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Les défis de janvier de François Hollande

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François Hollande n'a pas perdu de temps : vingt-quatre heures après la victoire de Syriza en Grèce dimanche 25 janvier, la présidence de la République avait déjà pris la parole trois fois. Dès dimanche soir, l'Élysée félicitait Alexis Tsipras pour sa victoire, rappelant « l’amitié qui unit la France et la Grèce ». Lundi après-midi, après un entretien du chef de l'État avec le nouveau premier ministre grec, l'Élysée assurait que « la France sera aux côtés de la Grèce dans cette période importante pour son avenir ». Et le pouvoir se posait déjà en entremetteur possible, avec une petite phrase sur la volonté française « de favoriser les discussions et le dialogue ».

Peu après, François Hollande s'est exprimé, en marge d'une conférence de presse à l'Élysée. Il a insisté sur « l' austérité particulièrement douloureuse » qui frappe la Grèce « depuis des années ». Et, sans se prononcer sur l'avenir de la dette grecque, il a cité à nouveau les deux « principes » qui doivent, selon lui, guider les discussions à venir entre Bruxelles et Athènes : « la solidarité – un programme en cours d’aides à la Grèce en Europe (qui) doit se poursuivre » – et « la responsabilité – des engagements ont été pris, ils doivent être tenus ».

Alors que la Grèce de Tsipras se prépare à un bras de fer difficile avec ses créanciers (le FMI, la Banque centrale européenne et l'Union européenne) pour renégocier sa dette, François Hollande semble s'imaginer déjà dans le rôle du facilitateur européen. L'homme de la synthèse continentale parviendrait à concilier les faucons de l'austérité et ceux qui la dénoncent, en Grèce comme ailleurs. 

Le ton des messages de l'Élysée tranche avec l'accueil assez froid réservé à Tsipras dans d'autres capitales. David Cameron, le premier ministre britannique, a dit sa crainte que l'élection grecque n'« accroi[sse] l'incertitude économique en Europe ». La chancelière allemande Angela Merkel, qui recevait ce lundi Nicolas Sarkozy à Berlin, n'avait pas encore commenté l'élection lundi soir. Mais le président de la Bundesbank allemande, Jens Weidmann, a déjà exhorté Syriza à « ne pas faire de promesses illusoires que son pays ne peut en aucun cas se permettre ». Le porte-parole de la Chancellerie allemande a insisté en termes laconiques sur le « respect des engagements pris », et le ministère des affaires étrangères s'est redit opposé à un effacement partiel de la dette grecque. Déjà, le quotidien populaire allemand Bild, dont les avis sont regardés de près par les politiques outre-Rhin, s'inquiète de ce que l'effacement partiel de la dette grecque pourrait coûter aux contribuables allemands.

« Que signifie sa victoire pour notre argent ?» Site de Bild Zeitung, lundi 26 janvier« Que signifie sa victoire pour notre argent ?» Site de Bild Zeitung, lundi 26 janvier © capture d'écran bild.de

« La Grèce est dans l'euro, veut rester dans la zone euro et restera dans la zone euro », a martelé François Hollande lundi soir, alors que le gouvernement allemand évoquait ces dernières semaines une possible sortie du pays de l'euro.

Il y a deux ans, François Hollande avait espéré la victoire des partis favorables à l’austérité, le Pasok social-démocrate et les conservateurs de Nouvelle Démocratie. Cette fois, il s'est gardé de prendre parti. Au contraire, Pierre Moscovici, son ami et ancien ministre, devenu commissaire européen, avait souhaité en décembre la victoire du candidat conservateur à la présidence de la République grecque. L'impasse de cette élection avait conduit à ces législatives anticipées. Ce lundi, le même Pierre Moscovici, en charge de l'économie et de la fiscalité à la Commission européenne, a averti : la renégociation de la dette grecque, au cœur du programme de Syriza, n'est « pas le sujet dont nous allons discuter en priorité ».

Malgré ses promesses de campagne de « réorientation de la politique européenne », François Hollande a renoncé dès son arrivée à l'Élysée à renégocier le pacte budgétaire et a privilégié une autre stratégie : la négociation discrète, afin d'obtenir des marges de manœuvre dans la réduction des déficits français et d'infléchir l'austérité en Europe. Avec de maigres résultats. Sans prôner une sortie de l'euro, Syriza défend au contraire une ligne claire de refus de l'austérité comme de l'ordo-libéralisme intransigeant de Berlin. À cet égard, la victoire de la gauche radicale en Grèce est en elle-même un désaveu de la stratégie des petits pas discrets choisie par François Hollande. Si discrets que personne, ou presque, ne les remarque.

François Hollande et Angela Merkel, le 21 mai 2012François Hollande et Angela Merkel, le 21 mai 2012 © Reuters

Les résultats du scrutin signent par ailleurs la déroute des sociaux-démocrates grecs, qui siègent avec le PS au Parlement européen. Le Pasok, qui domine le pays en alternance avec les conservateurs depuis des décennies, est laminé, réduit à 4,6 % des voix et 13 députés. Quant à l'ancien ministre Georges Papandréou, qui dirigea le pays de 2009 à 2011, désormais à la tête d'un petit parti, il a échoué à se faire réélire député. Depuis 1923, il y avait toujours eu un Papandréou à la Vouli, le Parlement grec.

En France, ceux qui plaident pour une alternative à gauche se réjouissent logiquement de la victoire de Syriza. Jean-Luc Mélenchon y voit un « moment historique », « l'occasion de refondre l'Europe », la possibilité d'un « effet domino ». Dans Libération, l'écologiste Cécile Duflot sonne l'heure de « l'alternance européenne ».

Pourtant, le triomphe de Syriza peut aussi être une aubaine politique pour le chef de l'État, et celui-ci l'a bien compris. Après les attentats de Paris, qui ont (momentanément?) transformé un président démonétisé en rassembleur, le triomphe de la gauche radicale en Grèce représente pour François Hollande une autre occasion de relancer son quinquennat, cette fois en Europe. À condition, bien sûr, qu'il en ait l'envie, et les moyens.

Dès dimanche soir, Stéphane Le Foll, le porte-parole du gouvernement, avait relayé la ligne : « Je ne peux pas avoir peur, c’est un choix libre, démocratique d’un peuple européen. » Ne craignant pas d'être taxé d'opportunisme, le PS lui-même s'est félicité de la victoire de Syriza, « un raz-de-marée contre l’austérité » selon le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, dans Le Parisien

« Cette élection place François Hollande en intercesseur, veut croire Cambadélis. Il peut parler aux deux camps : les tenants de l’austérité et ceux qui s’y opposent. Dans le nouveau statut qui est le sien depuis les événements dramatiques du 7 janvier, il a là un nouveau rôle en Europe, difficile mais possible. » Dans la même veine, Bruno Le Roux, le chef des députés PS, un proche du chef de l'État, assure que la France sera « un point d'appui pour M. Tsipras dans la question de la restructuration de la dette » et « de la croissance pour l'Europe ».

Pour l'heure, il ne s'agit là que de déclarations d'intention. Les prochaines semaines, les prochains mois, diront si François Hollande, qui fut surnommé « Hollandréou » par Jean-Luc Mélenchon, parvient à endosser ce nouveau rôle du "Monsieur Bons Offices" en Europe. En la matière, son bilan n'est pas fameux. À chaque fois que François Hollande a cru trouver un allié pour réorienter l'Europe – l'Italie ou l'Espagne –, la tentative a échoué. La parole politique de Paris à Bruxelles porte de moins en moins. Les signaux d'alerte se sont multipliés ces derniers mois, symétriques de la montée en puissance de ce que certains ont appelé l'« Europe allemande ». Certains silences du chef de l'État à la table du conseil européen ont été dévastateurs (par exemple lors de cet échange musclé, début 2014, entre Angela Merkel et Matteo Renzi, sur la relance).

Pour le chef de l'État, le moment est d'autant plus crucial que sur la scène intérieure, il bénéficie parallèlement d'une fenêtre d'opportunité depuis les attentats de Paris, dont il a bien géré les suites. Il a fallu des circonstances tragiques pour que le chef de l'État parvienne à maîtriser l'agenda politique sur plusieurs semaines, en s'exprimant régulièrement au cours de cérémonies de vœux ou d'hommages aux victimes.

Hollande quittant l'Elysée, le 9 janvier 2015Hollande quittant l'Elysée, le 9 janvier 2015 © Reuters

Suites de l'unité nationale obligent, alors que le plan "Vigipirate attentats" (son niveau maximum) est toujours en vigueur en île-de-France, l'UMP de Nicolas Sarkozy a du mal à se faire entendre. Les plus critiques de la majorité viennent certes de présenter une loi Macron alternative proposant davantage d'investissements pour favoriser la relance. Mais le climat de la discussion s'annonce moins tendu que prévu. Ce week-end, le chef de l'État s'est même rendu au sommet de Davos, le rendez-vous des financiers, pour contrer le « french bashing » et appeler à intensifier la lutte contre le terrorisme. Un déplacement inédit pour un président socialiste, qui aurait fait polémique dans d'autres circonstances.

Il ne peut plus y avoir de cacophonie gouvernementale, puisque les ministres s'expriment peu : depuis les attentats, seuls quelques-uns sont autorisés à parler. La communication gouvernementale est verrouillée, scrupuleusement surveillée par Matignon.

Au cours de ces trois semaines, il y a eu des moments marquants. Devant le corps diplomatique, mi-janvier, François Hollande a parlé d'« islamophobie » pour la première fois de son quinquennat. Il avait refusé de prononcer le mot en décembre, lors de son premier discours du quinquennat sur l'immigration. Son premier ministre, Manuel Valls, a quant à lui évoqué la semaine dernière un « apartheid social, territorial ethnique » à propos des quartiers. Puis il a parlé dimanche de « 50 à 100 quartiers » qui seraient des « poudrières sociales ». Ces expressions sont parfois contestées à gauche mais, selon le député socialiste Dominique Raimbourg, elles décrivent « une réalité qu'il convient désormais de résorber ».

Trois semaines après les drames qui ont ensanglanté le pays, François Hollande amorce désormais la sortie de la "séquence attentats". Il a encore reçu les familles des victimes dimanche, et se rendra au Mémorial de la Shoah ce mardi, jour de commémoration des 70 ans de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau.

Depuis le 7 janvier, le chef de l'État parle beaucoup, de la République, de la laïcité, de la liberté d'expression, des fractures qui traversent la société française. Mais il lui revient désormais de dessiner les solutions concrètes pour mettre en pratique ces discours, sans moyens supplémentaires puisque les caisses de l'État sont vides. Ce mois de janvier 2015 pourrait être un tournant du quinquennat, en France comme en Europe. Le président de la République tiendra une grande conférence de presse le 5 février. On devrait alors commencer à savoir s'il se hisse, ou non, à la hauteur du défi.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Liberté, éga… oups!


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