Après l'unanimité et les applaudissements, les premiers doutes. Avant même que soit connu le rejet par le Parlement britannique du principe même d'une intervention militaire contre le régime syrien, les interrogations et les critiques ont commencé à s'exprimer chez les responsables politiques français. Si le Front de gauche et l'extrême droite avaient dès lundi fait connaître leur opposition à des frappes aériennes, un large consensus s'était exprimé au PS et à l'UMP.
C'en est maintenant fini et les reculs et prudences soudain affichés jeudi par le pouvoir ont encouragé les voix dissonantes. À droite, les deux anciens premiers ministres François Fillon et Dominique de Villepin ont été les premiers à émettre réserves, conditions ou critiques.
En meeting dans la Sarthe, mercredi, François Fillon l'assurait : « La communauté internationale ne peut pas laisser impuni l’usage d’armes chimiques, interdit par tous les traités internationaux. » Toutefois, l’ex-premier ministre avance de nombreuses « conditions à respecter » : l’ONU doit prouver l’utilisation des armes chimiques pour éviter un nouvel « Irak » ; on doit tenter une dernière fois de convaincre la Russie de pousser à Assad à la négociation ; il faut associer la Ligue arabe, enfin, établir « des buts militaires définis avec précision ».
L'ancien premier ministre se démarque ainsi de Jean-François Copé qui avait, lui, soutenu sans réserve sur Europe 1 « l’analyse (…) juste sur la forme comme sur le fond » du président de la République sur le dossier syrien. Pour le président de l’UMP, « une intervention ponctuelle et punitive » ferait sens face aux « crimes contre l’humanité » que constituent les attaques à l’arme chimique.
Dans une tribune publiée dans Le Figaro, jeudi 29 août, Dominique de Villepin, qui avait prononcé le discours contre la guerre en Irak devant le Conseil de sécurité de l'ONU en 2003, a également mis en garde. « Ne cédons pas aux illusions du raccourci militaire, (…) ce serait la politique du pire de faire la guerre à la guerre sans preuve irréfutable et sans stratégie », conseille-t-il. Plutôt que de « punir », l’ex-premier ministre et président du mouvement République solidaire se demande « comment protéger ». Il envisage une « zone d’exclusion aérienne » et la « création d’une force internationale de paix ».
Alain Juppé en revanche encourage la France à « s’affranchir des blocages » du Conseil de sécurité de l’ONU, faisant allusion aux droits de veto de la Chine et de la Russie. Pour l’ancien ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, nul doute ne subsiste : un « massacre chimique » a été perpétré par Bachar el-Assad. Et de rappeler que le 31 janvier 2012, l’ex-ministre s’était rendu à New York « pour convaincre le Conseil de sécurité de prendre toutes ses responsabilités face à l’aggravation des crimes contre l'humanité commis par le régime syrien ».
Mardi 27 août, François Bayrou a mis en garde « contre les manipulations dans ces guerres civiles ». « Est-ce que c'est notre guerre, est-ce que c'est notre conflit ? » s'interrogeait-t-il. Le président du MoDem, qui était fermement partisan d'une intervention au Mali, et plus hésitant en Libye, lançait un « appel pressant à la prudence », sur RMC. Tout comme Hervé Morin de l’UDI, il exigeait des preuves de l’attaque à l’arme chimique du 21 août.
Un seul socialiste contre l'intervention en Syrie
Pouria Amirshahi, secrétaire de la commission des affaires étrangères, est à ce jour l’unique réfractaire socialiste à une intervention en Syrie. Ce député des Français de l’Étranger, dont la circonscription couvre notamment la Libye et le Mali, souligne la nécessité de respecter « la légalité internationale », et le manque de « preuves irréfutables des responsabilités dans les massacres chimiques ». Le socialiste est catégorique : « Rien ne montre qu’une intervention militaire aujourd’hui imprécise, aux buts mal définis, sans cible clairement identifiée contribue à la fin de la guerre civile et aux massacres. » Il insiste sur les « erreur passées », ainsi que sur « la complexité et la volatilité de la situation régionale ».
Le jour-même, sans même évoquer l'ONU, le parti socialiste saluait la « détermination » du président à ne pas laisser impuni un « crime aussi abject », rappelant qu’il constitue une violation de la Convention internationale sur l’interdiction des armes chimiques en vigueur depuis 1997.
Plus déterminés encore, les socialistes français du Parlement européen insistent sur la nécessité de « prendre toutes les initiatives possibles pour protéger les civils de la barbarie de Bachar El Assad ». Un dirigeant qui, à leur yeux, a « perdu toute légitimité depuis longtemps » et dont le « cas relève dorénavant de la justice internationale ». « Les discours et intentions de la communauté internatiovnale doivent maintenant se concrétiser dans des actions à la hauteur de la situation, sous peine de discréditer les démocraties qui les tiennent », estime Catherine Trautmann, rappelant le principe de « responsabilité de protéger les populations civiles », adopté par l'assemblée générale de l'ONU en 2005. La présidente de la délégation socialiste rappelle avoir « œuvré pour définir une position européenne unie et sans ambiguïté vis-à-vis du régime syrien » depuis septembre 2011. Mais elle ne dit rien des profondes divergences existant aujourd'hui entre les États membres de l'Union, plusieurs pays s'opposant à une intervention militaire.
Le groupe Europe Ecologie-Les Verts estime qu’« une intervention militaire est, à ce stade, inéluctable ». Le 21 août a « changé la donne », « on ne peut pas laisser le régime syrien assassiner en regardant ailleurs », justifie Pascal Durand, secrétaire national EELV. Dans un communiqué, le groupe écologiste insiste sur cinq conditions : « Avoir pour seule vocation de protéger les populations civiles », « être ciblée et limitée dans le temps et dans ses modalités d’action, frappes extérieures et éventuellement aériennes ciblées », « se faire dans un cadre multilatéral, notamment avec les pays de la Ligue Arabe », « permettre les conditions de relance de la Conférence internationale sur la Syrie, dite “Genève 2”, avec toutes les parties prenantes, pour renforcer les chances d’une issue politique » et « revenir le plus rapidement possible dans le cadre du droit international. »
« J'aurais voté en faveur de cette intervention, à certaines conditions », a expliqué vendredi Eva Joly, ancienne candidate EELV à la présidentielle, vendredi. « J'aurais demandé que nous disposions du rapport des inspecteurs de l'ONU. Mais c'est vrai que le franchissement de cette ligne rouge (l'interdiction de l'utilisation d'armes chimiques – ndlr) (…), ça ne peut pas rester sans réaction de la communauté internationale » :
« Les Nord-Américains ont l’habitude d’utiliser n’importe quelle sorte d’argument pour justifier une intervention militaire », soutient Jean-Luc Mélenchon. Intervenir en Syrie reviendrait à commettre une « erreur gigantesque », qui risquerait de conduire à l’embrasement de la région.
« Une intervention armée (…) ne ferait qu’aggraver le conflit, d’autant que la Russie entend continuer à soutenir le régime criminel de Damas », estime le parti de gauche dans un communiqué, évaluant le « risque d’une guerre où le jeu des alliances risquerait d’entraîner les puissances régionales dans un affrontement suicidaire. » Le parti de gauche rappelle que « les forces du Comité national de coordination pour le changement démocratique (CNCD) ont clairement dénoncé toutes les ingérences étrangères en Syrie » et que « le rôle de la France n’est pas de suivre les États-Unis dans leur nouveau délire guerrier ».
Tout comme le PCF, le parti de gauche appellait à se joindre au rassemblement contre l’intervention armée en Syrie, organisé par le Mouvement de la Paix, ce jeudi 29 août à 18 h 30 à la fontaine des Innocents, à Paris. Pour Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, une intervention en Syrie « ajouterait une guerre à la guerre ». La gauche anti-capitaliste est « opposée à cette intervention militaire qui contribuera à renforcer la position d'Al-Assad en Syrie sans donner aux Syriens le moyen de prendre leur destin en main ». Ce parti craint « une extension de la guerre aux pays avoisinants, avec pour victimes les populations qui seront sans défense dans une telle situation ».
Les partis du Front de Gauche dénoncent le suivisme français et le risque d’embrasement de la région, mais Marie-Françoise Bechtel, du Mouvement républicain et citoyen entend qu’ « en Syrie comme ailleurs, la légalité internationale doit être respectée ». Pour la vice-présidente du MRC, il faut attendre les conclusions de l’enquête de l’ONU et une résolution de l’organisation internationale.
« C'est au peuple syrien de se libérer en toute autodétermination, avec toute l'aide internationale indispensable mais sans les manœuvres et interventions directes d'États qui défendent d'abord leurs propres intérêts », affirme sans ambiguïté le Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Une intervention française « sans aucune consultation démocratique » ne pourrait que conduire à « des effets contre-productifs, face à un régime criminel et aventuriste, qui pourrait au contraire renforcer sa propagande internationale et finalement augmenter les souffrances en Syrie », théorise le parti créé en 2009.
Tandis que Florian Philippot, vice-président du FN, ironise sur la « diplomatie de cowboy suicidaire », Marine Le Pen se souvient « des manipulations américaines au sujet des armes de destruction massive en Irak qui en réalité n’existaient pas ». Pour la présidente du Front National, une intervention française en Syrie « inféode une nouvelle fois gravement la France aux États-Unis » et vise à « soutenir des rebelles islamistes ».
À l’instar de certains politiciens, les éditorialistes de presse, interventionnistes pour le Mali, sont plus réservés sur l’éventualité d’une intervention en Syrie. « N’avons-nous rien appris depuis quinze ans de nos aventures passées ? » Une question rhéthorique pour Yves Thréard, éditorialiste du Figaro. Dans un éditorial intitulé « Pour quoi faire ? », le journaliste pèse les risques d’une telle intervention pour les chrétiens du Moyen-Orient et les ressortissants français à l’étranger.
Dans La Croix, Jean-Christophe Ploquin rappelle que le conflit s'inscrit dans un contexte régional : « Depuis 2012, la Syrie est devenue le principal théâtre d’un conflit régional qui oppose indirectement l’Iran et l’Arabie saoudite. Cette lutte s’alimente de rivalités religieuses, Téhéran activant les communautés musulmanes chiites, Riyad se posant en défenseur de l’islam sunnite. L’affrontement manifeste le regain d’une violente tension interne à l’islam, qui a existé depuis les origines. » « Qu’iraient donc faire les Occidentaux dans une telle guerre ? » en conclue l’éditorialiste.
Dans un éditorial intitulé « Tardif », François Sergent, de Libération, s’interroge : « Quels sont les objectifs des frappes ciblées promises par les stratèges en chambre français et américains ? En quoi vont-elles convaincre le “boucher de Damas” d’arrêter le massacre ? » Pour le journaliste, l’« absence de volonté politique a laissé le champ libre aux islamistes et aux parrains russes, iraniens ou saoudiens. Ce n’est pas une opération mal ficelée aux bases légales douteuses qui sauvera les Syriens ».
Cependant Le Monde rompt avec ses confrères avec un éditorial intitulé « Syrie : le crime de trop appelle une riposte ». Pour l’éditorialiste Natalie Nougayrède, « ce qui vient de survenir en Syrie dépasse largement le seul cadre de ce conflit, et même le périmètre du Moyen-Orient. Car l’emploi d’armes de destruction massive signifie qu’un tabou est brisé. » Pour la journaliste, c’est « la crédibilité des pays occidentaux » et « la perspective d’un XXIème siècle doté de minimum d’organisation internationale » qui est « testée ».
Tout aussi interventionniste, Laurent Joffrin intitule son éditorial du Nouvel Observateur «Faire plier le tyran ». Pour le journaliste, l'intervention en Syrie constitue « une évidence » car « l'abstention occidentale délivrerait à tous les dictateurs de la terre un passeport pour la barbarie ». « Le bilan des interventions, aussi incertain soit-il, est supérieur à celui des non-interventions », écrit-il, en rappelant l'inertie des Occidentaux au Rwanda. « On dénonce de manière mécanique l'activisme des États-Unis dans la région. Leur inaction serait-elle un progrès ? La Chine ou la Russie seraient-elles de meilleures suzeraines ? » demande-t-il.
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