Christian Estrosi n’a pas besoin de se prononcer officiellement en faveur d’un Patriot Act à la française. Il a déjà le sien, façon nissarte. Entre deux passages à la télévision, le député et maire UMP de Nice a réuni, lundi 19 janvier, un conseil municipal « extraordinaire » afin de faire voter une série de mesures « exceptionnelles » destinées à renforcer la sécurité des habitants et des forces de l’ordre, à la suite des attentats de Paris. Il a également profité de l'occasion pour faire passer un certain nombre de délibérations qui lui tiennent à cœur depuis longtemps, au risque de prendre certaines libertés... avec les libertés individuelles.
L'ancien ministre de Nicolas Sarkozy l'a confié sans ambages sur France 2, mardi 20 janvier : oui, il est tout à fait prêt à sacrifier certaines libertés au profit de la sécurité. Quelques-unes des mesures adoptées dans l’urgence par son conseil municipal en font d'ailleurs la démonstration. Par souci d’« unité nationale », l’opposition niçoise – à l’exception du FN qui s'est abstenu – a voté les 14 délibérations de la séance, y compris celle visant à déployer rapidement 20 caméras de vidéo-protection supplémentaires, « pour un coût estimatif de 400 000 euros », dispositif que la gauche n'avait eu de cesse de critiquer jusqu'alors.
C'est une petite victoire pour Christian Estrosi qui a, depuis fort longtemps déjà, élevé sa ville au rang de championne de France de la vidéosurveillance. Avec ces 20 caméras supplémentaires, la commune va désormais en compter 1 050, soit une caméra pour 330 habitants. Le rendement de ce “big brother” niçois est intéressant politiquement : « L’électorat frileux et âgé (…) se satisfait pleinement de cet équipement, convaincu qu’il lui permet de se mouvoir en toute sécurité », écrit Le Ficanas sur son blog. Mais l’est-il d’un point de vue sécuritaire ? La réponse est non.
Nice a beau avoir le plus grand nombre de caméras de surveillance et les plus gros effectifs de policiers municipaux, elle arrive tout de même en 401e position sur 408 en matière d'atteintes aux biens et en 389e en matière de violences aux personnes, selon un classement publié par L’Express en 2013. Qu’importe si tout cet arsenal sécuritaire n’a pour l'heure obtenu que de faibles résultats, le député et maire de la cinquième ville de France a fait de la sécurité son atout politique majeur. Et il ne compte pas en rester là.
Les rares garde-fous qu’Estrosi trouve d’ordinaire sur sa route pour refréner ses tentations ultra-sécuritaires ont volé en éclats après les attentats de Paris. « Les terroristes ont réussi à me faire voter, sans hésitation, une proposition pour renforcer l’équipement de la ville en vidéo-protection », a ainsi expliqué Patrick Allemand, chef de file de l’opposition (PS, EELV, gauche autrement), en marge du conseil municipal de lundi.
Le député et maire UMP de Nice a pour lui un certain nombre d’arguments : le projet d’attentat qui visait l'édition 2014 du Carnaval, déjoué par les services de sécurité – 350 militaires viendront cette année en renfort ; certaines enquêtes du quotidien local Nice-Matin évoquant une filière azuréenne de recrutement djihadiste ; le démantèlement d’une cellule islamiste cannoise en octobre 2012… Des éléments qui résonnent plus fort depuis les attentats de Paris, mais que Christian Estrosi, qui se veut précurseur de la lutte anti-djihad, agite depuis bien plus longtemps. « Cela fait plusieurs mois déjà que je dis que la France est en guerre », écrivait-il dans un communiqué quelques heures seulement après les assassinats de Charlie Hebdo.
Si la plupart des élus locaux semblent à présent se ranger derrière ce diagnostic, quelques voix s'inquiètent toutefois de la batterie de mesures adoptées lundi dernier dans l'urgence, selon un vieux réflexe dont Nicolas Sarkozy avait fait sa marque de fabrique à l'Élysée : une émotion, une loi. C'est notamment le cas de la section niçoise de la Ligue des droits de l’homme (LDH) que Mediapart a contactée au lendemain du conseil municipal extraordinaire.
L'association s'interroge en particulier sur la délibération visant à autoriser « la transmission d’images privées installées dans des immeubles d’habitation » au centre de supervision urbain. S’appuyant sur la loi Loppsi 2 du 14 mars 2011, cette mesure est soumise à une convention « à conclure entre le maire, le préfet des Alpes-Maritimes et les copropriétés ou les organismes sociaux concernés ». Selon nos informations, elle viserait principalement le parc HLM de la ville. Pour rappel, le premier bailleur social des Alpes-Maritimes, Côte d’Azur Habitat, est présidé par Dominique Estrosi-Sassone, ex-femme et adjointe de Christian Estrosi.
La section niçoise de la LDH pointe également la délibération autorisant « la mise en place de restrictions et contrôles informatiques exceptionnels dans les lieux publics où la ville de Nice met à disposition des moyens permettant d’accéder à Internet, comme le Wifi public et les Cyber-Espaces afin de lutter contre l’apologie du terrorisme ». « Estrosi se pique de sécurité et de haute technologie, il est donc complètement sur son créneau, souligne Henri Busquet de la LDH 06. Cela fait des années qu’il applique ce type de politique. Le plus étonnant, c’est que l’opposition suive. »
Comme la gauche, l'opposant divers-droite Olivier Bettati a lui aussi voté les mesures exceptionnelles, mais préfère minimiser ce qu'il qualifie d'« opération de com ». « Le seul but d'Estrosi, c'était d'être le premier maire UMP interviewé sur les chaînes de télé, dit-il. D'ailleurs, il y avait presque plus de journalistes que d'élus à ce conseil municipal ! » De fait, le député et maire de Nice multiplie les interventions médiatiques depuis une quinzaine de jours. Lui et une poignée de voix ultra-sécuritaires de l’UMP (son meilleur ennemi Éric Ciotti, mais aussi Brice Hortefeux ou encore Guillaume Larrivé) se démarquent ainsi du reste de la droite, qui peine à se faire entendre maintenant que la gauche gouvernementale empiète sur ses terrains de prédilection.
Éviter la répétition sans tomber dans la surenchère n'est pas une tâche facile. « Quand j’entends Estrosi demander que la police municipale puisse procéder à des contrôles d’identité à titre préventif, je me pose des questions, poursuit Henri Brusquet. On se demande ce que cela va donner notamment vis-à-vis des SDF ou des Roms, que le maire avait promis de “mater” il n'y a pas si longtemps. » Mêmes interrogations sur la proposition de l'édile de doter ses policiers municipaux d’armes automatiques. Déjà munis d'armes à feu de quatrième catégorie, de Flashball et d'armes blanches, les agents niçois sont également les premiers à avoir été équipés de Taser en 2011.
La LDH 06 s’interroge enfin sur le retour dans le débat post-attentats de l’ouverture tardive de certains « commerces de proximité », les fameuses « épiceries de nuit » dont Christian Estrosi avait voulu interdire l’ouverture après 22 heures dans le centre-ville de Nice. Le premier arrêté municipal pris en mars 2010 avait marqué le début d'une vive polémique, l'opposition municipale et un certain nombre de représentants associatifs ayant à l'époque voulu avoir des éclaircissements sur ce que la majorité entendait sous l'expression « commerces ethniques ».
Par la suite, la question a de nouveau été soulevée à plusieurs reprises et ce, jusqu’à l’automne 2013, date à laquelle le tribunal administratif a retoqué un énième arrêté municipal d’Estrosi visant de nouveau les « épiceries de nuit ». « Considérant les attentats perpétrés en France les 7, 8 et 9 janvier 2015 » et « considérant que la menace subsiste », le sujet a une fois de plus été placé à l’ordre du jour du conseil municipal extraordinaire qui s’est réuni lundi dernier. Le maire voulait pouvoir demander au préfet de renforcer les contrôles sur ces établissements et de mettre en œuvre des procédures de fermetures administratives. Il a cette fois-ci obtenu gain de cause.
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