Cette fois, c’est la bonne. L’an dernier, avec ses milliers de suppressions de postes, son cortège de classes sans enseignant, la rentrée scolaire avait été sans doute la plus difficile depuis dix ans, suscitant l’incompréhension de ceux qui attendaient tant du retour de la gauche aux affaires. Cette rentrée, baptisée par le ministère la « rentrée de la refondation » et dont Vincent Peillon a présenté les grandes lignes jeudi 29 août, est en effet la première réellement préparée par ce gouvernement. La première depuis l’adoption de la loi de la refondation de l’école.
Défendant « des changements importants », qui interviendront dès cette rentrée, Vincent Peillon a aussi adressé un message à ceux qui avaient déjà publiquement regretté leur timidité : « Cette action est une action de long terme et je le revendique. » Postes, rythmes scolaires, priorité au primaire ou nouvelles écoles du professorat, l’action menée depuis un an commence enfin à se manifester un peu concrètement à cette rentrée. Sans enthousiasme excessif, le climat social semble plutôt à l’apaisement dans la communauté éducative. « Les enseignants ont été très malmenés. Beaucoup sont aujourd’hui dans un scepticisme potentiellement positif », résumait bien en début de semaine Philippe Tournier, le secrétaire général du syndicat des chefs d’établissements, le SNPDEN.
Vincent Peillon revient de loin. Pour celui qui avait élaboré le projet éducation du PS, à l’ombre des bureaux de la rue de Solferino, l’arrivée aux responsabilités a été un cruel baptême du feu. Certes, l’éducation a bien été décrétée priorité nationale par le Président de la République, certes, il a bénéficié du plus beau budget du gouvernement. Mais, longtemps tenu à l’écart du pouvoir comme les autres ténors socialistes de sa génération, il semble avoir découvert un peu tard les mille et une chausses trappes de l’action publique dans ce ministère décidément piégé.
Quelques mois à peine après son entrée en fonction, alors qu’il défend une priorité à l'école primaire, éternellement sous-dotée et déconsidérée, il est confronté à une grève des enseignants du premier degré, vent debout contre sa réforme des rythmes scolaires qu’ils estiment mal préparée et imposée à la hussarde… Une bronca que ni lui ni son entourage n’avaient vu venir. Devant la fronde des maires, inquiets du financement de la réforme, François Hollande le lâche et le contraint à un calendrier plus souple. L’atterrissage est difficile.
Vincent Peillon fulmine alors contre les médias qui ne comprennent décidément rien à l’école, contre les syndicats enseignants qui le trahissent : le syndicat majoritaire du primaire n’avait-t-il pas demandé à corps et à cri la fin de la semaine Darcos, n’avait-il pas signé l’Appel de Bobigny (qui prône le retour de la semaine de quatre jour et demi) ? Le ministre se désole aussi de ces maires qui renâclent, coupables de préférer « les ronds-points au bien-être des enfants ». Il s’agace d’une droite et d’un centre « hypocrites », qui votent contre son texte, lui qui aurait souhaité une union sacrée sur l ‘école. Et il désespère de ce scepticisme général de ceux, même dans son camp, qui misent déjà sur son échec.
Aujourd’hui, même si une nouvelle crise n’est pas à exclure, le ministre paraît renforcé d’avoir traversé ces épreuves sans chuter. La loi sur l’école qui sanctuarise ses moyens a été adoptée. Jean-Marc Ayrault, avec qui les relations ont parfois été très tendues, lui a renouvelé sa confiance. À propos des rythmes qui ont plombé toute sa première année, il semble avoir pris du recul. « J’entends que c’est difficile…, toute vraie réforme l’est », a-t-il expliqué jeudi. « Je suis à ma tâche », répète-t-il désormais souvent.
Vincent Peillon sait que s’il veut que sa « refondation » ait une chance de franchir le seuil des salles de classe, il doit tenir sur la longueur. Quitte à avancer prudemment et faire profil bas. Il a revu sa communication. Finies les déclarations sabre au clair sans consulter personne. Plus question non plus de s’aventurer sur d’autres terrains politiques que l'éducation. La tragi-comédie autour de sa petite phrase sur le cannabis – cris d’orfraies de la droite, recadrage de Matignon – lui a servi de leçon. Lui qui donnait volontiers son avis aux journalistes sur l’actualité botte désormais habilement en touche.
Presque retranché désormais dans son ministère-forteresse, le ministre continue d’avancer ses pions. Cet été un nouveau mouvement de recteurs, le troisième depuis un an, lui a permis de renouveler presqu’aux deux-tiers ce corps très politique. La loi, a-t-il souvent dit, n’est qu’une première étape. D'autres chantiers s’annoncent pour cette année : missions des enseignants, éducation prioritaire, réforme du collège, refonte des programmes sont certainement les plus difficiles.
Il sait surtout qu’il devra cette fois avancer très prudemment, tout en essayant de rendre intelligible sa vision de l’école qui reste pour l’instant très abstraite pour beaucoup.
Les nouveautés de cette rentrée :
- Les postes :
L’entrée en vigueur de la loi de programmation et d’orientation sur l’école va se traduire à cette rentrée par la création de 6 700 postes d’enseignants (3 350 en primaire, autant pour le secondaire) . « C’est une inversion historique », a souligné jeudi Vincent Peillon en rappelant que les dernières années 15 000 postes en moyenne étaient supprimés chaque année.
Au regard de la promesse de recréer 60 000 postes dans le quinquennat, le chiffre peut paraître modeste. En fait, le rétablissement de la formation en alternance des professeurs stagiaires, va « coûter » à lui seul 27 000 postes… Si le ministre promet bien une montée en charge progressive, elle se fera de toute façon dans cette limite-là. Cet effort ne sera par ailleurs pas toujours très visible sur le terrain, puisqu’une bonne partie de ces postes servira à absorber la hausse démographique.
Hormis les profs, il y aura aussi dès cette rentrée beaucoup plus d’adultes dans les établissements(10 000 contrats aidés pour assister les directions d’école, 10 000 pour l’encadrement dans le second degré, et 8 000 contrats aidés pour l’accompagnement des élèves en situation de handicap).
- Priorité au primaire :
C’est à l'école primaire que les changements à cette rentrée seront les plus nets. Avec plus de 3 000 nouveaux postes, « l’école primaire retrouve un peu d’air », a estimé Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp. La moitié de ces postes correspond à la hausse du nombre d’élèves. Près de 1 000 postes iront au dispositif « plus de maîtres que de classes » (la loi a programmé 7 000 postes pour ce dispositif pédagogique, il reste donc de la marge) et moins de 400 seront fléchés vers la scolarisation des moins de trois ans, dans les zones prioritaires.
Malgré cet effort, des tensions perdurent dans certaines académies (Créteil, Paris, Versailles) : notamment parce que cette année, pour la première fois, tous les postes offerts au concours n’ont pas été pourvus dans le premier degré. « Cette première semaine risque d’être un peu mouvementée », prévoit le secrétaire général du SNUipp. Les services du ministère ont gardé sous le coude 800 postes pour faire face à l’urgence. « Nous avons recensé 7 000 classes qui ont plus de 30 élèves. Il faut accélérer le tempo », a poursuivit Sébastien Sihr, lors de sa conférence de presse : « Tout n’est pas un problème de moyens mais les moyens restent un problème. »
Après un long feuilleton, une prime de 400 euros a aussi été adoptée pour les enseignants du primaire, bien plus mal payés que leurs homologues du second degré.
- Les rythmes scolaires :
Vincent Peillon a une nouvelle fois défendu jeudi sa réforme du « temps scolaire et du temps éducatif ». « Une révolution douce », selon lui. Pour l’heure, elle ne s’appliquera qu’à 22 % des élèves. « Pour la première fois la France va offrir des activités périscolaires gratuites pour tous les élèves. » Aujourd’hui, seuls 20 % fréquentent les centres de loisirs.
Là où la réforme est mise en œuvre, elle l’est dans des conditions et sur des shémas très variables (voir notre article). Pour le secrétaire général du SE Unsa, Christian Chevalier, « sur le contenu et la qualités des intervenants, on aura le meilleur et le moins bon. Nous pensons que les choses vont se lisser sous la pression des familles ».
Quelle sera l’attitude des enseignants dans les villes, comme Paris, où la réforme s’est faite contre leur avis ? « Le climat semble plus apaisé, mais nous n’excluons pas des coups de sang », a souligné Christian Chevalier.
- Formation et recrutement des enseignants :
« Nous avons remis en place la formation des professeurs », a également rappelé Vincent Peillon ce jeudi. Les trente écoles du professorat et de l’éducation (ESPE) ont déjà ouvert leurs portes. Là encore, les maquettes réalisées dans l’urgence laissent présager des mises en route très différentes selon les académies. Trois, Versailles, Grenoble et Lyon, n’ont reçu qu’une accréditation temporaire du ministère, qui a jugé leur projet insuffisant.
Après une année encore difficile sur le front du recrutement, le ministère poursuit son dispositif d'emplois d’avenir professeurs, 6 000 cette année contre 3 800 l’an passé, des contrats à destination des étudiants boursiers qui se destinent à l’enseignement. Le ministère entend ainsi reconstituer un vivier de candidats aux concours d'enseignement complètement tari ces dernières années.
- Numérique à l’école :
La loi sur l’école pose le principe d’une éducation au et par le numérique. À cette rentrée, les changements sur ce front seront encore assez limités même si le ministre en a beaucoup parlé ces derniers mois. « 30 000 élèves de ZEP bénéficieront d’un accompagnement individualisé par le numérique », a précisé jeudi Vincent Peillon. Des services à destination des parents d’élèves de CP ou des enseignants devraient également être proposés. 23 « collèges connectés » seront également inaugurés, sans qu’on en sache beaucoup plus.
- Charte de la laïcité :
Une charte de la laïcité sera présentée dans les prochains jours et devra être affichée dans les établissements. En attendant les cours de morale laïque (qui interviendront dans le cadre de la refonte des programmes), le ministère a opté pour cette mesure encore assez symbolique. « Il est important que tout le monde comprenne ce que la laïcité veut dire », a insité le ministre. « Une charte, c’est bien, mais vous la faites vivre comment ? Si c’est pour être placardé au mur… », s’interrogeait par exemple le secrétaire général du SE Unsa mercredi.
Et ce qui changera, peut-être, en 2014 :
L’éducation prioritaire, donc la carte scolaire, le collège, les programmes sont au menu des discussions cette année. Les missions des enseignants et sans doute leur temps de service feront l’objet qui va démarrer à l’automne. Une négociation cruciale pour Peillon et d'autant plus difficile qu'il l'aborde les mains vides.
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