Passée la polémique sur le regroupement familial, qui a brouillé la communication du séminaire gouvernemental de rentrée sur la France en 2025 et contraint François Hollande à rectifier le tir, Manuel Valls, omniprésent cet été, a enchaîné sur un sujet plus consensuel à gauche. Et qui lui tient à cœur. Le 28 août en conseil des ministres, il a présenté les premiers résultats de sa réforme de la naturalisation lancée il y a un an ainsi que de nouvelles mesures pour la prolonger.
Né en 1962 à Horta dans le quartier de Barcelone où son père a grandi, Manuel Valls a acquis la nationalité française par naturalisation en 1982. Dans une biographie en forme d’hagiographie parue en mai dernier, sous-titrée Les secrets d’un destin (Éditions du moment), il évoque ses souvenirs à propos de l’entretien auquel il a été soumis à Paris. « Je ne vis pas très bien l’interrogatoire. On me demande : “Avez-vous la tuberculose ? Quelles sont les mœurs de vos parents ?” » Il se rappelle aussi les heures passées à attendre à la préfecture de police pour faire renouveler la carte de séjour temporaire dont il est muni en tant qu’étranger et indique avoir été frustré de l’absence de cérémonie pour la remise du décret, ce qui, dit-il, l’a incité à organiser des réceptions officielles une fois qu’il a été élu maire à Évry.
C'est une manière d’affirmer son appartenance à la nation, concept dont il déplore dans le livre qu’il ait été « ringardisé ». « En tant que naturalisé, en tant que Français par choix, je ressens toujours une émotion particulière lorsque j’entends l’hymne national », assure-t-il, ajoutant avoir été « choqué » par la politique restrictive menée au cours du quinquennat précédent.
94 500 en 2010, 66 200 en 2011 et 46 000 en 2012 : en quelques années, la chute du nombre de décrets de naturalisation délivrés est nette. « Cela résulte notamment d’instructions secrètes envoyées aux agents, c’est-à-dire de consignes non publiées, parfois envoyées par mail », avance-t-on dans l’entourage du ministre.
Pour marquer le changement, une première circulaire datée du 16 octobre 2012 a fait l’objet d’une communication officielle deux jours plus tard par Manuel Valls lors d’une cérémonie de naturalisation à Toulouse. Assouplissant les critères pour devenir français, ce texte, complété par un autre du 21 juin 2013, a commencé à produire ses effets. Parmi les principales modifications : les salariés ne sont plus tenus d’être en possession d’un CDI (selon une disposition introduite par Claude Guéant), les jeunes majeurs vivant depuis longtemps en France et les plus de 65 ans voient leurs démarches facilitées et les ex-sans-papiers ne peuvent être écartés au seul motif de leur séjour irrégulier.
Le ministère évoque des résultats « importants » : fin juillet 2013, le nombre d’adultes naturalisés a dépassé de près de 14 % celui de la même période un an plus tôt. Le taux d’avis positifs donnés par les préfets est quant à lui remonté de 40 % à 61 %. Un « renversement radical de la tendance » par rapport aux années précédentes est visé, indique-t-on place Beauvau. La montée en puissance de ce genre de mécanisme étant progressive, des résultats en « forte hausse » sont attendus cette année et en « très forte hausse » l’année suivante.
Ces prévisions démontrent qu'aux yeux du ministre, cette réforme est prioritaire, notamment par rapport aux autres dossiers concernant les droits des étrangers. Le projet de loi sur l'immigration et l'asile est ainsi sans cesse reporté. D'abord prévue avant l'été, sa présentation en conseil des ministres n'est plus programmée avant la fin de l'automne 2013, ce qui devrait conduire à un examen au Parlement après les élections municipales.
Deux décrets devraient être publiés « prochainement » au Journal officiel. L’un d’entre eux a été présenté en conseil des ministres car il modifie les attributions des préfets dans le sens d'une re-concentration. Pour remédier aux écarts de traitement des dossiers d’une administration à l’autre (jusqu'à 10 %) et garantir une « meilleure professionnalisation » des agents, le ministre a décidé de réduire le nombre de sites susceptibles de procéder à l’examen des demandes.
Entre les préfectures et les sous-préfectures, ceux-ci sont actuellement au nombre de 186. Ils pourraient être ramenés à 40 en 2015 en cas de réussite d’une expérimentation dans trois régions. Celle-ci débutera à partir du 1er septembre en Lorraine et en Franche-Comté, où ne subsisteront que deux pôles, Nancy et Besançon, et à partir du 1er janvier en Picardie, à Beauvais. Ces « plates-formes » régionales recevront et instruiront les dossiers, les préfets de département restant compétents pour décider en fonction des propositions qui leurs auront été transmises. Pour mener l’entretien d’assimilation, une instance collégiale, composée d’un représentant du préfet et de deux personnalités qualifiées choisies par ce dernier, sera testée à Nancy.
Le deuxième décret concerne le test de langue et la vérification de la connaissance de l’histoire, de la culture et de la société française. Sans remettre en cause le niveau minimal de français requis, insiste le ministère, l’idée est de prévoir des dispositions spécifiques pour les publics les plus fragiles, qui risquent d’être intimidés par le test, et des dispenses pour les personnes titulaires d’un diplôme délivré dans un pays francophone.
Le recours au QCM tel qu’il avait été prévu sous Sarkozy est supprimé. Un « livret du citoyen » listant les connaissances attendues sera créé par arrêté, remis aux postulants et disponible sur internet. « Il s’agit d’adapter les modalités d’évaluation de ces connaissances aux capacités de personnes adultes, dont certaines n’ont jamais été scolarisées », explique le ministère, qui évoque un retour à l’esprit de la loi, le Code précisant que chacun doit être évalué « selon sa condition ».
Alors que l'opposition lui reproche de « brader » la nationalité, Manuel Valls rétorque que les critères restent « exigeants » et que sa réforme « ne transige ni avec nos principes, ni avec nos valeurs ». Sans convaincre la députée UMP Michèle Tabarot qui fustige cette « gauche en train de remettre en cause l'essence de l'intégration républicaine qui permet au terme d'un parcours exigeant de devenir Français ». Sans convaincre non plus le FN : « C'est donc un nouveau quinquennat d'immigration massive qu'on annonce aux Français, ce qui est parfaitement irresponsable vu les dégâts que provoque l'immigration de masse sur notre économie, le niveau des salaires en France, notre identité et notre sécurité collective. »
L'action de Manuel Valls est pourtant mesurée. En matière d’intégration, Manuel Valls a fait le choix, dès le début du quinquennat, de l’accès à la nationalité au détriment du droit de vote des étrangers aux élections locales. « Je veux faire de la nationalité un moteur de l’intégration et non le résultat d’une course d’obstacles aléatoire et discriminante », a-t-il lancé au Sénat en juillet 2012, avant d’affirmer qu'à l'inverse, selon lui, le droit de vote n’est ni une « revendication forte dans la société française », ni un « élément puissant d’intégration ».
Les changements apportés par sa réforme de la naturalisation sont par ailleurs limités. En terme quantitatif, Manuel Valls mise sur un retour à la normale, c'est-à-dire environ 100 000 décrets annuels, comme ce qui se pratiquait jusqu'au début de l'ère Sarkozy. Pour éviter un débat potentiellement explosif, il n’a pas entrepris de refonte législative, se contentant de mesures réglementaires. L'observation des faits, de toutes façons, est de nature à calmer les esprits puisque la durée moyenne de séjour en France avant d’être naturalisé est de seize ans, bien au-delà de la durée minimale légale de cinq ans.
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