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Procès Bettencourt : Banier en artiste maudit

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Bordeaux, de notre envoyé spécial.- François-Marie Banier est un incompris. Ce vieux jeune homme de 67 ans, l’œil malicieux et le dos bien droit, aimerait tellement ne parler que d’art et de littérature. Les « 3 000 à 3 500 photos par mois » qu’il prend dans les rues. Son premier roman, publié à 22 ans. Sa pièce de théâtre, jamais jouée. Ses photos peintes, ses toiles. Ses livres anciens. Costume de bonne coupe, les mains dans le dos, à la barre du tribunal correctionnel de Bordeaux, ce mercredi, il passe la journée à expliquer ce qu’est sa vie tumultueuse et passionnée à ces magistrats si différents de lui, et dans le cadre très contraint d’un « interrogatoire de personnalité », cela avant d’examiner les délits qui lui sont reprochés – le tribunal ayant joint au fond (comme prévu) tous les incidents de procédure plaidés la veille.

Né en 1947 « dans un milieu bourgeois » , avec un père « sévère » et « violent » à qui il a « pardonné », François-Marie Banier ne vit que pour la culture, « le monde des formes et celui des mots », mais s’entiche très jeune de célébrités comme Françoise Giroud ou Louis Aragon. Déjà... Sentant venir des questions gênantes, il s’empresse de préciser qu’il a fait des petits boulots. « J’ai mené la vie d’un ouvrier, pas celle d’un dandy ou d’un petit marquis », assure Banier. Même s’il vivait alors avec ses parents avenue Victor-Hugo, dans le très chic XVIe arrondissement de Paris, remarque le président du tribunal.

François-Marie Banier au tribunal de BordeauxFrançois-Marie Banier au tribunal de Bordeaux © Reuters

Le virevoltant François-Marie va multiplier les fréquentations et enchaîner les employeurs. Il entre « comme attaché de presse chez Pierre Cardin ». Fréquente les Lazareff, puis les Bettencourt, Yves Saint Laurent, Pierre Bergé... « J’ai inventé des noms de parfums qui m’ont procuré des royalties, et j’ai pu acheter une maison. Mais je n’ai jamais arrêté d’écrire ni de photographier », déclare-t-il.

Sa carrière et sa fortune ne décollent pourtant qu’en 1987, grâce aux Bettencourt. « J’ai eu 50 expositions dans le monde entier », raconte fièrement le photographe, dont la société personnelle était liée par contrat avec L’Oréal jusqu’à ce que l’affaire éclate. « Je ne sais pas si cette société existe encore, je n’entends rien à ce genre de choses », élude Banier. La dite société encaissait pourtant jusqu’à 400 000 euros par an, à son seul profit ou presque.

Bien préparé à ce qui l’attend au tribunal, le photographe préféré de Liliane Bettencourt assure – étonnamment – qu’il doit sa première exposition publique à « un amateur, une petite dame de Stuttgart ». Quant aux chiffres, il jure que ce n’est pas sa tasse de thé. « Je suis très pagaille », lâche-t-il. Pourquoi le géant L’Oréal a fait appel à ses services comme « conseil » auprès du PDG ? « J’ai un passé très proche du cosmétique », répond Banier sans se démonter.

Cet artiste si sensible fait mine d’ignorer l’étendue exacte de sa fortune. Le président lui lit donc sa déclaration d’ISF de 2011. Un patrimoine immobilier de 11 millions d’euros, situé dans le quartier de l’Odéon, où il possède 1 100 mètres carrés. Encore 5 millions d’euros de SCI détenues avec des proches. Un local commercial à Paris. Deux riads à Marrakech. Une propriété dans le Gard. Des centaines d’œuvres d’art, et 300 toiles dans des coffres-forts. « On peut avoir 300 œuvres et n’en montrer qu’une », se justifie Banier, collectionneur « depuis 1969 ». « On peut changer, les redécouvrir, c’est ça qui les fait vivre. Je ne me vois pas les accrocher chez moi les unes sur les autres. Et puis j’en prête pour des expositions. » Le tribunal prend note, impassible.

Interrogé sur ses relations avec André (décédé fin 2007) et Liliane Bettencourt, François-Marie Banier raconte les voyages à travers le monde, les sorties au théâtre et au restaurant, les vacances en maillot de bain. Une vie de magazine sur papier glacé.

Il prend bien soin de peindre l’héritière L’Oréal en grande dame en pleine possession de ses moyens. « Vous savez très bien que Madame Bettencourt avait toute sa tête, et qu’elle n’était pas le personnage risible qu’on en a fait pour des raisons de succession », jure Banier. « L’argent, ça lui faisait plaisir de le donner, elle l’a dit. » Banier assure qu’il n’en avait pas besoin. « Elle m’a dit : j’ai les moyens. Contentez-vous faire de la photo et d’écrire, ne vous occupez pas de vendre. » L’insouciant Banier aurait donc obéi, et non pas abusé, si l’on croit cette présentation de l’histoire.

Quand les questions se font insistantes, sur sa curieuse attirance pour des milliardaires âgés comme les Bettencourt, Banier se défend maladroitement d’un : « Ils se sont autant insinués dans ma vie que moi dans la leur. » Façon de dire qu’il apportait joie, gaîté et insouciance à ces personnes si convenables et un peu seules. Presque une bonne action, en somme.

Le souci, avec les 35 tomes et les milliers de procès-verbaux de cette affaire d’abus de faiblesse et de blanchiment, c’est qu’ils recèlent des choses plus que gênantes pour l’esthète désintéressé que voudrait être Banier. Le président du tribunal lit ainsi un témoignage effrayant, livré en 2009 par le petit-fils de Madeleine Castaing, célèbre antiquaire et décoratrice décédée en 1992.

Banier y est accusé de s’être imposé chez la vieille dame au point d’y venir tous les jours avec Martin d’Orgeval, de s’être rendu indispensable, avant de commencer à la maltraiter, lui arrachant un jour sa perruque, urinant une autre fois dans ses tasses.

Banier est même dénoncé pour l’avoir poussée dans l’escalier, fracture et hospitalisation à la clef. Il est aussi soupçonné par le petit-fils Castaing dans la disparition mystérieuse de correspondances de sa grand-mère avec le peintre Soutine. « C’est scandaleux ! » répond Banier. Mensonges, selon lui. Il dit – au contraire – avoir aidé la vieille dame, et même pistonné le petit-fils auprès d’un éditeur. Les avocats du photographe s’indignent, eux aussi, et indiquent que ces propos, reproduits dans la presse, ont fait l’objet d’une condamnation pour diffamation. Dont acte.

Mais voilà, François-Marie Banier semble être victime d’un sortilège maléfique, d‘une obscure malédiction qui attire vers lui tous les voleurs, les menteurs et les pervers que porte la Terre. Car d’anciens employés de maison (il en a 7 ou 8, il ne sait plus) l’accusent de les avoir maltraités, passant sans cesse de la séduction à l’humiliation, et de la familiarité aux corvées.

Un ancien cuisinier a témoigné sur procès-verbal, qui décrit son ex-patron en pervers narcissique, ou en despote caractériel. « Ce sont des histoires inventées ! Je suis odieux parfois, c’est vrai, mais je ne peux pas avoir ce non-respect des gens », proteste Banier. C’est son accusateur qui a eu des fantasmes, à coup sûr. « Ce sont des gens qui sont fous, des dingues ! » retourne-t-il en direction de ses contempteurs.

Une autre employée de maison le décrit-elle en homme méchant, grossier, qui aimait l’humilier, lui parlait comme à un chien puis la cajolait dans la minute suivante ? Mensonges. Proférés par une employée qui le volait, de surcroît. « Vous avez lu Les Bonnes de Jean Genet, et Le Journal d’une femme de chambre, d’Octave Mirbeau… C’est une rébellion qu’il y a dans beaucoup de maisons », souffle Banier, l’air résigné. « Les bavardages et les mensonges des personnels de maison... c’est une folie furieuse. »

Le photographe se voit en artiste qui souffre, qui travaille sans cesse, surtout pas en affairiste mondain ni en aigrefin. « Je ne suis pas un enfant gâté », « je ne suis pas un dandy », proteste-t-il. Des amis comme la chanteuse Vanessa Paradis ou l’homme d’affaires Pierre Bergé ont adressé des attestations écrites au tribunal, pour dire tout le bien qu’ils pensent de cet homme. Banier « s’est toujours comporté avec Yves Saint Laurent d’une manière respectueuse et admirative », écrit ainsi Pierre Bergé. La mère de Vanessa Paradis, elle, est venue témoigner, dire que Banier est un « être adorable, gentil et calme », qui « adore les enfants de sa fille ». L’homme de théâtre Jean-Michel Ribes est là, lui aussi, pour défendre la fantaisie, « qui nous fait respirer ». « La notion d’artiste, c’est une aide à vivre », souffle Ribes, qui loue la « drôlerie » du camarade Banier.

Gâchant quelque peu ces touchantes déclarations, le président du tribunal lit des extraits des carnets du photographe, qui montrent son grand intérêt pour les modalités et le montant des dons que lui faisait Liliane Bettencourt. Quant à Pierre Bergé, Banier a écrit « le nain Bergé ».
« Pourquoi écrire cela ? demande le président.
On l’a bien dit de M. Sarkozy ! répond Banier.
Il n’est plus dans le dossier », remarque le président. (Fous rires dans la salle.)

« Je suis dans la lune pour les chiffres », déclare Banier en réponse à une question sur un don d’un million d’euros. Pendant une suspension de séance, un avocat estime qu’il lui reste environ 173 millions d’euros sur les 414 millions que la justice lui reproche d’avoir reçus de Liliane Bettencourt ; le photographe ayant dû, face au scandale, renoncer à des assurances-vie dont la milliardaire l’avait fait le bénéficiaire. Des faits qui seront examinés par le tribunal dans les semaines qui viennent.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Liberté, éga… oups!


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