbonnier lucide...
En ce début 2015, dans le silence médiatique, d’autres bateaux arrivent chaque jour.
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