Le contraste est saisissant. Avant l’été, certains proches de François Hollande ne masquaient guère leur inquiétude, allant jusqu’à charger par avance la ministre des affaires sociales Marisol Touraine, critiquée au sein du gouvernement. Depuis, les mêmes se gargarisent d’une réforme des retraites « équilibrée » pour laquelle l’Élysée et Matignon étaient à la manœuvre.
« Ce qui sera proposé tiendra compte de l’équilibre des comptes et fera attention à ne pas cristalliser de mauvais débats sur ce sujet », expliquait il y a quelques jours un ministre proche de François Hollande. Un autre, plus critique de la ligne économique du gouvernement, confiait aussi sa « surprise » sur un texte qui devrait contenter la plupart des socialistes. « Je n’aurais pas imaginé que ce soit aussi tranquille. Marisol Touraine a fait le boulot », expliquait-il.
De fait, l’exécutif craignait le caractère explosif des retraites et savait que les militants de gauche, les syndicats et la presse ne manqueraient pas d'exhumer leurs appels à manifester contre la réforme de 2010 (voir la vidéo du PS de l'époque). Il a donc très vite exclu de toucher aux régimes spéciaux (déjà visés par les précédentes réformes) et d’accélérer le rapprochement entre les fonctionnaires et les salariés du privé. Pas question non plus de désindexer les pensions. Certaines de ces pistes avaient pourtant été évoquées par le gouvernement et par le président de la République.
Le gouvernement a, de la même manière, refusé de toucher à l’âge légal de départ à la retraite - une barrière qui signifie de moins en moins un départ effectif pour les salariés mais qui concerne ceux qui commencent à travailler le plus tôt et conserve une valeur symbolique. Il est à 60 ans pour une petite partie de salariés, à 62 ans pour la majorité d’entre eux.
L’exécutif a également continué sa stratégie déjà éprouvée depuis un an et demi de s’appuyer fortement sur la CFDT. Et, de fait, la réforme annoncée mardi soir par Jean-Marc Ayrault (retrouver ici le dossier distribué à la presse) contente la confédération qui n’était pas hostile par principe à l’allongement de la durée de cotisations en échange d’avancées sur les métiers les plus pénibles et les retraites des femmes.
Au total, si l’ampleur d’une mobilisation est toujours difficile à prévoir, Jean-Marc Ayrault et François Hollande jugent que la manifestation appelée le 10 septembre par quatre syndicats (CGT, FO, Solidaires et la FSU, rejoints mercredi par le syndicat étudiant Unef) ne devrait pas « cristalliser » les mécontentements et devenir le premier grand mouvement social du quinquennat. Et ce malgré le contexte très défavorable dans lequel sera votée une réforme, dont l’urgence a avant tout été imposée par la Commission européenne de José Manuel Barroso en échange du report de deux ans pour revenir à 3 % de déficit public.
« Les gens ne croient pas aujourd’hui qu’ils peuvent avoir mieux que ce que l’on fait en faisant grève ou en allant manifester », voulait même croire le week-end dernier David Assouline, porte-parole du PS, lors d’un échange avec la presse à l’université d’été de La Rochelle.
« Les retraites vont déterminer le curseur de la rentrée. Mais, là, on n’entre pas trop mal dans le sujet. On ne touche pas aux fonctionnaires, aux régimes spéciaux et on reporte à 2020 l’allongement de la durée de cotisations…, ça va ! » juge un ministre peu suspect d’idolâtrie à l’égard du président de la République. Et même la méthode Hollande/Ayrault qui limite au maximum le débat (même confidentiel) au sein du gouvernement fait à peine grincer des dents… « Sur les retraites, on n’est pas informé, on découvre tout dans le journal ! » sourit un ministre blasé.
De fait, la réforme a été pilotée directement par Matignon et les derniers arbitrages rendus à la dernière minute par Jean-Marc Ayrault – la piste d’un financement par la CSG, finalement abandonnée, était encore dans les tuyaux la semaine dernière à tel point que de nombreux ministres s’appliquaient au début du week-end dernier à défendre cette hypothèse critiquée par les syndicats.
Le premier ministre a aussi évité un face-à-face entre la seule ministre des affaires sociales, Marisol Touraine, et les syndicats : Marylise Lebranchu, à la Fonction publique, et Michel Sapin, au Travail, ont aussi reçu tous les syndicats.
Enfin, Matignon a joué jusqu’au bout la carte de la concertation, réservant ses derniers arbitrages à la fin des consultations organisées lundi et mardi. Jean-Marc Ayrault est même allé dimanche soir sur le plateau du 20 heures de TF1, pour ne rien dire ! « Il y a eu un gros travail d’échanges et de discussions depuis 14 mois et la première conférence sociale (juste après l’élection de Hollande – ndlr). Le travail de consultation a été très méthodique, il y a eu des dizaines d’heures d’échange. Rien que lundi et mardi, cela a duré 11 heures, et avec des syndicats qui n’étaient jamais reçus par le passé comme Solidaires et la FSU ! Alors même si cela ne règle pas les désaccords de fond, cela se passe mieux qu’un passage en force », se félicite un des négociateurs.
L’exécutif a également choisi de mettre toutes les pistes possibles sur la table – c’était l’épisode de la publication du rapport Moreau. Une stratégie parfois critiquée au sein même du gouvernement car elle a longtemps entretenu l’incertitude voire l’inquiétude sur la réforme promise. Mais Matignon espérait ainsi obtenir « le plus grand consensus », dixit un conseiller. Pari plutôt réussi si l’on en juge par les réactions relativement modérées des syndicats.
Même modération du côté du PS. Le terrain avait là aussi été largement déminé au début de l’été quand le bureau national avait adopté à l’unanimité moins une poignée d’abstentions (l’aile gauche de Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj et Emmanuel Maurel) un texte d’orientation sur les retraites. La plupart des lignes rouges du texte ont été respectées par Ayrault et Hollande, à une nuance près (et de taille) sur l’allongement de la durée de cotisations.
Si le PS validait le principe d’un allongement supplémentaire à partir de 2020, ce devait être après la prise en compte de « l’environnement économique ». Une nuance qui a disparu des annonces du premier ministre. Mais les amis de Benoît Hamon sont, pour l'instant, loin d’être vent debout : dans un communiqué, son courant Un monde d’avance estime que « les premiers éléments évoqués sont encourageants », malgré des « améliorations nécessaires ».
« Alors que le PS a été entendu sur la non-désindexation des retraites, la situation des femmes ou la CSG, nous regrettons que le gouvernement accepte quelle que soit la situation économique et de l’emploi en 2020 un allongement quasiment automatique et irréversible et particulièrement élevé puisque correspondant à 2/3 des gains d’espérance de vie », dénonce de son côté l’autre courant de l’aile gauche, Maintenant la gauche coanimé par Marie-Noëlle Lienemann.
L’ancienne ministre de Lionel Jospin a déjà prévenu qu’elle irait saluer les manifestants le 10 septembre. Elle y retrouvera les militants du Front de gauche et de l’extrême gauche très opposés au texte. « Cette contre-réforme ne vise en rien un progrès. Avec ces mesures inefficaces et injustes, c’est plus de chômage et moins de pouvoir d’achat. Les classes populaires, les classes moyennes et les retraité-e-s sont ponctionnées au lieu de faire financer les entreprises et la finance », a dénoncé mercredi dans un communiqué le Front de gauche qui rappelle qu'un appel de socialistes contre tout allongement de la durée de cotisations a été signé par plus de 3 000 personnes.
Les écologistes ne sont pas davantage convaincus : « L'allongement de la durée de cotisations répond à une logique datée. C’est pourquoi les écologistes y sont clairement opposés. Elle ne résout pas le problème du financement et s’inscrit encore dans une logique du “travailler toujours plus” dans un contexte où les seniors sont frappés massivement par le chômage. C’est donc une mesure injuste et inefficace », estime Europe Ecologie-Les Verts.
Par ailleurs, l'aile gauche du PS, le Front de gauche et les écologistes dénoncent tous la promesse faite par Jean-Marc Ayrault de compenser la hausse des cotisations patronales consacrées aux retraites par une baisse des cotisations versées par les chefs d'entreprise pour financer la branche famille de l'assurance maladie. Un cadeau fait au Medef qui vient s'ajouter aux 20 milliards du pacte de compétitivité annoncé l'an dernier.
Ce n'est qu'à l'issue de la manifestation du 10 septembre que l'exécutif pourra, ou non, pousser un soupir de soulagement.
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