« Les notaires se sentent stigmatisés. » Nora Berra, l’ancienne secrétaire d’État de Nicolas Sarkozy, fraîchement nommée secrétaire nationale de l’UMP en charge des professions libérales, n’a pas de mots assez durs pour dénoncer ce qu’elle qualifie de « loi Canada dry ». « Emmanuel Macron avait besoin de boucs émissaires pour donner des gages à sa gauche, il a choisi les professions réglementées. » Ces dernières ont beau ne concerner qu’une vingtaine d’articles de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, actuellement examinée à l’Assemblée nationale, elles cristallisent tout de même les principales critiques de la droite.
« Franchement, si vous enlevez les professions réglementées, le reste du texte, c’est no comment, souligne un député UMP qui votera pourtant contre. Si l’exécutif veut nous tendre un piège, ils n’ont qu’à lever le pied sur ce volet de la loi. Nous n’aurions alors aucune raison tangible de nous y opposer. On serait obligé de la voter. » À quelques exceptions près (comme Hervé Mariton et Frédéric Lefebvre qui voient-là une réforme que la droite aurait pu mener), la majorité des élus UMP ont pour l’heure affiché leur opposition au texte, suivant ainsi les directives données par Nicolas Sarkozy en réunion de groupe dès le mois de décembre, bien avant que ne débutent les travaux de la commission spéciale.
Dans les rangs de l'opposition, tous les prétextes sont bons pour justifier de voter contre ce projet de loi d’inspiration sociale-libérale. « Plus de 200 articles, on se fout de nous ! » s’agace le patron des députés UMP, Christian Jacob. « C’est une mystification, dénonce encore le député du Pas-de-Calais et nouveau trésorier du parti, Daniel Fasquelle. La loi Macron n’est rien d’autre qu’une opération de communication du ministre. » Depuis plusieurs semaines, les élus de l'opposition reprennent en boucle les arguments des responsables des professions réglementées, qui accusent le projet de loi Macron de tous les maux. C’est surtout les articles sur la liberté d’installation et la réforme des tarifs qui posent problème. Selon les notaires, la nouvelle tarification pourrait provoquer une baisse de leur chiffre d’affaires de près de 20 % et causer la perte de 10 000 emplois. Aucune étude ne vient cependant étayer ces chiffres.
Qu’importe si Nicolas Sarkozy avait lui-même souhaité, en 2007, lors de la mise en place de la commission Attali « pour la libération de la croissance », « supprimer les barrières qui existent dans différentes professions réglementées et mettre fin à des rentes de situation que rien ne justifie ». L'UMP n'est plus à un paradoxe près. Pour redevenir audible, elle a besoin de faire entendre une voix différente de celle du gouvernement. Et de donner des gages à un électorat majoritairement – et traditionnellement – acquis à la droite. Derrière les bonnes intentions, se cachent évidemment plusieurs calculs politiques. Car les prétendants aux primaires de 2016 savent pertinemment que ce scrutin se gagnera à droite. Qu’il s’agisse de Xavier Bertrand, de François Fillon ou encore d’Alain Juppé, nul ne peut aujourd’hui se permettre de laisser filer de futurs bulletins. Nicolas Sarkozy, lui-même, a d’ailleurs prévenu ses troupes à maintes reprises.
Après avoir rencontré, mi-décembre, les différents représentants des professions concernées par la loi Macron, le patron de l’opposition a multiplié les avertissements. « Il en parle à chaque réunion, rapporte un membre du bureau politique de l’UMP. Il nous dit que les professions réglementées sont hystériques et que nous devrions y réfléchir d’un point de vue électoral. » « Ce n’est pas une corporation que nous défendons, c’est un projet de société global, réfute pour sa part Nora Berra. Nos discussions ne vont pas s’arrêter à la loi Macron. Notre objectif, c’est 2017. Nous préparons l’avenir. » « François Fillon va se servir du texte pour faire passer son propre programme économique », explique encore le député de Paris, Jean-François Lamour, soutien de l’ancien premier ministre.
Pour gagner des points auprès des professions « attaquées » par la loi Macron, les parlementaires UMP ont prêté une oreille particulièrement attentive à leurs arguments. À commencer par ceux des notaires, qui se sont le plus mobilisés. Situé à deux rues de l’Assemblée nationale, place des Invalides, le conseil supérieur du notariat sait y faire avec les députés. Dans un message à destination de tous les notaires de France daté du 13 janvier, le président du conseil supérieur du notariat (CSN), Pierre-Luc Vogel, félicite ses confrères « pour les très nombreuses actions de lobbying auprès des parlementaires que vous avez su mener dans un délai très bref et en pleine période des fêtes de fin d’année. Nous en constatons l’impact positif sur les parlementaires que nous rencontrons à Paris ».
Les notaires n’y sont pas allés de main morte pour défendre leurs intérêts. Invitations à déjeuner, courriers envoyés à tous les maires de France, tweets menaçants, coups de pression par mail… « On a eu un pilonnage local et national des professions réglementées pendant des mois, explique le député UMP du Vaucluse, Julien Aubert. On est accusés, pris à partie. C’est d’autant plus agaçant que nous les défendons ! » Certaines études notariales sont même allées jusqu'à dresser la liste de leurs salariés, avec leur âge et celui de leurs enfants. « Nous n’entendons pas supporter le poids de la responsabilité d’une réforme menée sans aucune concertation avec le notariat, oubliant l’intérêt de l’ensemble des collaborateurs, insiste l’un de ces courriers auquel Mediapart a eu accès. Aussi nous vous demandons de bien vouloir nous retourner la liste ci-jointe après avoir barré quatre noms de la même main qui, sans trembler, aura voté cette loi. »
Selon les chiffres publiés par Libération, entre les deux manifestations du 17 septembre et du 10 décembre 2014, la mobilisation aura coûté 2 millions d’euros encaissés par Havas Event, filiale du groupe Havas Worldwide. Dans son courrier du 13 janvier, Pierre-Luc Vogel du CSN explique aussi la raison de l’absence des notaires à l’appel de la grande manifestation prévue le 22 janvier. Une semaines après les attentats de Paris, son mail revêt une tonalité particulière : « Nous avons jugé préférable de ne pas nous associer à la manifestation. Elle aurait été ressentie par l’opinion publique comme décalée au regard des événements que nous venons de vivre. La presse n’aurait pas manqué de le souligner. »
Lorsque les notaires ne défilent pas, ils font carrément le travail des parlementaires en leur rédigeant les amendements. France 2 a compté 383 amendements issus des offices notariaux, soit 12 % de l’ensemble du texte, et pas moins de 174 députés adeptes du “copié-collé”. À plusieurs reprises, leur travail a payé. En ce qui concerne par exemple le projet de libre installation des notaires, huissiers et commissaires priseurs judiciaires, le ministre de la justice « peut refuser une demande de création d’office » comme le stipule un amendement du rapporteur général Richard Ferrand. Mieux, « lorsque la création d’un office porte atteinte à la valeur patrimoniale d’un office antérieurement créé, le titulaire de ce dernier est indemnisé, à sa demande, par le titulaire du nouvel office dont la création a causé ce préjudice », de quoi décourager les jeunes notaires les plus fragiles financièrement.
Les notaires ne sont pas les seuls à défendre bec et ongles leur statut. Les experts-comptables, guère habitués à battre le pavé, prévoient aussi de monter au créneau en amont des débats dans l’hémicycle. Dans sa newsletter du 27 janvier, le club des jeunes experts-comptables relaie le message du Conseil supérieur de l'Ordre dans lequel les confrères sont invités à se « mobiliser fortement auprès des députés que vous connaîtriez (ceux de votre circonscription ou ceux pour qui vous établissez les comptes de campagne) afin qu’ils défendent le compromis conclu en commission spéciale ».
Le président de l’ordre national des experts-comptables, Joseph Zorgniotti, récuse le terme de « pression ». « Nous n’avons pas pris un organisme de lobbying. Personnellement, je suis très respectueux de la liberté des parlementaires, ce sont les principes de la démocratie. » Quant au fait de soumettre des amendements pré-rédigés aux députés, ce dernier s’en défend : « Nous n’avons jamais eu vocation à écrire des amendements. Je suis clair, la profession travaille avec son ministère de tutelle qui est Bercy, dans la concertation. Ce n’est rien de plus que ce qui est permis dans l’ordonnance de 45 qui stipule que le gouvernement consulte la profession. »
« Cela fait douze ans que je suis parlementaire et ça fait douze ans que ça fonctionne comme ça », affirme le député du Nord et porte-parole de l'UMP, Sébastien Huyghe, notaire de formation. « Que des associations de syndicats fassent des propositions, c’est la logique, à nous de faire la part des choses », précise-t-il, tout en confirmant être régulièrement invité par différents groupes de pression à des « déjeuners de travail qui n’ont rien de distrayant ». « C’est une démarche habituelle et je trouve qu’on a même été beaucoup moins sollicité que ce qu’on l’a été pendant la loi sur la transition énergétique ou alors là c’était open bar », déclare Jean-Frédéric Poisson, orateur du groupe UMP sur la loi Macron. « On ne peut pas reprocher aux députés d’être coupés du monde et les critiquer quand ils concertent les acteurs d’un dossier... », fait encore valoir le député de la Marne, Benoist Apparu.
Au parti, comme à l’Assemblée, les ténors de la droite entendent bien tirer profit du bras de fer qui oppose la gauche gouvernementale aux professions réglementées. « On n’aura pas besoin de hausser le ton, on va acheter des transats, des chapeaux de paille et on va regarder ce qu’il se passe dans le camp d’en face », ironise Jean-Frédéric Poisson. « Ils n’ont pas été entendus, argue Nora Berra. Ils ne comprennent pas pourquoi c’est Bercy qui gère le dossier et non pas leur ministre de tutelle (la garde des Sceaux, Christiane Taubira – ndlr) qui ne se sent visiblement pas concernée. » L’UMP n’a plus de voix, il lui reste au moins l’écoute.
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